Au début du XXe siècle, trois frères mécaniciens quittent Beaune pour l’aventure américaine… Leur nom, Chevrolet, deviendra l’une des plus grandes marques automobiles des États-Unis. Ces « génies beaunois » sont à découvrir, avec une vingtaine d’autres, au musée des Beaux-Arts de la ville jusqu’à la fin du mois d’août. Immanquable.
🚲 Louis Chevrolet, de la bicyclette à l’automobile
Quand Joseph-Félicien et Marie-Anne Angéline Chevrolet quittent leur Suisse natale pour s’installer en Bourgogne avec leurs cinq enfants, le premier 1er mai 1887, rien ne leur prédit un destin international. Ils habitent d’abord au 28 du faubourg Bretonnière (la maison n’existe plus aujourd’hui), là où naîtra leur 7e et dernier enfant, Gaston, en 1992. Le recensement de 1901 relève les Chevrolet au 22 rue Maufoux, où est aujourd’hui apposée une plaque commémorative.
La famille y dispose d’un logement au-dessus de la boutique du père qui vend et répare des montres, des horloges, des machines à coudre. On est en pleine crise du phylloxéra et les affaires vont mal pour tous les commerces. En ces temps de vaches maigres, il faut même savoir accepter lapins et autres victuailles en échange des prestations fournies.
Malgré de bons résultats à l’école, les enfants sont mis au travail dès l’âge de onze ou douze ans. Louis, le second de la fratrie, s’initie à la mécanique à l’atelier Roblin, situé au 39 du faubourg Bretonnière, qui vend et répare des cycles de la marque Gladiator. Sportif accompli, il brille dans les courses de vélo de la région et court après les primes. À l’énergie qu’il déploie, Louis ajoute la curiosité et l’amour du risque. Depuis qu’il a dépanné un automobiliste à Beaune par un matin froid du printemps 1896 ou 1897 (la légende raconte qu’il s’agissait de la voiture du millionnaire américain Vanderbilt, tombée en panne devant l’hôtel de la Poste), il sait quel sens donner à sa vie. Pour devenir un bon mécanicien, Louis Chevrolet n’hésite pas à gagner les établissements Darracq en région parisienne, qui fabriquent le fameux vélo Gladiator, mais aussi des automobiles… En 1900, il saute le pas et part avec son ami Alexandre Gonthier au Canada, où il travaille comme chauffeur, puis passe rapidement aux États-Unis où les perspectives sont meilleures.
🇺🇸 Gaston Chevrolet, le rêve américain devenu réalité
Sur la terre promise américaine, sa carrière sera fabuleuse. Après avoir fait ses classes chez De Dion Bouton à Brooklyn, il est embauché comme metteur au point chez Fiat à New York, qui remarque ses talents de pilote. En 1902, après le décès de son père à l’hôtel-Dieu de Beaune, sa mère et toute sa fratrie (sauf son frère ainé) le rejoignent outre-Atlantique. En 1905, année faste, il cumule les victoires au volant de sa Fiat de 90 CV, et épouse Suzanne Treyvoux, une française de 17 ans. Au bord des circuits, son imposante stature et sa moustache à la gauloise font fureur.
Casse-cou, insatiable perfectionniste, génie de la mécanique, Louis réunit toutes les qualités du parfait pionnier de l’industrie automobile. Ses exploits, en vitesse pure comme en course, le font remarquer par William Crapo Durant, le créateur de General Motors Corporation (GMC), qui l’embauche en 1908 à la tête de l’écurie de course Buick. Arthur, frère de Louis et pilote occasionnel, devient le chauffeur personnel du patron de la GMC… En 1911, Louis Chevrolet crée avec Durant la « Chevrolet Motor Company of Michigan », qui propose la Classic Six, une voiture de tourisme pour 5 passagers très rapide (elle peut atteindre 105 km/h) et munie d’options modernes, comme le toit ouvrant et le compteur de vitesse éclairé. Dans sa livrée « bleu Chevrolet », ce véhicule chic et cher fait concurrence au fameux modèle T de Ford. L’année suivante, Chevrolet sort une petite 4 cylindres vendue moins cher que la Ford T, qui connaîtra un succès foudroyant.
💸 Arthur Chevrolet, une fin sans gloire ni fortune
En 1913, une brouille entre Durant et Chevrolet conduit ce dernier à prendre le large, abandonnant tous ses droits sur une marque qui deviendra mondialement connue. À son tour, l’ex-Beaunois se lance dans la construction de voitures de courses, les Frontenac, qui triompheront aux 500 miles d’Indianapolis. Mais la mort de son jeune frère Gaston, sur le circuit de Beverly-Hills en 1920, incite Louis, lui-même rescapé d’un nombre incroyable d’accidents, à abandonner la compétition.
Talentueux constructeur, son sens des affaires semble plus discutable. Un temps soutenu par Champion, le fabricant de bougies, sollicité par Henri Ford pour transformer la célèbre Ford T, il est souvent passé à côté d’une destinée de magnat de l’automobile. Reconvertis dans l’aéronautique, Louis et Arthur se lancent à Indianapolis dans la construction de moteurs d’avion baptisés Chevrolair en raison de leur système de refroidissement d’air. Mais les deux frères se brouillent et poursuivent leurs entreprises séparément.
La crise économique des années 30 va finalement réduire à néant tous leurs projets. En 1932, Louis perd tous ses plans dans un incendie, et revient comme simple mécanicien chez Chevrolet à Détroit. Malade et fatigué, il s’éteint au printemps 1941, laissant à d’autres les fruits de « sa » marque. Il repose désormais aux côtés de son frère Gaston et de son fils Charles à Indianapolis, tout près de l’usine qu’il avait fondée et du circuit qui l’avait rendu célèbre. Arthur, quant à lui, retournera également dans l’industrie automobile, avant de prendre sa retraite et de mourir en Louisiane en 1946.
300 ans de génie beaunois
Jusqu’à fin août, le musée des Beaux-Arts de Beaune consacre une exposition aux Beaunois qui ont contribué au rayonnement de la capitale des vins de Bourgogne. Au-delà des célébrités mondiales comme le mathématicien Gaspard Monge, le physiologiste Etienne-Jules Marey ou le peintre Félix Ziem, on y rencontre des personnalités locales moins illustres, mais non moins intéressantes, ayant œuvré pour le développement de la ville.
De l’abbé Gandelot (1714-1785), connu pour son Histoire de Beaune et de ses antiquités, au philosophe Bruno Latour (1947-2022), internationalement célébré pour ses travaux en sociologie des sciences et ses réflexions sur la crise écologique, pas moins de 23 personnalités beaunoises d’origine ou d’adoption, principalement issus du XIXe siècle, donnent rendez-vous au visiteur pour faire plus ample connaissance. Artistes, comédiennes, musiciens, inventeurs, agronomes, hommes politiques ou historiens, tous évoqués à la faveur d’une centaine d’objets et de nombreux documents provenant en bonne partie des collections municipales beaunoises – une bonne occasion de montrer au public certaines pépites qui dorment parfois dans les réserves.
> « Destins croisés, 300 ans de génie beaunois », jusqu’au 27 août 2023 au musée des Beaux-Arts de Beaune, tous les jours sauf mardi et 1er mai 03.80.24.98.70 – www.beaune.fr