Artiste rebelle et libertaire, le sculpteur et peintre icaunais Pierre Merlier est décédé la semaine dernière à l’âge de 85 ans. Il nous laisse plus d’un millier d’œuvres, principalement des personnages façonnés dans le bois (dont Jean-Pierre Soisson) : toute une famille fantasmagorique qui relaiera à jamais le regard sardonique que leur créateur portait sur le monde.
Par Geoffroy Morhain
Photos : D.R.
Né à Toutry (21) en 1931, Pierre Merlier est dès l’enfance ébloui par la sculpture. À l’adolescence, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, il entre en art comme on entre en religion, devenant à Auxerre l’élève et le praticien de François Brochet (1925-2001), peintre et sculpteur de six ans son aîné. Lui revient alors la tâche de dégrossir, dans le bois, les silhouettes des futures statues du maître déjà réputé. Là, Pierre Merlier va créer ses premières œuvres et, esprit indépendant, il va très vite prendre son autonomie au grand regret de Brochet.
À cette époque, il fréquente les ateliers de l’Académie de la Grande Chaumière à Paris. Dans ces lieux, chacun vient dessiner en toute liberté des modèles qui posent pour de courtes durées. Il y a réalisé des centaines de croquis de nu. C’est là aussi qu’il pourra admirer Ossip Zadkine qui y donne des cours.
Sa première exposition personnelle a lieu à Paris en 1955. Il s’y fait remarquer et reçoit le prix du Salon de la jeune sculpture en 1956. Cependant, les débuts sont parfois difficiles : « La sculpture n’ouvre pas les portes du Paradis ; sculpter, c’est travailler pour le roi de Prusse ! Et pour vivre de son art, il faut être un peu opportuniste, ce que je ne suis pas… », dit-il alors qu’il partage ces temps de vache maigre en compagnie d’artistes auxerrois en devenir.
La famille fantasmagorique d’un ermite
Manquant de place pour exercer son travail d’atelier, il s’installe à la campagne, à quelques kilomètres d’ Auxerre, à Escolives, tout près du canal du Nivernais. Là, il peut donner libre cours à sa créativité débordante qui se traduira par des séries de personnages singuliers dont les expressions reflètent l’influence des figures peintes par Otto Dix, un autre maître du sculpteur. « Une ribambelle étonnante, parfois dérangeante, où se côtoient un général de Gaulle qui nous ouvre les bras parce qu’il nous a compris, un Hitler nu au sexe racorni, les mains dans le dos comme un garçonnet pris en faute, un Jean-Pierre Soisson bedonnant ou encore une incarnation en volume des personnages de Gustav Klimt », peut-on lire en 2011 dans Le Point sous la plume d’Arnaud Morel. Agé de 80 ans, l’artiste encore très prolifique lui confie alors : « Je fais une sculpture figurative, ironique, satirique, mais jamais anodine. Je n’ai pas l’impression d’être ringard, tout au contraire. »
Avec l’âge, Merlier aurait pu perdre sa disposition pour la provocation, mais il n’en est rien. Après 2010, fatigué par ses travaux, il se consacre progressivement à la peinture, plus facile à mettre en œuvre, laquelle reprend les thèmes de son œuvre sculpté. Ces’ à cette époque qu’il abandonne Escolives pour rejoindre définitivement Auxerre. En quelques semaines, une soixantaine de tableaux jailliront de son imagination fertile, avec toujours autant de truculence. « J’entends faire de la peinture de sculpteur », prévient alors l’artiste, qui a recruté un agent chargé de faire connaître à nouveau son œuvre.
Et pourtant, malgré ses nombreux prix, Pierre Merlier va petit à petit glisser dans l’oubli, victime de sa réputation sulfureuse et du dédain porté à l’art figuratif. Il rejoint désormais la liste déjà bien remplie des grands sculpteurs icaunais, entre Max Blondat et François Brochet.