Jean-Pierre Soisson, ses sentiers de la mémoire

Retiré de la vie publique depuis quelques années, Jean-Pierre Soisson vient de sortir ses mémoires aux éditions de Fallois: Hors des sentiers battus revient sur le parcours d’un animal politique, maire d’Auxerre de 1971 à 1998, député de 1968 à 2012. Premier symbole de l’ouverture, il fut aussi bien ministre de Giscard que de Mitterrand. En Bourgogne, son nom reste lié au pacte passé en 1992 avec le FN pour garder la tête de la Région. Un épisode sur lequel il revient dans son livre, sans oublier son amour du chablis, de la littérature et des grands hommes de l’histoire.

Par Emmanuelle de Jesus et Antoine Gavory / Agence Proscriptum – Photos : D. R.
Article extrait du mensuel gratuit Dijon-Beaune Mag

soisson1A 80 ans, Jean-Pierre Soisson publie ses souvenirs. Exercice classique pour ceux qui ont dévoué leur vie à servir le pays, avec, le concernant, une nuance de taille: l’ancien « fort en thème », prix du concours général et énarque, grand lecteur, auteur d’une dizaine de biographies historiques (1) n’a pas eu besoin d’un porte-plume pour écrire en son nom ses mémoires. D’ailleurs, un « nègre », même le plus doué, aurait-il été à la hauteur des contradictions de celui qui confesse « détester la routine et la monotonie »(2)?

Madré comme le paysan qu’il revendique être –mais un paysan qui saurait manier le verbe et cacher ses griffes sous des dehors pelucheux, tel le Raminagrobis de la fable– Jean-Pierre Soisson a su manœuvrer avec habileté durant quarante ans pour rester au sommet des responsabilités politiques et s’imposer comme ministre aussi bien durant le septennat de Valéry Giscard d’Estaing que sous le second mandat de Mitterrand.

Pourtant, rien ne destinait ce fils de commerçant à devenir un grand commis de l’Etat : son père rêvait plutôt de le voir « faire » HEC. Mais au retour de la guerre d’Algérie qu’il effectue avec le grade de sous-lieutenant, c’est vers l’Ena que Jean-Pierre Soisson se tourne, avant d’intégrer la Cour des comptes. Ce seront ensuite les cabinets ministériels, puis Soisson devient un des lieutenants du bouillonnant Giscard d’Estaing.

Dès 1974, il est secrétaire d’État aux universités –où il œuvre pour une plus grande autonomie des campus– avant de devenir ministre de la Jeunesse, des Sports et des Loisirs dans le gouvernement de Raymond Barre pour lequel il a une tendresse et un respect particuliers. Absent de Paris durant le premier septennat de François Mitterrand, Soisson consolide sa stature d’homme fort de la Bourgogne : maire inamovible d’Auxerre de 1971 à 1998, il sera aussi député de l’Yonne, constamment réélu depuis 1968, tout en animant le Parti républicain dont il est un fondateur.

Animal politique intelligent

En 1988, il rejoint pourtant Mitterrand. On conçoit sans peine ce qui a pu lier ces deux hommes: un épicurisme érudit, l’amour de la Bourgogne, un goût commun pour la grandeur culturelle et historique de la France. Sans compter un talent certain pour louvoyer entre principes et realpolitik appliquée à sa propre carrière au nom de l’intérêt de la France… Ce que d’aucuns nommeront « trahison » envers sa famille politique, d’autres le baptiseront ouverture. C’est au nom de celle-ci que Soisson enchaînera les maroquins alors que valsent les Premiers ministres : sous Rocard, Soisson est ministre du Travail, puis de la Fonction publique avec Edith Cresson, avant de se reconvertir en ministre de l’Agriculture de Pierre Bérégovoy.

En Bourgogne, c’est évidemment 1992, et le pacte avec le Front national grâce auquel il est élu président de Région, qui reste dans les mémoires. S’il n’élude pas cet aléa de sa vie publique, Soisson rejette toute idée de fraternité d’idées avec le FN, à sa façon : « On m’a reproché mes amitiés avec l’extrême-droite alors que je suis un bon bon vieux radical paysan… »(3)

Dans le contexte actuel d’irrépressible montée du parti des Le Pen dans les différentes élections, cet épisode apparaîtra sans doute comme fondateur aux commentateurs doués d’un peu de mémoire… A ce titre, mais aussi pour apprécier le style, la culture et la complexité d’un animal politique intelligent (la combinaison se fait rare, à l’heure où la communication a remplacé l’érudition), la lecture de ces mémoires de Jean-Pierre Soisson est un régal.

(1) Dont Charles le Téméraire (1997, Grasset), Marguerite de Bourgogne (2003, Grasset), Paul Bert (2008, Ed. de Bourgogne) (2) Interview d’Auxerre TV (3) Interview de France 3

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En 1980, Jean-Pierre Soisson, alors ministre de la Jeunesse, des Sports et des Loisirs, est reçu en grande pompe au salon Neige et Montagne. © Studio Pierre Zélény / Coll. Philippe Sérénon
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Soisson ministre des Sports en pleine discussion avec Albert Ferrasse, président de la Fédération française de rugby. © Panoramic