Cédric Klapisch a non seulement réussi un film touchant et à la hauteur de ce que la Bourgogne espérait, Ce qui nous lie propose un regard essentiel sur le lien entre la vigne et la nature, ici, le long de la Route des Grands Crus. Un lien quasi biodynamique. Sortie dans les salles le 14 juin.
Par Dominique Bruillot
Pour Bourgogne Magazine N°53
Dès les premières images, le paysage a les couleurs du temps et des saisons. Observateur patient, Cédric Klapisch a fixé son objectif sur le vignoble de la Côte de Beaune une année durant, laissant au sol et au ciel le soin d’imposer leur danse aussi imprévisible que crainte par celles et ceux qui en dépendent, les vignerons. Dès le générique, on sent, on sait déjà que le septième art va enfin rendre à César ce qui appartient à César, rendre à la vigne ce qui appartient à la vigne : son lien historique et indéfectible avec la nature.
Pitch environnementaliste
Sans ce lien, sans ce respect des dimensions cosmiques qui font et défont les plus grands vins du monde, l’histoire de ces trois frères et sœur confrontés à la reprise d’un domaine viticole et joués par les excellents Pïo Marmaï, François Civil et Ana Girardot, n’aurait été qu’une belle histoire parmi d’autres. Car ici, Klapisch a fait du Klapisch. Du bon Klapisch même, avec un subtil tricotage des liens familiaux et une lecture agréable (et parfois très drôle) des rapports humains. Il a su observer et traduire la complexité viticole bourguignonne, mettant le doigt où ça fait mal, dans les travers d’un foncier dont les prix dérapent et rendent difficile la succession, ici plus encore qu’ailleurs.
On aurait pu craindre le pire, tant ces histoires d’héritage et de transmission ont souvent été mises à rude épreuve dans des évocations caricaturales. Souvenons-nous ainsi du décevant Premiers crus de Jérôme Le Maire (2015), sauvé par une récolte de bon sentiments, mais si loin des réalités bourguignonnes.
Ce qui nous lie sortira le 14 juin dans les salles. Dans un premier temps, il s’appela Le vin et le vent. Le marketing étant passé par là, avec des raisons que la raison ignore parfois, cela rappelle les racines environnementalistes d’un pitch utilisant le prétexte de touchantes retrouvailles fraternelles pour faire passer quelques messages essentiels sur le vignoble.
© Cédric Klapisch / Michel Baudoin
Question de pureté
Avant de passer à l’acte, le réalisateur a pour lui d’avoir trempé ses lèvres dans les vins choisis par un père amateur éclairé, puisqu’amateur de bourgognes ! Il a été éduqué avec grâce à la cause bachique et à la Côte de Beaune, n’hésitant pas, au tout début de sa carrière, à signer un court-métrage à la gloire du Beaunois Marey, le père-fondateur du cinéma.
L’un de ses premiers messages est celui de l’art de faire un vin en phase avec la nature. À un rythme bien maîtrisé, Klapisch utilise les bons conseils de l’acteur-vigneron local Jean-Marc Roulot. Après avoir endossé les costumes du directeur stratégique du ministre Thierry Lhermite dans Quay d’Orsay (Bertrand Tavernier, 2013) et du maître d’hôtel du Président Jean d’Ormesson dans Les saveurs du Palais (Christian Vincent, 2012), ce grand faiseur de meursault joue ainsi à domicile, et avec un talent naturel (et pour cause !), le rôle du régisseur du domaine. Dans la vraie vie, Jean-Marc Roulot fait il est vrai des vins ciselés, comme ce meursault 1er cru Perrière très prisé des enchères. La pureté est son crédo, la biodynamie un engagement qu’il assume depuis 20 ans.
Entre deux dialogues réussis, qui nous épargnent (enfin !) les lourdeurs d’un accent bourguignon rocailleux et réducteur, Ce qui nous lie explique par petites gorgées ce qu’est un bon vin. Mise à part la vision quelque peu surréaliste d’un voisin vigneron cupide et malfaisant, habillé comme un cosmonaute pour traiter à mort ses vignes (le genre en voie de disparition, on vous rassure!), ce long métrage est un hymne à la justesse et à la précision. Il délivre en bouche ce que les vins de Jean-Marc Roulot sont en mesure de donner : une entame « sur le fil du rasoir » au tout début de leur dégustation et les promesses d’une « formidable ampleur avec l’âge », dixit nos confrères de la Revue des vins de France. Cédric Klapisch a donc assemblé le savoir du vigneron et son sens inné de l’image dans un film plus nature que nature. On sera curieux de voir comment tout cela aura vieilli dans dix ans. Curieux mais confiants.
NB : Le Département organise un jeu-concours autour de la Route des Grands Crus. À gagner : deux places pour l’avant-première du film, en présence du réalisateur et de Jean-Marc Roulot, dimanche 14 mai au cinéma Olympia de Dijon. À vous de jouer !
Contre champ au Clos de Vougeot
Nature humaine désigne l’exposition conjointement présentée par Cédric Klapisch, sa photographe de plateau Emmanuelle Jacobson-Roques et son ami photographe côte-d’orien Michel Baudoin, dans le cadre du château du Clos de Vougeot, du 14 mai (jour de lancement de l’année des 80 ans de la Route des grands crus) au 14 juillet 2017.
« Plutôt que de parler du vin et des gens qui font le vin, j’ai préféré parler de la nature », commente le réalisateur, la présence « humaine » de ses images étant révélée dans des « vignes alignées et dessinées (…) une nature modifiée par l’homme ». Une raison de plus d’apprécier, avant ou après le visionnage du film, l’emprise de la Bourgogne sur Klapisch.