En répondant à l’invitation du Café des Bourrus, Benoit Willot s’est livré avec aisance à l’exercice de la conversation au ras du zinc de France Bleu Bourgogne. Il en ressort une mise en perspective intéressante des évolutions de notre rapport au travail et du destin de l’entreprise. Le président de la CPME 21 est un bourru de haut vol !
Par Dominique Bruillot
Pour Dijon-Beaune Mag #70
Le Café des Bourrus, pour celles et ceux qui ne le savent pas encore, c’est une émission de France Bleu Bourgogne, jamais préparée (c’est pleinement assumé !), enregistrée dans les conditions du direct et diffusée en deux parties, le samedi et le dimanche à l’heure de l’apéro. Nicolas Mollaret en est l’animateur titulaire, remplacé régulièrement par Guillaume Pierre. Avec eux, l’infaillible pilier du bar, « le grand duc » comme on le surnomme, qui invite ses potes pour parler de tout et de rien, au ras du zinc, mais avec bienveillance et plus de fond qu’il n’y parait. Ce « grand duc », nous le connaissons bien. Rien de plus normal, l’auteur de ces lignes et lui ne font qu’un. Ça, c’est dit !
Le travail désacralisé ?
On ne sait pas si le Café des Bourrus durera en l’état jusqu’en 2040, ce qui serait surprenant. On sait en revanche qu’il a permis, en ce mois de mai où les jours de congés fleurissent comme le muguet, de donner la parole au patron des « petits » patrons. Très à son aise dans l’échange spontané, le président de la CPME Bourgogne-Franche-Comté (et Côte-d’Or), s’est exprimé sur les tendances qui pourraient définir le profil de l’entreprise et de son chef demain. Face à l’émergence de l’auto-entreprenariat et de la micro-entreprise, Benoit Willot ne croit cependant pas à la fin du salariat : « Nous sommes dans un monde où de plus en plus de gens créent leur emploi à défaut d’en trouver un, alors que, paradoxalement, 250 000 offres n’ont pas preneur sur le marché. »
En Côte-d’Or, on dénombre plus de 77 000 entreprises inscrites au registre du commerce, soit une pour 7 habitants environ. Cette mosaïque est pleine de fragilités. Elle révèle le changement profond de notre rapport au travail. « Les gens veulent de plus en plus de liberté, il y a une forme de désacralisation du travail, je n’ai pas d’avis sur la question mais si on peut toujours chercher le boulot qui va bien avec sa vie et pas l’inverse, force est de constater que le travail est malgré tout la préoccupation numéro un pour ceux qui en sont dépourvus », constate l’invité du Café des Bourrus.
L’exception valorisée
La CPME a pour vocation de défendre des statuts indépendants et familiaux, « pas des entreprises qui sont en actionnariat », rappelle son président. Ces TPE et PME, tout comme les ETI (Entreprises à taille intermédiaires, (trop) peu présentes en France), de natures industrielle ou artisanale, peu importe, n’échapperont pas à « une élément majeur de notre évolution, la digitalisation de tous les métiers, y compris traditionnels ». Pour le reste, le changement ne sera pas aussi spectaculaire que l’on pourrait l’imaginer : « On voit l’effet inverse dans nos magasins (ndlr, il est à la tête de deux Super U, à Arc-sur-Tille et Sennecey-lès-Dijon) avec l’aspiration des nouvelles générations à se remettre à la cuisine, à s’intéresser au vin, à consommer moins mais mieux. » Idem en ce qui concerne les métiers de l’artisanat et de la tradition : « Ceux qui auront résisté aux tendances deviendront des exceptions et l’exception est valorisante, le mixte sera différent d’aujourd’hui, sans être une révolution. »
Protéger les petits patrons
Le fantasme récurrent d’un monde où les robots décarcassent les bovins et préparent les volailles ne tient donc pas la route. D’autant que « l’alimentation, comme beaucoup d’autres domaines, est un plaisir, et que le robot n’a rien à foutre dans le plaisir ! ». Mais quand on évoque la génération des 20 ans en 2018, celle qui sera donc aux affaires en 2040, l’envie d’entreprendre n’est pas non plus ce qui vient tout de suite à l’esprit.
« Ce n’est pas de leur faute, tout est fait pour mettre la barre du trouillomètre au plus haut, ils ont donc plutôt tendance à viser des postes confortables dans des grosses entreprises », déplore le chef de file de la CPME 21. En France, le mot « argent » est tabou, toujours et encore. La réussite, elle, est souvent suspecte ou jalousée. Rien de neuf à l’horizon. La réalité est pourtant peu excitante, confirme Benoit Willot : « 80 % des patrons de PME gagnent moins de 4 000 euros bruts, en faisant des doubles semaines, en prenant des risques. Quand on est en haut de la colline et qu’il faut sauter, nous sommes plus nombreux à reculer. » Cette vérité s’ajoute à une regrettable évidence, la prise de risque est plus facilement sanctionnée qu’encouragée. « Tu te plantes aujourd’hui, on ne te donne aucun signe de soutien, le chef d’entreprise n’est pas assez protégé ! » Pas de quoi faire rêver en effet.
Brûlons un cierge !
La vraie mutation à conduire serait donc celle des mentalités. Il faudrait aussi mettre les petites entreprises « où l’agilité est plus forte » sur un pied d’égalité avec les grosses, favoriser la créativité et l’esprit collectif, sortir de l’individualisme. « Je suis pour une redistribution du résultat non pas en fonction du nombre de salariés comme c’est le cas actuellement, ce qui est une absurdité, mais du résultat lui-même », préconise enfin un Benoit Willot qui s’engagera bientôt dans un nouveau mandat avant de préparer sa succession. Sans présager de ce que sera 2040, brûlons un cierge (ou trinquons, à chacun sa chapelle !) pour que l’avenir lui donne raison.