Fille cadette du grand Jacques, présidente de la fondation qui porte son nom, France Brel revient de Beaune, aux Ateliers du Cinéma Lelouch pour une exposition consacrée à l’artiste, et sera ce soir au Clos de Vougeot pour la sixième édition des Cabottes d’Or. L’événement lui rend hommage ainsi qu’à la Bourgogne flamande, en mémoire du mariage de Philippe le Hardi et Marguerite de Flandre. Rencontre.
Par François-Marie Lapchine
Pour Dijon-Beaune Mag #70
Photos : D.R.
Au nom du père
France Brel, l’une des trois filles de l’artiste (avec Isabelle et Chantal, décédée en 1999), entend bien préserver sa personne et sa propre vie, sur laquelle elle reste discrète. « Je n’ai pas consacré ma vie à mon père, mais aux gens qui me parlent de lui. Je réponds directement à leurs questions sans me mettre sur la place publique. J’ai eu la chance de côtoyer cet homme extraordinaire et d’avoir appris grâce à lui. Il m’a donné une joie de vivre, un optimisme, de l’énergie et du courage. »
Une œuvre majeure
France Brel est une auteure à part entière. Elle aussi sait raconter. Comme son père, elle est généreuse et ne triche pas. Son livre Jacques Brel auteur est une véritable planète. La planète Brel, qui reste encore à découvrir, tant elle possède de facettes à l’extérieur et d’innombrables galeries secrètes. Compte tenu de la densité et de la qualité de cet ouvrage, et sachant qu’à peine 5 % des archives de la Fondation ont été utilisées, il est encore difficile de se faire une idée de la complexité, de la force et de la grandeur de celui qui a toujours tout donné, Jacques Brel.
Chanteur par accident
Devenir auteur, écrivain et même composer des symphonies, tels étaient les rêves de Jaques Brel. Sa plume d’adolescent le mènera plutôt vers la poésie, les nouvelles et des textes de chansons qu’il mettra en musique avec sa guitare. « Mon père a toujours eu une forme de regret : ne pas avoir été considéré davantage comme un auteur que comme un chanteur. Quand il part à Paris, il n’a pas du tout envie de chanter. Il souhaite distribuer ses textes pour que d’autres puissent les interpréter. Ce n’est que par obligation, pour survivre, qu’il va devenir chanteur. Il trouvait que chanter, ce n’était jamais que la prolongation de l’acte d’écrire. »
« J’étais là »
France Brel est née lorsque son père est parti pour Paris. Elle n’aura donc connu qu’un père célèbre et voyageur. Pourtant, elle a vécu auprès de lui des moments marquants comme en août 1966, lorsqu’il décide d’arrêter la scène. Mais aussi plus tard, en pleine mer, lors d’un tour du monde : « J’étais là, au beau milieu de l’Atlantique, avec lui sur son voilier, lorsqu’il apprit qu’il était atteint d’un cancer et que son ami, son confident, Jojo, étais malade lui aussi. Dans son dernier album Les Marquises, Jacques lui consacrera une chanson. C’est toujours à bord de l’Askoy II, qu’un jour mon père me demande ne plus l’appeler « papa ». Être père, cela ne l’intéressait pas. En me le demandant, il passait outre la paternité, il m’insérait paradoxalement parmi ses proches. » Ces moments, France Brel les évoque avec pudeur, sans accablement. Elle les considère comme un privilège, presque un cadeau.
Le déclic
Lors de ses tournées, à la moindre alerte, son envie d’écrire se déclenchait. « Un prénom, un regard, le souvenir d’une conversation pouvaient inspirer mon père. Son but était de raconter une histoire et de trouver les mots justes. Il était constamment en recherche et avait toujours en tête des morceaux de phrases. L’écriture d’Au suivant ne lui prendra qu’une dizaine de minutes, pour d’autres cela pouvait prendre une année, voire deux. Il n’échangeait pas beaucoup par rapport à tout cela. »
Un steak-frites, sinon rien
Jacques Brel aimait vivre la nuit, rencontrer, écouter, dialoguer, tout en étant également amateur de bonne cuisine. Mais pas facile de trouver de bons petits plats, tard le soir, dans des villes que l’on ne connait pas. Il fallait s’adapter. « C’était un homme de papilles ! Il aimait la cuisine française avec une certaine tendresse pour le gibier, les asperges et les fraises. Quand il rentrait à la maison après ses tournées, il réclamait toujours des légumes, et pour cause… à l’issue de ses concerts, escorté de ses musiciens, il cherchait une bonne table pour se restaurer. Mais vu l’heure tardive, il trouvait souvent porte close, hormis quelques petits bistrots pas possibles qui n’avaient à leur proposer qu’un steak-frites, sinon rien. »