Sylvie et Benoit Charbonnaud ont imposé la Route du rhum et 55 jours de roulis à leur bouzeron 2013. Au bout du voyage, on s’aperçoit que ce vin se goûte bien aussi quand il ne quitte pas sa Bourgogne.
En 2000, Sylvie et Benoit Charbonnaud découvrent leur soif d’eau et de grand large au cours d’une croisière reliant Lorient aux Açores en 2000. Quelques autres navigations expérimentales sur les côtes françaises suivront. Jusqu’à cette rencontre avec Marc Lepesqueux l’année dernière.
Le skipper de la Route du Rhum peine à boucler son budget et les Charbonnaud proposent de puiser quelques bouzerons dans les réserves de leur domaine de l’Excellence à Rully, pour aider le marin à célébrer sa course avec ses sponsors avant de conduire à bon port son « Class 40 ». Ils le persuadent en même temps d’embarquer avec lui un magnum et une bouteille de bouzeron 2013. Les nouveaux mécènes se prennent tellement au jeu qu’ils obtiennent la promesse, pour leur part, de pouvoir ramener eux-mêmes le bateau au retour.
La course démarre par temps fort. Les bouteilles font leur baptème de mer au fond de la cale. Les Charbonnaud rentrent au bercail. Sauf que, aléas de la course obligent, Marc Lepesqueux est contraint et très vite forcé de revenir en catastrophe à Cherbourg. La quille a rendu l’âme. Il décide alors de reprendre son ancien bateau de la Route du rhum pour refaire le trajet, hors course, sans oublier d’embarquer ses précieuses quilles d’un genre un peu spécial puisqu’elles contiennent le produit d’un joli cépage de Bourgogne.
Le 10 janvier, les mécènes vignerons de la Côte chalonnaise rejoignent les Antilles avec trois autres marins. Il est temps de ramener le bateau. Trois grosses semaines « entre paradis et enfer », durant lesquelles le soleil et les poissons volants cèdent la place aux avaries, aux voiles déchirées et à la pluie et au froid. Le bouzeron aura ainsi navigué durant 3 mois et demi dont 55 jours de mer. « Notre devise: l’eau sert à naviguer, le vin sert à voyager » martèle Benoit Charbonnaud, persuadé en fait que nos vins se souviennent que la mer en question recouvrait la Bourgogne pendant l’ère secondaire.
Les vins du roulis
Il est vrai qu’à une certaine époque on identifiait les vins voyageurs avec des étiquettes explicites revendiquant qui un retour des Indes, qui un retour de Calcutta ou de Chine, comme un argument de valorisation. Théophile Gauthier n’évoquait-il pas lui-même un « grand Laffite de retour des Indes »? Les Anglais n’appréciaient-ils pas mieux ces madères, appelés les « vinhos da Rhoda » (vins du roulis) qu’ils s’offraient à des prix déraisonnables?
Alors, une question se pose: qu’apportent donc le roulis à un bouzeron? Pour y répondre, avec l’aide de l’œnologue Nadine Gublin, les Charbonnaud ont récemment convié du beau monde à une dégustation comparative au cœur du village de Bouzeron, dans le restaurant le Bouzeron, chez Ludovic et Emilie Briday. Parmi les dégustateurs, de jolis palais comme celui de Pierre de Benoist le président de l’appellation bouzeron, cela s’imposait, mais aussi du chef étoilé de Montceau Jérôme Brochot, du directeur de l’Union des Producteurs des Crémants de Bourgogne Pierre du Couédic et quelques gens de plume.
Il est temps, maintenant, de livrer la conclusion de cette expérience. Qui n’a rien de spectaculaire. Si ce n’est, sans tomber dans l’intellectualisme d’usage, un constat assez schématique: les vins qui voyagent bousculent les équilibres aromatiques alors que ceux qui restent conservent, en toute tranquillité, leur précision et leur netteté. Un phénomène encore plus lisible chez les magnums.
Personnellement, cela nous conforte dans l’idée que le bouzeron, tout comme la plupart des bourgognes réalisés dans la finesse, se goûtent finalement mieux en Bourgogne qu’ailleurs, surtout après avoir furieusement vadrouillé. Chers amis du bout du monde, venez donc chez nous et vous verrez…
©photos D.R