50 ans après, le Crémant de Bourgogne a le vin en poupe !

Pierre du Couëdic fait chanter le bouchon : son appellation fétiche a 50 ans et elle est en pleine forme. Intarissable sur la bulle et son histoire, le délégué général de l’Upecb (Union des producteurs et élaborateurs de Crémant de Bourgogne) fait le point sur le millésime 2024 et l’année anniversaire à venir.

Pierre du Couëdic, directeur de l’Union des producteurs et élaborateurs de Crémant de Bourgogne (Upecb). © Jean-Luc Petit / DBM

Le millésime 2024 n’a pas été de tout repos. Quid des crémants de Bourgogne ?

L’année a été compliquée, cela n’aura échappé à personne, mais notre bilan est plutôt positif. Nous enregistrons un record absolu de surface engagée en AOC Crémant de Bourgogne avec 3 450 hectares. En volume, la situation est très contrastée selon les régions. Certaines zones de l’Yonne et du nord Côte-d’Or n’ont pas eu un raisin. Inversement, des opérateurs font carton plein. Au final, la récolte sera un peu déficitaire, de l’ordre de 159 000 hectolitres, mais il n’y a pas de danger. Nous sortons de deux belles récoltes et nos stocks permettent une bonne vitesse de croisière. L’autre élément, et pas des moindres, c’est la qualité. La bulle ayant besoin d’acidité et de fraîcheur, nous sommes ravis.

Vous évoquez les stocks. Laurent Delaunay, le président du BIVB, pointait aussi cet enjeu dernièrement (lire DBM n°106). La Bourgogne doit-elle surveiller son « garde-manger » ?

C’est un vrai enjeu, et c’est ce qui nous différencie des vins tranquilles en Bourgogne. Nous sommes à Beaune (ndlr, interview réalisée au siège de l’Upecb), je vous mets au défi de trouver dans l’heure un millésime 2020 sur un Marsannay par exemple. Or, en ce moment, les crémants de Bourgogne proposent d’excellents millésimés, des 2018, 2019, 2020… Ça me rassure, les opérateurs ont su constituer des réserves. C’est une façon d’absorber les éventuels coups durs et de proposer d’autres profils de vins.

De manière générale, comment se porte le crémant de Bourgogne à l’aube de ses 50 ans ?

Nous avons vraiment le vent en poupe, avec un export dynamique et un marché français relativement stable. Au niveau mondial, les vins effervescents sont sur des dynamiques de croissance, parce que les occasions de consommation changent, ils ne sont plus seulement associés à des vins de fête. La Bourgogne tourne à 23 millions de bouteilles produites, mais elle profite aussi de la force du mot « crémant », partagé par 9 appellations sur plus de 100 millions de bouteilles. 

Le produit est mieux perçu.

L’image et la notoriété n’ont plus rien à voir. L’AOC est née le 17 octobre 1975 et a mis une trentaine d’années à avoir des volumes satisfaisants. Quand on arrive dans les années 2000-2010, on commence à voir les volumes arriver, mais il n’y a pas d’image ou alors, celle-ci est surannée, collée à l’histoire peu flatteuse du « roteux » des anciens. Il existe toujours un décalage entre le moment où une profession définit les règles de production, et le moment où le distributeur, et in fine le consommateur, les comprend et en assimile toutes les subtilités. Je suis provoc en demandant quelle est l’AOC bourguignonne la plus restrictive dans ses conditions de production ? On aurait tendance à dire les grands crus. C’est le crémant de Bourgogne, le seul à obliger la vendange à la main, à avoir des centres de pressurage agréés. 

Nos paradigmes franco-français sont-ils en train de changer ?

Oui, avant, il y avait clairement le champagne et les autres. Or sur le marché français, la tendance se porte sur deux produits effervescents : les crémants au pluriel, dont celui de Bourgogne, et le prosecco. Ce dernier n’a aucun équivalent au monde puisqu’on estime sa production annuelle à environ 750 millions de bouteilles.

Et côté producteurs ?

Le crémant n’est plus l’antagoniste des climats de Bourgogne, bien au contraire. Je prends l’exemple des marques Eminent et Grand Eminent créées par l’Upecb. Le nombre d’entreprises adhérentes est insuffisant et le premier niveau n’a pas été une révolution puisqu’il correspondait déjà à une cuvée spéciale d’un domaine. En revanche, les Grands Eminents ont permis, je pense, de débloquer psychologiquement la Bourgogne qui hésitait à se poser la question : peut-on produire de grands vins effervescents ? 

Le crémant ne connait donc pas la crise ?

