La célèbre Librairie gourmande parisienne se fera une place au sein de la future Cité Internationale de la Gastronomie et des Vins de Dijon. C’est aussi une histoire de bon(s) sens et de coup de foudre avec la ville, comme en témoigne celle qui en a la responsabilité, Déborah Dupont.
Propos recueillis par Dominique Bruillot
Photo : D.R.
Dans le milieu des années 80, Geneviève et Marcel Baudon, bouquinistes sur les quais de Paris, spécialisés dans les revues de cuisine, sont « victimes » de leur succès. Ils s’offrent une minuscule boutique (25 m2 accessibles au public), rue Dante, dans le 5e arrondissement. En 2002, quand sonne l’heure de la retraite, la désormais mythique Librairie gourmande est sauvée de la disparition grâce à la riche voisine du dessus, une Américaine, Anny Prevost.
Le provisoire n’étant pas fait pour durer, quatre ans plus tard, l’établissement est à nouveau à vendre. Bardée de diplômes universitaires mais plus encore passionnée par la gastronomie, Déborah Dupont rencontre alors Anny Prevost. À l’automne 2006, elle découvre le métier de libraire. L’hiver suivant, elle finit par acheter le fonds de commerce.
Jugé trop petit, le local de la rue Dante est abandonné. La Librairie gourmande est déplacée dans le deuxième arrondissement, rue Montmartre, « tout proche des anciennes Halles et du Ventre de Paris, où se trouvent encore des enseignes de vente de matériel professionnel de cuisine et pâtisserie : Dehillerin, Mora, La Bovida, A. Simon… » De 110 m2, la librairie passera à 250 m2 et fera même des « petites sœurs ». Dijon sera la sixième du nom. Déborah Dupont nous dit le reste…
Comment en êtes-vous venue à vous intéresser à Dijon?
J’ai envie de répondre que Dijon s’est intéressée à moi tout autant que je me suis intéressée à elle, et au même moment, c’est-à-dire courant 2016. Je suivais les différents projets de Cités de la gastronomie car je pense pouvoir y apporter une offre différente de ce qui existe, aussi j’ai répondu immédiatement de manière très positive à la question d’une ouverture d’une Librairie gourmande à Dijon.
En quoi cette destination vous semble plus « gourmande » qu’une autre?
Déjà par un souvenir personnel, à l’âge de 13 ou 14 ans, ma maman nous avait emmenés mon petit frère et moi à l’Hostellerie de Levernois où j’ai eu ma première vraie émotion gastronomique avec une cocotte lutée d’escargots dont je me souviens encore plus de vingt ans après. Ensuite parce qu’avec l’âge, j’ai appris à découvrir les vins de Bourgogne (et du Jura, ayant de la belle famille du côté de Champagnole).
« Ma maman nous avait emmenés mon petit frère et moi à l’Hostellerie de Levernois où j’ai eu ma première vraie émotion gastronomique »
Enfin parce que la Librairie m’a permis de travailler à la fois avec les responsables du fonds gourmand de la bibliothèque patrimoniale de Dijon, et des chefs passionnés et passionnants, collectionneurs de livres de cuisine. Je pense notamment à Nicolas Isnard et David Comte de l’Auberge de la Charme à Prenois ou à Louis-Philippe Vigilant de Loiseau des Ducs.
Êtes-vous vraiment la « plus grande librairie dédiée à la gastronomie et à l’œnologie dans le monde » ?
Oui à ma connaissance, à la fois par la surface (246 m²) que par la richesse du fonds présenté (plus de 20 000 références).
Connaissez-vous l’Athenæum à Beaune ? Si oui, qu’en pensez-vous ?
Oui bien sûr, c’est une très belle librairie mais que je qualifierais de librairie généraliste, pas spécialisée en gastronomie ou œnologie, même si l’Athenæum dispose d’un très beau rayon en la matière, au même titre que la librairie Mollat à Bordeaux ou d’autres grandes librairies généralistes de province. En outre, pour moi, ils sont plus spécialistes du vin de manière générale que de la gastronomie.
Le livre de recettes fait-il toujours vraiment recette?
Le livre de recettes n’est qu’une partie du livre de cuisine. Malgré la concurrence d’internet, des blogs, des sites, les amateurs sont encore largement intéressés par un support papier.
Pensez-vous que nous avons quitté le monde rabelaisien pour un monde plus aseptisé ?
Oui et non. Il y a effectivement une tendance de plus en plus grande vers l’orthorexie alimentaire, mais cela reste un phénomène de marge. Les Français restent attachés aux plaisirs de la table, de manière modernisée mais pas nécessairement aseptisée.
Gérard Oberlé vit en Bourgogne, dans la Nièvre. Fait-il partie de vos références ?
Bien sûr, notamment pour son Fastes de Bacchus et Comus qui reste LA référence en matière de bibliographie gourmande. J’ai la chance d’en avoir encore trois exemplaires en stock. Ainsi que Itinéraires Spiritueux.
Selon vous, à quel public aurez-vous affaire dans le cadre de la « Cité » dijonnaise ?
Un public assez vaste, comme à Paris. À la fois des professionnels qui chercheront de la « documentation » technique, des touristes qui voudront rapporter un « petit bout de France » avec un livre de cuisine française, mais aussi les Dijonnais et tous les gourmands de Bourgogne-Franche-Comté qui pourront découvrir une sélection plus large et ouverte sur des éditeurs plus confidentiels que dans les librairies généralistes de la région.
Votre proposition dijonnaise (surface, références) sera-t-elle en tous points comparable à celle de Paris ?
Non bien évidemment, car Paris restera le support de notre offre internet et donc des expéditions de commandes partout dans le monde (…) La Librairie gourmande de Dijon aura une surface totale de 115m² dont presque 100m² de surface de vente, ce qui, sur une thématique spécialisée, permet de proposer une très belle offre.
« Il y aura une offre plus développée sur le vin que sur Paris »
Un espace sera réservé aux lectures et dédicaces et il sera prévu de pouvoir accueillir aussi des expositions notamment photographiques. Il y aura une offre plus développée sur le vin que sur Paris car les Parisiens ont, je pense, moins d’intérêt pour ce secteur que les visiteurs de la Cité. L’effectif sera vraisemblablement de quatre temps pleins minimum pour assurer une ouverture sur les horaires de la Cité de la gastronomie. Une de mes collaboratrices actuelles, qui est originaire de la région, en assurerait la direction.