Alors que Dijon fête les 60 ans de son lac, retour sur le parcours hors du commun de Félix Kir, un personnage au charisme affirmé qui a su porter haut l’uniforme militaire autant que la soutane ou l’écharpe de maire… et continue de vivre dans la mémoire de tous les Bourguignons.
Article publié dans Bourgogne Magazine n°37 en juin 2014
Par Emmanuelle de Jesus et Antoine Gavory
Il a donné son nom au lac artificiel qu’il a souhaité créer à l’ouest de Dijon. Pourtant lorsque l’on évoque le chanoine Kir, ce n’est pas à l’eau que l’on pense mais au cocktail éponyme, qui fête cette année ses 110 ans. Mais pas seulement… le pittoresque maire de Dijon (de 1945 à sa mort en 1968, quelques jours avant les événements de mai) a en effet laissé le souvenir d’un résistant, d’un tribun aux réparties parfois lestes, et surtout du dernier député siégeant en soutane sur les bancs de l’Assemblée nationale. Une autre époque !
« Et mon cul, tu l’as pas vu ? »
Issu d’une famille installée depuis plusieurs générations à Alise-Sainte-Reine, Félix Kir naît en 1876. Ordonné prêtre en 1901, il occupe les fonctions de vicaire à Auxonne, curée à Drée, vicaire à Notre-Dame de Dijon de 1904 à 1910, curé de Bèze de 1910 à 1924. Pendant la Première Guerre Mondiale, il sera mobilisé à Châtillon-sur-Seine parmi le personnel hospitalier. De 1924 à 1928, on le retrouve curé à Nolay puis il est nommé chanoine honoraire en 1931.
C’est en 1940 que le chanoine commence à bâtir sa légende: alors que le maire de Dijon Robert Jardillier a quitté la ville, Kir est nommé membre de la délégation municipale de Dijon. Il permet l’évasion de milliers de prisonniers de guerre français du camp de Longvic. Cela lui vaut d’être arrêté et déchu de ses fonctions politiques, ce qui ne l’empêchera pas de faire montre de son patriotisme. Il sera d’ailleurs à nouveau arrêté en 1943. Le 26 janvier 1944, il est même victime d’un attentat perpétré par des Français à la solde de l’occupant. Blessé, Kir échappe à la Gestapo en quittant Dijon qu’il retrouve le 11 septembre 1944, jour de sa Libération où il entre en triomphateur juché sur un char ! Deux ans plus tard, Kir est nommé chevalier de la Légion d’Honneur, et cité à l’ordre de l’armée.
Dès mai 1945, le chanoine est élu maire de Dijon. Il sera réélu en 1947, 1953, 1959 et 1965, ce qui doit laisser rêveur bien des candidats. Il deviendra aussi conseiller général de Côte-d’Or et député de 1945 à 1967. Le cumul des mandats ne date donc pas d’aujourd’hui. Doyen de l’Assemblé nationale, Kir présidera à ce titre la première séance de la toute jeune Ve République de 1958.
La soutane, qu’il portait sur les bancs de l’Assemblée n’est pas le seul coup d’éclat du truculent chanoine. On raconte qu’il prit un jour le képi pour régler la circulation à Dijon, et répondit à un élu communiste l’accusant de croire en un Dieu qu’il n’avait jamais vu: « Et mon cul, tu l’as pas vu et pourtant il existe ! » Pas forcément très élégant, mais efficace.
Outre le lac artificiel créé à sa demande pour réguler les crues de l’Ouche et agrémenter Dijon, et l’essor des quartiers de la Fontaine-d’Ouche, Kir a donc laissé son nom au cocktail servi aux banquets de sa mairie, fait de crème de cassis de Dijon et d’aligoté. La recette originale n’a pas changé mais les proportions si, l’aligoté d’aujourd’hui ne faisant pas friser les dents comme autrefois. C’est pourtant à un autre maire de Dijon, Henri Barabant (élu de 1904 à 1908) que l’on doit probablement l’invention du cocktail, déjà servi dans les salons municipaux.
Camarade Khrouchtchev
Kir en restera l’ambassadeur universel puisqu’on raconte qu’il ne partait jamais à Paris sans son cabas contenant les ingrédients nécessaires à la fabrication du mélange, dont il faisait profiter l’entourage… Et puisqu’on parle de mélange, cet homme marqué à droite, mais ouvert au dialogue, fut aussi celui qui rencontra Nikita Khrouchtchev, lors d’une visite en France de ce dernier, puis au Kremlin à Moscou. Une première rencontre aurait dû avoir lieu à Dijon mais n’a pu se produire mais peu importe. En l’honneur du Premier secrétaire du Parti communiste de l’URSS, fut créé dans les cafés de Dijon le « double K » : un kir classique auquel est additionnée de la vodka.
Résistance à l’oppression, truculence verbale et attachement au terroir : ce fut en tout cas le cocktail qui permit à Félix Kir (sans le secours des sondages d’opinion, des think tanks et des conseillers en communication !) de battre des records de popularité. Et puisqu’il ne faisait rien comme tout le monde, cet homme haut en couleurs mourut des suites d’une chute dans les escaliers, à 92 ans.