Jean Battault et Yves Bruneau sont depuis 16 ans les capitaines de Dijon Congrexpo. Le président et le directeur général de l’association qui gère le Palais des Congrès et des Expositions ne comptent pas seulement sur la Foire Internationale et Gastronomique pour tracer leur voie, la première édition d’Auto Moto Rétro en témoigne. C’est autour d’une belle bouteille effervescente qu’ils dévoilent certaines clés de leur système bicéphale, aussi efficace qu’ambitieux.
Propos recueillis par Dominique Bruillot
Pour Dijonbeaunemag.fr
Photos : Jonas Jacquel
Dijon-Beaune Mag : Le tandem Battault-Bruneau fonctionne depuis maintenant 16 ans. Comment définiriez-vous votre mode de collaboration?
Jean Battault : L’important, pour l’avoir vécu dans d’autres associations ou entreprises, est que chacun soit à sa place. Un président préside et un dirigeant dirige. La notion me parait essentielle, chacun doit avoir conscience de son rôle sans empiéter sur le domaine de l’autre. Il faut aussi que la confiance soit totale. Entre nous, il n’y a pas de nécessité de « reporting » organisé. Il se fait naturellement, au quotidien.
Comment est organisée votre gouvernance générale ?
Yves Bruneau : Il existe plusieurs strates. Il y a d’abord l’assemblée générale. Elle regroupe tous les membres de l’association loi 1901. Ce sont des volontaires qui paient une cotisation pour être membres de Dijon Congrexpo. Cette assemblée élit un conseil d’administration, pour définir les grandes lignes de la stratégie. Enfin, le conseil élit lui-même un bureau, composé d’une dizaine de membres, qui est véritablement le premier organe exécutif, en appoint du président. C’est un ensemble homogène, collégial, où le président a toute sa prééminence.
De nouveaux chefs d’entreprise (*) ont rejoint le bureau de Congrexpo cet été. Quelle est leur importance ?
Y.B : Ils sont le relais de la vie dijonnaise. Ils font passer et nous remontent des messages.
J.B : Il faut savoir que la foire de Dijon a été créée par des industriels locaux il y a environ 90 ans pour assurer la promotion de leurs produits. Trois ans plus tard, 60% de leurs créateurs faisaient naître la Confrérie des Chevaliers du Tastevin, autre événement qui a transcendé le temps. Pourquoi ce succès ? Parce que les événements étaient gérés par des chefs d’entreprise, selon les méthodes des chefs d’entreprise. La foire a donc des liens indéfectibles avec l’esprit entrepreneurial. Notre recrutement va dans ce sens-là.
Cela dit, le mode de fonctionnement est avant tout associatif. Comment protège-t-on le caractère entrepreneurial de ce système ?
J.B : Par une cooptation intelligente. Nous avons décidé d’accéder à une nouvelle génération de chefs d’entreprise. Je pense que nous disposons du meilleur échantillonnage local, avec des gens engagés et compétents.
Quels sont les grands chiffres qui définissent votre activité?
Y.B : Notre chiffre d’affaires atteint 7 millions d’euros, lorsqu’il n’y a pas Florissimo (ndlr : grand salon organisé tous les cinq ans), dont 3,5 millions pour la foire. L’autre moitié représente nos autres manifestations, la location d’espaces et la vente de billets aux visiteurs. À ce titre, la part des entrées représente entre 10 à 15% du chiffre d’affaires de la foire selon les années. J’insiste d’ailleurs sur le fait que la foire n’est pas gratuite, et qu’elle ne doit pas l’être.
Pourquoi cela ?
J.B : Parce que ce système sélectionne les visiteurs : une personne ayant la démarche de payer ira consommer. Elle est dans le processus d’un acte beaucoup plus clair qu’un chaland moins impliqué. Nous tenons vraiment à ce que cette participation à la foire ce soit un acte volontaire, pour ne pas dire engagé.
Parlons infrastructures. Avons-nous globalement les structures d’accueil à la hauteur d’une ville qui se dit métropole ?
