Cet été, Bourgogne Magazine et Dijon-Beaune Mag ont défié les auteurs en herbe dans le cadre du salon Livres en Vignes : écrire une lettre (plutôt qu’un courriel), en posant les bases d’une énigme dans le contexte d’un événement ou d’un lieu se rapportant à la Bourgogne en 2013.
Le jury s’est délecté à la lecture de ces nombreuses lettres reçues, et le coeur serré, a dû se résoudre à faire son choix pour désigner le palmarès. Lequel sera publié, ainsi que les missives gagnantes, dans le numéro de novembre de Bourgogne Magazine.
L’une d’elles a été mise en images par Christian Moccozet. Le village de Couches sert de décor à une intrigue que n’aurait pas boudé le jury du Festival du film policier de Beaune. Justement, tout est lié et la coïncidence n’est pas si anodine…
Couches, le 4 avril 2013,
Bonjour Didier,
Depuis quatre ans, je vis à Couches, chez ma tante.
Je m’ennuie à « remourir »…
J’ai lu tous les livres de la petite bibliothèque, j’ai fait tous les mots croisés des « Bonne soirée » du placard du salon, aux pages ramollies par l’humidité, j’ai fini d’écrire ma vie.
Je n’ai pas le droit de sortir.
Alors maintenant, je passe mes journées devant la télévision. Je connais les programmes par cœur.
Hier soir, dans le salon sans fenêtre, qui sent le moisi et le renfermé, je regardais les actualités régionales.
Soudain, vous êtes apparu. Mon cœur s’est arrêté de battre encore une fois. Même avec votre nouveau nom, vos cheveux teints, votre nez remodelé et votre barbe, je vous ai reconnu tout de suite ! Je vous mangeais des yeux. Enfin, je vous mordais plutôt.
En bas de l’écran, sous votre visage, il y avait écrit « Festival du film policier de Beaune 2013, Didier Micourt, président du jury du prix du Sang neuf ». J’ai tout de suite pensé que le rôle vous allait comme un gant : « Prix du Sang neuf »… C’est vous qui l’avez baptisé ?
J’ai profité de l’absence de ma tante pour lui emprunter son ordinateur et j’ai tapé avec fièvre votre nom sur Google : « Didier Micourt ». J’ai découvert qu’après avoir été un assez bon comédien, vous étiez devenu metteur en scène. De crime sans aucun doute.
Puis, j’ai regardé en boucle l’extrait des actualités régionales. Je n’aurais pas dû… Je me suis fait mal.
Ma tante allait rentrer et j’ai vite rangé l’ordinateur à sa place. Je n’ai pas le droit d’y toucher.
A table, je n’ai pas mangé. Tante Marie avait l’air un peu inquiète. J’ai prétexté une migraine en touchant ma tête. Dans ma chambre, je n’ai pas pu fermer l’œil.
J’ai ouvert la fenêtre. Je ne l’ouvre que la nuit d’autant que le bruit des voitures ne peut pas me gêner. En me penchant, je vois la tour du château où erre encore le fantôme de Marguerite de Bourgogne.
Mais hier soir, c’est tout ce que j’essaie d’enterrer depuis quatre ans qui est revenu me hanter.
Sur l’écran de mes paupières, j’ai vu défiler toute l’histoire de cette femme, professeur d’histoire à l’université de Dijon, mariée à un bel informaticien.
Marguerite et Louis habitaient rue Saumaise.
Je sais l’amour sans fin qu’elle éprouvait pour son mari. Même après des années de mariage, elle avait toujours le ventre serré à chaque fois qu’elle le regardait, un délicieux pincement qu’elle connaissait bien…
Seulement, un samedi de mars, il y avait beaucoup de bruit dans la cage d’escalier. Mathilde avait emménagé au deuxième étage. Elle avait sonné à l’appartement, apparition inoubliable. Des cheveux blond vénitien, un regard vert émeraude, une voix ensorcelante… C’est Louis qui lui avait ouvert la porte. Elle avait besoin d’aide pour ouvrir la fenêtre. Il était redescendu une heure plus tard…
Ce même printemps, petit à petit. Louis changea. Marguerite en souffrait. Il ne lui courait plus après dans l’escalier lorsqu’ils rentraient tard d’une soirée. Il restait silencieux à table. Il ne portait plus la veste élimée qu’elle lui avait demandé à maintes reprises de mettre au rebut. Il se couchait tôt.
Le 12 mai, Marguerite se retrouva nez à nez dans l’escalier avec Louis qui descendait du deuxième étage. Lui, qui n’avait jamais su bricoler, raconta que Mathilde avait eu un problème de chauffe-eau qu’il venait de résoudre.
La vie de Marguerite devint insupportable. Elle parla de ses soupçons à Louis qui éclata de rire et la prit dans ses bras.
Le samedi 15 août 2009, il emmena Marguerite en balade dans la forêt de Francheville. Ils marchèrent deux heures. Louis était sur ses pas. Les feuillages ténébreux diffractaient les rayons du soleil… Marguerite frissonna.
Tu sais où on est ? dit-elle.
Non !
J’ai peur !
Mais non, tu n’as pas peur…
Sa voix était doucereuse. Marguerite sentit soudain avec effroi les doigts de Louis se resserrer sur son cou, le comprimer jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus aspirer d’air, ni expirer, ni crier, ni penser… Ses yeux effarés et ahuris s’agrandirent d’horreur. Elle perdit connaissance et fut aspirée par une lumière blanche au bout du tunnel…
Ses doigts bougeaient dans la nuit froide. Les pensées remontaient lentement jusqu’à sa tête. Sa voix résonnait dans l’amphithéâtre Bachelard : « Le 15 août 1315. Louis le Hutin fait étrangler Marguerite de Bourgogne »… Ses mains touchèrent sa gorge douloureuse. Elle avait si mal quand elle respirait… Elle cria… Aucun son ne sortit de sa bouche… Elle parvint à se lever. Elle ne sait plus combien de temps elle marcha. Le soleil brillait quand elle arriva sur une route et s’assit dans le fossé. Une voiture s’arrêta. La femme au volant lui parlait mais aucun son ne sortait de sa bouche…
La perte de l’audition est une des séquelles de l’étranglement.
Marguerite
PS : au fait, Louis, j’envoie le double de cette lettre à la police. Tu peux m’écrire, mais ne cherche pas à me téléphoner : je resterai sourde…