Après le tout-béton des Trente Glorieuses, le bois revient en force dans le bâtiment. Plus qu’un effet de mode, un pari sur l’avenir que la Société Est Métropoles, pionnière en la matière, a déjà concrétisé à travers de multiples projets : logements ou bureaux, maisons individuelles ou grands immeubles… Autant de réalisations qui démontrent la viabilité de la construction bois, loin de l’image négative de la maison des Trois Petits Cochons.
Par Geoffroy Morhain
Pour Dijon Beaune Mag #68
Partenaire privilégié de la Société Est Métropoles pour ses projets de construction bois, Mathias Romvos et son agence Graam Architecture (basée à Montreuil) développent depuis 2002 « une architecture centrée sur le bois, innovante sur les plans socio-économique, politique et écologique, mais aussi soucieuse d’une intelligence à tous les niveaux de la construction ».
Faire feu de tout bois.
Après une première extension d’école primaire montée le week end, sans gêne pour le reste de l’établissement, puis la conception en 2004 d’une structure de plancher acoustique devenu la référence depuis, notre architecte spécialiste du bois est ensuite monté dans les étages : R+3, R+5… pour finir sur un immeuble R+7 de 23 logements collectifs à Montreuil, « un bâtiment passif à structure bois, avec des coûts concurrentiels à ceux du béton (1560 €/m2) » qui prouvera définitivement le savoir-faire de son agence, autant que la viabilité technique et économique des constructions en bois de grande hauteur. « En une dizaine d’années, on est passé de “ C’est sexy le bois ” à “ C’est possible ” », résume Mathias Romvos.
Il n’en fallait pas plus à la Société Est Métropoles pour embarquer l’agence Graam Architecture et son cofondateur dans l’ambitieuse politique de développement de la construction bois que l’aménageur s’est fixée, à Dijon et en Bourgogne pour commencer. Et de poursuivre ensemble les différents projets qui sortiront de terre ces prochaines années, d’un quartier d’habitat individuel durable à un motel prêt-à-monter pour une grande chaîne hôtelière en passant par deux immeubles de grande hauteur et pas des moindres : d’un côté, le nouveau siège de la Caisse d’Épargne de Bourgogne-Franche-Comté, au parc Valmy, à ce jour « le plus grand ensemble bois de France dans le tertiaire et les services » ; de l’autre, une tour de bureaux de 6 étages également, une taille inégalée à Dijon pour une structure porteuse réalisée entièrement en bois lamellé-collé qui s’élèvera dans le quartier Heudelet 26. Ces deux bâtiments de grande taille seront construits selon La technique du « poteau-poutre », une version moderne des colombages qui forme le squelette du bâtiment, les façades étant ensuite remplies de panneaux ou laissées ouvertes pour de grandes baies vitrées.
Enjeux écologiques et économiques.
Alors qu’Alain Juppé, maire de Bordeaux, a déjà imposé une proportion de 30 % de constructions en bois dans sa ville, et que nombre de métropoles prennent le train en marche, Thierry Coursin, le directeur général de la SEM, compte bien profiter de l’avance prise par sa société sur un secteur en plein essor : « La présence du bois dans le bâtiment va passer de 1 à 12 % d’ici trois ans, et devrait atteindre 25 % à terme pour le logement et le tertaire. » Une progression qui n’a rien d’étonnant en cette période post-Cop 21, la filière bois étant saluée pour ses propriétés environnementales, notamment dans le secteur du bâtiment, qui représenterait 25 % des émissions de CO2 en France, aussi bien en phase de construction qu’en phase d’exploitation. Bref, l’utilisation de ce matériau végétal qui, en plus d’être un très bon isolant thermique, stocke le CO2 là où le béton en produit, semble promis à un bel avenir.
Au-delà de l’enjeu environnemental, la filière bois revêt un enjeu économique de premier ordre en France. En effet la forêt métropolitaine représente 30 % du territoire national, soit 16,5 millions d’hectares, et 10 % des surfaces forestières européennes. Une ressource domestique colossale, surdimensionnée par rapport à la part bois dans les matériaux de construction, qui stagne en France autour de 10 % alors qu’elle atteint 15 % en Allemagne et 35 % en Scandinavie ou aux Etats-Unis. Une belle marge de progression en perspective pour la filière bois, qui génère au global pas moins de 60 milliards d’euros de chiffre d’affaires, et pèse quelque 440 000 emplois directs et indirects, mais reste cependant déficitaire de 6 milliards d’euros.
Le bon matériau au bon endroit
Malgré tout l’intérêt de ce matériau renouvelable, le 100 % bois aura du mal à résoudre l’équation face au béton. En effet, le coût d’une construction en bois augmente avec sa hauteur : pour les bâtiments jusqu’à 5 étages (90 % du marché du logement), le bois ne revient pas plus cher que le béton, mais au-delà, les prix peuvent monter jusqu’à 2 000 euros le mètre carré, un niveau que peu de propriétaires particuliers peuvent se permettre. Ceci explique que, même aux États-Unis où 80 % de la construction est en bois, il existe peu de tours en bois de plus de dix étages. Ceci étant, l’avenir durable de la filière BTP passe sans doute par la mixité des matériaux employés : outre son usage en surélévation sur des constructions en béton, il faut conjuguer le bois avec le béton, le métal, le verre… comme le faisait déjà Paris au XIXe siècle, plus de 50 % de la structure des bâtiments haussmanniens étant en bois, même si cela ne se voit pas. « Il s’agit d’utiliser le bon matériau au bon endroit, sans devenir des ayatollahs du bois à tout prix, poursuit Mathias Romvos. Le béton, on a encore rien trouvé de mieux pour raidir un bâtiment, et son utilisation parcimonieuse permet de réduire de beaucoup le volume de bois nécessaire. »
Aujourd’hui, grâce à la création du groupement Forestarius (lire encadré ci-contre), la SEM s’impose comme un acteur incontournable d’une nouvelle filière bois en devenir : « C’est dans cet esprit que nous avons élaboré notre propos, avec la volonté de ne verser ni dans le chef-d’œuvre ni dans la charpente traditionnelle », prévient Thierry Coursin, le directeur de la SEM, qui préside la SAS en question.