Y.B : Il faut distinguer le palais des Congrès et le palais des Expositions. Le premier date de 1997, il est relativement récent et correspond aux normes technologiques avancées. Le parc des Expositions, lui, date de 1953. S’il y a eu des ajouts depuis, il est un peu vieillissant. D’autant que le Hall 1, qui fait 12 000 m², n’est pas chauffable, donc utilisable très peu de temps dans l’année. C’est un problème, tout comme le fait que le parc soit situé en centre-ville : il est difficile d’accès en voiture et il n’y pas beaucoup de possibilités réelles de stationnement pour les visiteurs et surtout pour les exposants. C’est une difficulté à laquelle nous sommes confrontés tous les ans.
La Cité de la Gastronomie et des vins se positionne comme un terrain de l’événementiel. Avez-vous eu des contacts ?
J.B : Les choses ont ceci de particulier qu’il n’y a pas simultanéité des événements. Nous existons depuis longtemps et, quelque part, si Dijon a obtenu une réputation gastronomique et qu’elle voit apparaitre la Cité, c’est parce qu’il y a eu la foire avant. Il y a un lien de cause à effet. Arrive cette Cité, à qui je souhaite bon vent, et les choses n’étant pas encore totalement définies, nous n’avons pas eu d’échanges. C’est encore prématuré. Nous attendons, sans aucune forme de préjugé.
Congrexpo aurait un rôle à jouer, ou ce sont deux histoires parallèles ?
Y.B : Tout dépend du mode de gestion de la future Cité. Nous sommes dans une mission de délégation de service public : nous avons un contrat avec la Ville, qui est propriétaire. Nous lui versons un loyer d’environ 300 000 euros, nous entretenons le patrimoine et nous faisons vivre la structure. C’est un choix déterminé que d’être géré comme une entreprise privée, avec une mission de service public et sans subventions pour garder une autonomie. Ce modèle économique, on ne le connaît pas pour la Cité. Il faudra voir si cela est compatible.
Pourquoi ne pas glisser vers un mode d’exploitation autre qu’associatif ?
J.B : Tout simplement parce que l’associatif correspond à l’esprit de cette maison. Un exemple concret : je suis à chaque fois sidéré de voir à quel point les bénévoles, pour une cause gastronomique, se dépensent sans compter. Si nous étions une entreprise de droit privé, je ne suis pas sûr du même enthousiasme… Puis, nous serions entièrement tournés vers la profitabilité. Alors qu’actuellement, nous pouvons lancer des projets à faible voire à rentabilité nulle car nous sommes dans l’esprit de la promotion de la ville de Dijon, de la Côte-d’Or et de la Bourgogne.
On constate malgré tout une érosion de la fréquentation. Est-ce une fatalité ?
J.B : Je ne vois pas d’érosion, honnêtement. Ou alors, elle est à la marge. La vraie question, plus globale, est de savoir si le modèle économique des foires durera encore dans cet état. L’attrait a tendance à diminuer dans le paysage français mais je considère Dijon comme une exception. L’attachement des Dijonnais à la foire, et pas seulement les Dijonnais d’ailleurs, est extrêmement fort. L’essentiel de notre visitorat est âgé d’une trentaine d’années, urbain ou suburbain. Ce qui laisse beaucoup d’espoirs, car il poursuivra ce mode de consommation dans l’avenir.
Y.B : Le modèle des foires généralistes est chahuté en ce moment. Notre foire continue à bien fonctionner (ndlr : environ 170 000 visiteurs chaque année) grâce à sa forte connotation festive, et pas seulement agro-alimentaire. Nous avons certes perdu des visiteurs. J’y vois la conjonction de plusieurs faits : la crise économique est là, c’est une évidence. Et il ne faut pas nier que les travaux du tramway pendant deux ans ont découragé quelques visiteurs, surtout extérieurs au département. Nous avons d’ailleurs fait une étude très précise : la perte s’établit autour des 35 000 personnes, que nous n’arrivons pas à récupérer.