Historiquement, les vins effervescents ont souvent joué le rôle d’amortisseurs de crise. Ces vins sont tous rentrés dans une double logique de structure pyramidale, que l’on connait bien en Bourgogne, et de notion géographique qui fait de plus en plus sens. Cela rompt avec la logique de la bulle depuis deux siècles, car la Champagne avait su développer une méthode d’assemblage qui a gagné la planète. 

À combien se vend un crémant de Bourgogne ?

En vente directe domaine, le prix moyen est 11,60 euros. Notre « élastique prix » est en train de grandir. Les cuvées de premier prix commencent à 7 euros en grande distribution, et nous avons de plus en plus de cuvées premium qui passent facilement la barre des 20 euros.

© BIVB/Images et Associés

Sur les 3 500 producteurs de vin en Bourgogne, combien font du crémant ?

Entre 1 500 et 1 600 viticulteurs produisent du raisin dédié au crémant de Bourgogne. Mais on compte à peine 140 élaborateurs agréés, c’est-à-dire des opérateurs qui ont la pleine maîtrise de la bulle.

Ce nombre d’élaborateurs peut-il encore progresser ?

Non, pour la bonne et simple raison que produire de la bulle suppose deux choses : un bon compte en banque, parce que la production coûte cher et que l’on immobilise de l’actif ; et une maîtrise technique de toute une phase d’élaboration, sur des chaînes de matériel très particulières.

Les domaines font-ils de plus en plus le choix d’intégrer le crémant à leur gamme ?

La diversification intéresse beaucoup les producteurs. On constate que certains beaux domaines veulent produire une petite quantité, 1 000, 2 000, 3 000 bouteilles, pour faire des crémants de Bourgogne dans le même esprit de qualité, avec un positionnement premium. C’est récemment le cas d’un très beau domaine de la côte, qui produit de très grands vins, et qui devrait sortir ses premières cuvées d’ici trois ans après avoir fait le choix de planter 2 hectares de pinot noir dédiés au crémant. Dans ces cas précis, on dépasse les prix de vente habituels.

2025 marque votre cinquantenaire. Comment allez-vous souffler ces bougies ?

Finalement en s’appuyant sur le dynamisme de nos opérateurs. Nous allons recenser et partager toutes les opérations qui auront lieu chez les producteurs à destination du grand public : dégustations spéciales, expositions, portes-ouvertes… Nous serons aussi présents à la Cité des Climats à travers de sympathiques conférences, la paulée de la Côte chalonnaise et le château du Clos de Vougeot nous feront un clin d’œil… Puis nous éditerons un beau livre anniversaire, qui aura l’immense mérite de mettre à jour l’histoire multiséculaire du crémant de Bourgogne grâce aux travaux de Thomas Labbé et Guillaume Grillon. On le croyait né autour de 1820, à Tonnerre et Nuits-Saint-Georges. Mais nos récentes recherches ont permis de dénicher des mentions, en anglais, de vins mousseux de Bourgogne près de cent ans plus anciennes, dès 1726.

Vous accueillerez également le congrès national des crémants.

La Fédération nationale des Crémants de France se réunit tous les ans. Cela permet à tous les producteurs de crémants de France de se retrouver et de partager. Nous accueillerons son congrès mi-juillet, concomitamment au concours des crémants de France et de Luxembourg, dans lequel chaque région productrice peut présenter des vins. La dégustation se déroulera à l’Abbaye de Maizières. Nous en profiterons pour fêter notre anniversaire avec nos amis professionnels.

Sur un plan plus personnel, vous êtes le « monsieur crémant » de la Bourgogne. Comment devient-on ainsi « frappé » de la bulle ?

Je fête mes 24 ans à l’Upecb et en suis fier. La bulle m’a passionné par hasard. Natif de Mercurey, je suis issu d’un domaine viticole familial – qui ne produit pas de crémant – repris par ma sœur, alors que je me destinais à une carrière de juriste spécialisé dans le droit rural, le droit de la vigne et du vin. À 28 ans, l’Upecb m’a séduit car il y avait tout à bâtir. J’y suis arrivé comme chargé de la communication interne et externe à l’antenne de Mâcon, notamment pour aider à bâtir la création d’un vignoble spécifique. L’histoire ne m’a pas trompé car la bulle est plutôt une success story, surtout en Bourgogne. Il faut bien avoir conscience qu’ailleurs, ce n’est pas la fête. On parle arrachage et gestion de crises. Les agriculteurs sont dans les rues et les viticulteurs aussi. La Bourgogne, mis à part des situations individuelles, est vraiment la région par excellence qui s’en sort bien. Et dans ce collectif, s’il y en a un qui n’a vraiment pas à se plaindre, c’est le crémant de Bourgogne