Ou comment, au début du XXe siècle, les porte-greffes américains ont sauvé la vigne française alors rongée par le phylloxera pendant trois décennies. Ainsi fut honorée, en Bourgogne, la mémoire du « duc du pinot noir » Philippe Le Hardi.
Par Alexis Cappallero
Pour Dijon-Beaune Mag #66
Photos : D.R
Selon toute vraisemblance, il est apparu dans le Gard au début des années 1860 avant de remonter en Côte-d’Or à l’été 1878, du côté de Meursault, Dijon et Norges-la-Ville. Le phylloxera, ce minuscule insecte originaire d’Amérique du Nord, a amputé notre Côte d’un quart de son vignoble avec les conséquences économiques et sociales que l’on devine. Au niveau national, la récolte annuelle d’avant-crise oscillait entre 40 et 70 millions d’hectolitres. En 1879, on en enregistrait à peine 25 millions…
La prise de conscience de l’épidémie a été très longue. Cette sous-estimation a accentué le phénomène de prolifération mais n’a pas empêché (ouf !) Jules-Émile Planchon, un des trois experts (avec Gaston Bazille et Félix Sahut) à avoir identifié l’insecte, de plancher sur le problème. Pendant que les « sulfuristes » (adeptes du traitement au sulfure de carbone) vaporisaient à tout-va pour sauver leur récolte, Planchon a mené le mouvement des « américanistes », impulsé en 1877, défendant la reconstitution basée sur des plants américains résistants comme le vitis labrusca (ou « fox grape »). Problème : les premières récoltes étaient décevantes. Les cépages d’outre-Atlantique utilisés (noah, clinton) avaient un goût particulièrement désagréable…
Coup de génie
Coup de génie : par une opération manuelle délicate et chronophage, on a décidé d’assembler notre vitis vinifera européen à des pieds américains. Certains porte-greffes (riparia, rupestri, berlandieri) sont alors devenus des vedettes capables de « make our vignoble great again ». Généralisée, la technique a permis de régénérer nos vignes au début du XXe siècle. On imagine que, de là-haut, Philippe le Hardi s’est remis de cette grosse frayeur qui aurait bien pu nous empêcher de trinquer à sa mémoire….
Pourquoi l’insecte a-t-il épargné le vignoble américain, dont il est pourtant originaire ? Le spécialiste Jean-Paul Legros (Académie des Sciences et Lettres de Montpellier), le résume dans une conférence en 1993 : « Là bas, il vivait sur une vigne peu sensible à ses piqûres et peu favorable à son alimentation. Ainsi, les populations d’insectes étaient maintenues à un niveau raisonnable. Les vignes n’étaient pas en danger de disparition et, en conséquence, l’insecte pouvait subsister. Un équilibre hôte-parasite s’était établi. »