Mais le chemin est encore long, car au-delà du syndrome des Trois petits cochons, qui a érigé le bois comme un matériau peu solide et trop léger dans l’inconscient collectif, il demeure des barrières psychologiques importantes concernant sa capacité à ne pas prendre l’humidité ou à résister au feu. Pour aller à l’encontre de ces idées préconçues, il faudra encore convaincre nombre d’élus et de techniciens de la qualité des immeubles en bois. Et travailler l’ensemble de la filière bois cheville au corps afin que forestiers, scieurs et autres charpentiers travaillent tous sur une même nouvelle longueur d’onde. Un challenge que la Société Est Métropoles est en train de relever.
Des débouchés pour le douglas du Morvan
Indirectement, le douglas morvandiau devrait profiter du développement de la construction bois, en particulier grâce aux projets de la SEM, qui compte favoriser au maximum les filières locales. Naturellement catalogué en classe 3 (bois qui peut être en contact fréquent avec l’humidité, même au-delà de 20 %), ce résineux à croissance rapide, originaire d’Amérique du Nord et introduit en France au XIXe siècle pour le reboisement, s’avère très adapté à ce marché émergent. Encore faut-il pouvoir trouver des producteurs en capacité de fournir qualitativement et quantitativement la matière première nécessaire à un gros bâtiment. Ce qui est le cas pour le futur siège de la Caisse d’Épargne Bourgogne-Franche-Comté, qui sera presque entièrement réalisée en douglas du Morvan, les poutres et autres panneaux de CLT (Cross Laminated Timber, une sorte de lamellé-collé) étant fournis par la scierie Monnet-Sève, la seule en mesure de répondre à l’ensemble des besoins d’un tel chantier pour l’instant.
Pavillon emblématique
Pavillon éphémère destiné au salon Woodrise de Bordeaux, ce jeu de construction à taille humaine conçu par Graam Architecture sera ensuite exposé en permanence dans le quartier Heudelet à Dijon.
« Très vite s’est posée la question du sens que nous devions donner à cette construction dans le cadre du premier congrès mondial de la construction bois, explique Mathias Romvos de l’agence Graam. Nous avons souhaité, dans un but pédagogique, présenter le modèle classique des sections courantes de charpente pour faire parler notre histoire de la construction bois (…) À l’aube d’une nouvelle ère qui nous permet d’atteindre une précision d’assemblage inédite, et de monter toujours plus haut, nous voulions nous repositionner dans cette réflexion en tant que bâtisseurs et ouvrir le dialogue avec d’autres pays, d’autres cultures. »
Il n’était pas question ici de produire un chef-d’œuvre de compagnonnage, ni de faire une charpente traditionnelle, mais d’évoquer la ressource bois, les assemblages et les outils européens par rapport à ceux de l’Extrême-Orient. Ainsi, le toit du pavillon est un empilement de sections différentes qui racontent l’histoire de notre ferme latine, mais à plat. Ce toit se prolonge en porte-à-faux par des empilements de pièces de bois donnent au pavillon un petit côté « asiatique ».
Les parois extérieures, constituées de poteaux obliques, assurent une bonne stabilité au vent à l’ensemble de l’édifice, alors que les parois intérieures soutiennent les éléments de la toiture. Les deux « galeries » générées entre ces deux couches sont des invitations à se promener et à découvrir « l’intérieur » du mur. Cet entre-deux ouvre la porte à la réflexion, l’imagination, l’inspiration, tel une porte, un passage, un seuil largement ouvert sur son environnement.
L’union fait la force
Le bois est au fondement de la démarche qui a amené la Société Est Métropoles à créer la SAS Forestarius en 2017 : « Au cœur des enjeux de la transition écologique et des territoires durables, cette matière première universelle et intemporelle a fait germer chez nous l’envie de prendre position, à notre façon, sur un marché qui souffre de modèles dominants d’organisation et de pensée. » Née de la volonté de porter une vision libre et différente, cette structure s’est construite sur un modèle partenarial qui réunit architecte, constructeur et promoteur (les trois branches du logo, symbole d’une construction affranchie), offrant une solution constructive globale, de l’investissement à la vente en passant par la ressource et sa transformation. Ainsi, Forestarius regroupe, aux côtés de l’aménageur SEM (Société Est Métropoles) et de sa holding LCDP, une banque (la Caisse d’Épargne de Bourgogne-Franche-Comté), un cabinet d’architectes de Seine-Saint-Denis (Graam), un groupe familial régional du BTP (Roger Martin) et un spécialiste dijonnais des ouvertures (Pacotte et Mignotte). Comme un début de filière…