Puisqu’il y a toujours un temps pour le souvenir, Thierry Caens rend hommage à son ami Didier Lockwood, disparu tragiquement dimanche 18 février. Comme un dernier petit air en guise d’au revoir…
Par Thierry Caens
Je hais les dimanches ! Hier soir, ce n’était pas à la chanson de Piaf à laquelle je pensais, mais à mon copain Didier Lockwood. Il s’est éteint dimanche 18 février, subitement, à 62 ans, d’une crise cardiaque. La veille, il jouait à Paris au Bal Blomet… Cet homme au grand cœur était une des étoiles du monde de la musique et dépassait tous les clivages stylistiques. Ayant eu une belle éducation musicale classique dans le Nord, il s’orienta très tôt vers les musiques improvisées, le jazz rock tout d’abord (avec Magma) et ensuite le jazz, parrainé par le grand Stéphane Grappelli qui en fit son fils spirituel .
Fait assez marquant , il était un des rares musiciens de jazz à jouir d’une notoriété de telle envergure, avec Richard Galliano, ces deux-là pouvaient remplir de grandes salles. À ce titre, je suis heureux que les médias aient fait un si bel écho à sa disparition. Nul doute que cet hommage populaire était mérité …
Doué d’une technique parfaite, d’une justesse infaillible et d’une liberté étonnante , il était à l’aise dans tous les genres et c’est ce qui m’avait plu d’emblée. Nous nous étions rencontrés dans les clubs parisiens, ou je trainais souvent dans les années 80-90 ; avec lui, je fis mes rencontres musicales les plus décisives : Martial Solal, Patrice Caratini, Richard Galliano… et Didier Lockwood. Nous nous sommes très vite entendus et partagions le goût des rencontres. Ces trois compositeurs m’ont d’ailleurs tous écrit des concertos ; il était le dernier sur la liste, le projet était en cours mais le destin empêcha sa réalisation ! Nous avions aussi un ami commun très cher, Michel Colombier, son violoniste à l’époque ou il créa son Big Band pour le Nancy Jazz Pulsation en 1974. C’est d’ailleurs à cette occasion que Grappelli le repérera…
Révélateur de talents
Nous partagions aussi le goût pour la transmission. Je me rappelle les longues discussions à la maison sur l’enseignement, notamment celui dans les Conservatoires, qu’il voulait réformer. Il a écrit un rapport très intéressant à ce sujet. Il a créé cette école à Dammarie-les-Lys ou il a pu développer ses idées novatrices et, avec de nombreux professeurs talentueux, il a permis à de nombreux jeunes d’éclore. Je pense notamment aux magnifiques frères Enhco, Thomas et David, dont il était aussi le beau-père attentionné.
Nous parlions beaucoup de politique, de politique culturelle aussi, et de sa tristesse de voir les politiques se désintéresser tant de ce sujet. À ce chapitre, je dois dire qu’il avait pour Dijon et la Côte des attentions particulières.
Ce diner avec Claude Meiller (directrice du Duo Dijon à l’époque) et François Rebsamen, où nous avons beaucoup parlé des Conservatoires, fut passionnant. Chacun s’était trouvé conquis par sa vision ouverte, populaire et iconoclaste de l’enseignement. Il aimait notre maire, qui fait tant pour la culture, et regrettait qu’il n’y en ait pas plus comme lui…
Festival, chapitres, anniversaire
Il a été bien sûr mon invité à de nombreuses occasions au festival Musique au Chambertin (quel souvenir en 2015 avec Thomas Enhco au Clos de Vougeot !) au Chapitre de la Musique, où il fit son show tout en ayant « oublié » son smoking !
Ces concerts avec la Camerata à l’Auditorium, ou nous avons joué ses concertos pour violon et piano, ses mélodies avec son épouse d’alors, ma très chère amie Caroline Casadesus, que j’avais retrouvé à Paris dans le très sympathique spectacle mettant en scène le couple (Le jazz et la diva).
Sa dernière prestation à Dijon fut le 14 juillet 2014 pour le cinquantenaire du Lac Kir, projet concocté avec Jérémie Penquer où il fut époustouflant de créativité et d’énergie, rivalisant avec un feu d’artifice comme s’il s’agissait d’un groupe rock…
Je l’avais revu dans mon restaurant préféré, DZ’envies, où il avait tenu à me présenter sa nouvelle épouse (Patricia Petibon) venue chanter à l’Auditorium. Je garderai le souvenir de son regard d’enfant, prêt à se jouer de toutes les situations. Un être généreux qui n’avait pas son pareil pour parler au plus grand nombre sans perdre son âme. Il m’a fait l’honneur d’être son coéquipier et son ami. Je pense à sa famille et ne me remets toujours pas de la brutalité de cette disparition. Une étoile ne devrait jamais s’éteindre ! Depuis, je hais les dimanches.