Il est l’un des peintres contemporains les plus côtés du moment. Arrivé à l’école des Beaux-Arts de Dijon au début des années 80, Yan Pei-Ming est resté fidèle à la cité ducale. L’artiste au verbe rare a ouvert son atelier en exclusivité pour Bourgogne Magazine. Immanquable.
Texte : Arnaud Morel
Photos : Jean-Luc Petit
Yan Pei-Ming est un portraitiste hors-norme, dont le coup de brosse se reconnait au premier regard. Des toiles, souvent de grandes dimensions, qui concentrent une émotion focalisée sur le regard, frontal, de leurs sujets. Des anonymes, des leaders, des prostituées, des stars, des morts… Ming peint comme un forcené, mû par la conscience absolue que ne pas avancer, progresser, c’est reculer. Et cette volonté inébranlable contraste avec l’apparence de l’homme, rond, nonchalant, posant un regard impavide sur ce qui l’entoure. « Je n’attends pas d’avoir envie de peindre, sinon je ne peindrais jamais. Je travaille presque chaque jour, je travaille énormément, c’est le prix à payer. »
N’imaginez pas que ce volontarisme prenne source dans un égo surdimensionné ou des ambitions mercantiles. L’artiste demeure pleinement conscient des limites de l’homme : « Je suis un minable, c’est pour ça que je m’intéresse à la grandeur », aime-t-il répéter. Paradoxalement, la réussite financière exemplaire de ce soi-disant « minable » n’est que la conséquence de son moteur intime, de sa volonté de marquer de son empreinte l’histoire de l’art, de compter parmi « les plus grands peintres contemporains ». Aussi, lui qui a développé seul un art tout personnel, élaboré sans relâche un style unique, associant l’énergie d’une peinture frappée, claquée à toute force sur la toile, réalisée à l’aide de larges brosses, avec une finesse incroyable dans la lecture des traits structurants d’un visage, se tourne de plus en plus vers les grands maitres, pour se hisser à leur niveau et, d’égal à égal, réinterpréter leurs œuvres. Velasquez, David, Van Gogh, Jackson Pollock… il veut se frotter à tous. À 57 ans, Yan Pei-Ming, homme de peu de mots, laboure son sillon, qu’il irrigue du talent de ses prédécesseurs, où il sème des idées puisées dans l’actualité, les rencontres, les hasards, les peines. La floraison ne fait que commencer mais elle est déjà bouleversante.
Vous avez la réputation de peindre très énergiquement et assez vite, est-ce justifié ?
En fait, je ne peins pas très vite, c’est aussi une illusion. Cette toile de Michael Jackson par exemple, je l’ai achevée en deux semaines, parfois c’est moins, ça dépend. Ce portrait est très concentré, très travaillé ; je le prépare pour une exposition à la National Gallery à Londres, une exposition en hommage au chanteur à laquelle je suis invité. Cette toile va ensuite aller en Finlande, puis à Paris au Grand Palais. Son portrait a été très difficile à faire – comment faire le portrait d’un noir qui s’est transformé en blanc ?
Vous avez d’abord été remarqué pour d’immenses portraits de Mao. Quelle signification prend « le Grand Timonier » pour vous ?
Il représente le lien d’un chinois avec son pays natal, qu’il a quitté sans identité réelle au départ. Le portrait de Mao recréé cette identité. Mao était encore un objet de révérence, pour les anciens soixante-huitards, qui avaient alors 30 ans quand j’en avais 20 lors de mes débuts en France. En Chine, tous les enfants étaient un peu maoïstes, c’était une éducation généralisée, les enfants de la révolution culturelle. Mais pour moi il ne s’agit ni d’hommage, ni de critique, simplement d’un élément d’identification. Il n’y a aucune figure au monde qui ait été autant représentée que Mao. N’importe quel lieu public devait exposer un portrait de Mao, c’était l’image la plus familière. Arrivé en France, ça a été pour moi comme un truc de transit. C’est en Chine que j’ai posé les bases de ma passion. J’ai créé avec un prof au lycée de Shanghai un atelier d’arts plastiques. J’ai toujours aimé dessiner, ça me plait. J’étais délégué en arts plastiques dans ma classe. Rien d’extraordinaire, il s’agissait essentiellement de ramasser les feuilles, de distribuer le matériel et d’assister le professeur pendant 30 à 40 minutes de cours par semaine. Je suis parti à 20 ans, un an après le lycée et je suis arrivé à Dijon deux mois plus tard. Je suis venu ici pour faire une école de Beaux-Arts, je l’imaginais à Paris. Plus tard, je suis retourné dans mon pays natal, où j’ai fait une exposition en 2005, pour l’année de la France en Chine. On a monté l’exposition avec Xavier Douroux et Franck Gautherot, quel régal, c’était passionnant.
Rapidement, vous avez enchainé avec une importante série sur votre père, intitulée « L’homme le plus… » ; recoupe-t-elle la même signification ?
Mon père ça a été, effectivement, après le portrait de Mao ; comment trouver un autre Chinois qui soit aussi cher pour moi ; il m’a aidé à trouver une image plus personnelle, quand Mao n’était qu’un emprunt. Les portraits de mon père étaient une affirmation personnelle, c’est comme ça que petit à petit j’ai commencé. J’ai aussi fait le portrait de ma mère, plus récemment, il y a trois ans. Mais c’est une peinture unique, pas une série. Mon père est mort en 2003, ma mère est encore en vie. La famille c’est assez important, j’aime l’avoir autour de moi.
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