Pour le Dijonnais, le tram est finalement un avantage…
Y.B : C’est en effet un avantage considérable. Maintenant, 50% des visiteurs vient en tram. C’est très positif. Le deuxième avantage du tram, encore plus considérable, concerne le palais des Congrès. Le trajet est d’à peine 15 minutes depuis la gare, ce qui est très apprécié des congressistes. 2016 va d’ailleurs être une année record concernant les congrès. En chiffre d’affaires, nous sommes à près du double de ce que l’on fait habituellement.
Venons-en à Vinidivio, qui a invité l’Allemagne cette année. Ce salon est-il un événement dans l’événement, ou voulez-vous en faire une excroissance à part entière ?
J.B : En fait, il y a deux étages dans la fusée : l’invité général de la foire est le pays dans son ensemble, en l’occurence l’Allemagne. Et l’invité Vinidivio est la région viticole de Rhénanie-Palatinat.
Cela suppose d’inviter systématiquement un pays producteur de vin ?
Y.B : Oui, nous ne pourrions pas accueillir un pays qui ne fait pas de vin dans l’une de ses régions.
Et concernant l’autonomie de Vinidivio ?
J.B : Je ne pense pas qu’il faille en faire un événement à part. La foire est un temps fort, avec un grand pouvoir d’attraction. Nous avons tout intérêt à capitaliser dessus. C’est un train, il faut accrocher le plus de wagons possibles à la locomotive ! Si l’on ressort ce wagon plus tôt dans l’année, cela ne fonctionnera pas.
Y.B : D’autant que le modèle économique de Vinidivio n’est pas autonome. Il est rendu possible car la machine foire est là.
Parlons du « petit dernier » de Congrexpo : le salon Auto Moto Rétro, qui s’est tenu les 19 et 20 mars. Quel est le pari derrière ?
Y.B : Nous voulons l’installer dans le paysage français, et pourquoi pas européen, des voitures anciennes. Nous avons tout de même une « concurrence » du salon Epoqu’auto à Lyon, qui a une quarantaine d’années et qui bénéficie du potentiel de la région Auvergne-Rhône-Alpes qui n’est pas le nôtre. Mais nous ne désespérons pas d’en faire une référence dans le Grand Est. C’est très bien parti, car pour la première édition – qui était compliquée à mener car nous sommes partis de rien – nous avons reçu 18 000 visiteurs en deux jours et demi pour quelque 400 voitures.
Quid du chiffre d’affaires ?
Y.B : 300 000 euros environ. C’est encore marginal, mais nous avons bénéficié d’une couverture médiatique exceptionnelle. Notamment de la part de la « bible » de la voiture de collection, La Vie de l’Auto. Elle nous a consacré un article dithyrambique et le journaliste présent nous a dit que c’était la première fois qu’il voyait un premier salon de cette qualité. C’est encourageant. Nous nous sommes appuyés sur les clubs, qui ont beaucoup aidé, et sur des particuliers qui ont emmené des voitures. Nous espérons progresser avec les marchands de voitures, qui amènent des recettes. Les marchands venus à Dijon ont promis de revenir, à tel point que nous avons dû faire ce rendez-vous tous les ans au lieu d’un bisannuel.
J.B : Nous commençons à établir une solide clientèle locale grâce à notre réseau. Cela tient une fois de plus à la forme associative de notre organisme.
Pour finir, quelle est la prochaine échéance de reconduction de l’exploitation de Congrexpo ?
J.B : Fin 2017. Nous sommes candidats à notre propre succession, cela va sans dire. D’où l’importance des relations entretenues avec la Mairie. Eux ont aussi besoin de notre savoir-faire pour animer l’économie de la ville.
(*) Patrick Jacquier (Central Hôtel, président de l’Umih 21 et vice-président de la CCI), Emmanuel Chevasson (Pacotte et Mignotte), Pascal Denis (Vernet-Berhinger, président du comité Bourgogne du commerce extérieur de la France) et Jérôme Richard (Réseau Concept, Via Voyages, Frenchwines.com)