Le grand-reporter dijonnais Jean-Pierre Perrin a publié il y a peu Le Djihad contre le rêve d’Alexandre, aux éditions du Seuil. Un ouvrage de référence, pour lequel il vient de recevoir le prix Joseph-Kessel 2017. Finalement, la cité des ducs et les montagnes afghanes ne sont peut être pas si éloignées…
Par Emmanuel Razavi
Pour Dijon-Beaune Mag #65
Photo : Jérôme Panconi
« L’Orient c’est l’Orient, l’Occident c’est l’Occident, et jamais ils ne se rencontreront », disait l’écrivain britannique Rudyard Kipling. Jean-Pierre Perrin vient de prouver le contraire. Avec maestria. Son texte est d’une beauté majestueuse, et ses descriptions d’une telle justesse qu’on trace la route à ses côtés, explorant avec lui les moindres recoins de l’Afghanistan. « Je suis un voyageur. Même quand j’arrive dans un endroit médiocre, j’ai envie de continuer à avancer. Je ressens une sorte d’appel », confesse cet ancien grand reporter à Libération.
De Dijon à l’Orient
Le bonhomme connait le pays des cavaliers par cœur. Cela fait plus de trente ans qu’il y couvre l’actualité. Il n’a pas son pareil pour vous embarquer dans l’un de ses barouds à cheval ou à l’arrière d’une Jeep cabossée sur les chemins chaotiques qui serpentent les montagnes pelées de l’Hindou-Kouch.
Stetson vissé sur la tête, amateur de cigares et fin connaisseur en whisky, Perrin est un aventurier cérébral, digne héritier de Nicolas Bouvier et d’Albert Londres. Ses aventures journalistiques ont pourtant commencé bien loin des steppes et des montagnes d’Asie centrale. C’était à Dijon, déjà au siècle dernier, à la rédaction d’un journal aujourd’hui disparu : Les Dépêches. Au début des années 80, il rejoint l’AFP et devient correspondant en Iran, alors en plein conflit avec l’Irak. Il part ensuite au Bahreïn puis rejoint Libé, dont il devient le monsieur Orient. S’il trimballe ses guêtres et sa plume des rives de la mer Rouge aux faubourgs de Jérusalem, l’Afghanistan le fascine plus que toute autre contrée.
Seigneurs, barons et salopards
Avec Le djihad contre le rêve d’Alexandre, le Dijonnais livre un récit haletant et romantique, tenant du carnet de route et de l’historiographie. Au fil des pages, il interroge l’histoire, convoquant tour à tour les grands personnages qui l’ont façonnée. On y croise Alexandre le Grand et le commandant Massoud, mais aussi les seigneurs de guerre et autres barons de la drogue qui ont saccagé le pays.
Perrin le voyageur a beau être idéaliste et philosophe, il n’est pas dupe de la condition humaine. Il a parfaitement compris que l’histoire se fabrique au gré des hommes et des guerres. S’il rend presque sympathiques les salopards et les assassins qui ont fait de l’Afghanistan un champ de ruines, il n’omet rien de leur mégalomanie, de leurs crimes et de leurs mises à sac qu’il dénonce. Les guerres et leurs traumatismes, l’auteur connaît par cœur. Il se souvient ainsi de son premier choc en Afghanistan, « dans la plaine de Chamali. Une petite fille avait été blessée par un tir soviétique. Avec un médecin, nous avons fait notre possible pour la sauver. Elle est morte dans nos bras. J’ai pleuré ».
Aux origines du djihad
Ce qui intéresse par-dessus tout dans son livre, c’est qu’il explique comment une grande civilisation, née de la confrontation (il préfère parler de « rencontre ») entre la Grèce et l’Orient, a sombré dans le chaos et la folie meurtrière du djihadisme. « Mon travail relève d’une volonté de comprendre les racines de cette idéologie », détaille l’intéressé, n’hésitant pas à nous renvoyer à notre propre histoire. « Je pense que le djihad est né lors de la colonisation britannique des Indes. Il s’est façonné à cette période. Est-ce une pure coïncidence, ou bien le retour du refoulé ? »
Son ouvrage en fait bien la démonstration : l’histoire d’une civilisation ne va pas toujours dans le bon sens, et les stigmates de l’Afghanistan sont aussi les nôtres. Il nous livre ainsi une réflexion intéressante sur l’histoire des relations entre la vieille Europe et un Orient fantasmé. Ou comment rapprocher la plaine bourguignonne des montagnes afghanes, si loin mais pourtant si proches.
Le Djihad contre le rêve d’Alexandre
Jean-Pierre Perrin / Editions du Seuil / 02/02/2017
19,50 euros
304 pages