Signes des temps et des temps difficiles, la République vend ses bijoux de famille : après l’Elysée, c’est Matignon qui disperse aujourd’hui une partie de sa cave. Parmi les flacons, une romanée-conti 2004, et un La Tâche 1990. La vente est estimée à 100 000 euros.
Quand le grisbi est en déroute, l’oseille en vadrouille, bref, quand les coffres sont vides, faut être créatif… Après l’Elysée en juin dernier, Jean-Marc Ayrault joue les Raoul Volfoni : il dynamite, il disperse, il ventile ! Aujourd’hui en effet, 1 400 bouteilles soit 10 % de la cave de Matignon vont être proposées à la vente, histoire de renflouer les caisses et abonder en interne le budget de fonctionnement. L’estimation est à 100 000 euros, mais c’est sans doute une hypothèse basse : prestige oblige, la vente de l’Elysée évaluée à 300 000 euros en avait finalement rapporté 718 000. On peut raisonnablement penser que l’effet « Premier Ministre » pourrait là aussi jouer…
D’autant que le chef de cave Claude Bluzet, qui a sélectionné les bouteilles mises en vente, a du biscuit : les vins qui quittent Matignon sont soit devenus « trop chers pour être mis sur les tables » ou encore sont des bouteilles isolées ou en petites séries qui ne peuvent être servies lors des grandes tablées. Parmi les flacons, quelques noms bourguignons laissent rêveurs tels cette romanée-conti 2004, achetée par la cave du Premier Ministre en 2006 (estimée entre 5 000 et 5 500 euros) ou un La Tâche 1990 – « un immense millésime », s’enthousiasme l’expert de la vente Aymeric de Clouet – évalué entre 1 800 et 2 100 euros. Pour les amateurs de bordeaux (soyons sport), il y aura notamment un lot de 12 Mouton Rothschild 2000 (entre 8 400 et 9 000 euros). Mais « des petits lots accessibles à tous » seront aussi proposés, dès 15 euros.
Que penser de cette vente ? Dans une logique purement comptable, évacuant tout hédonisme au profit des colonnes de chiffres, ce n’est pas si infamant : quelques centaines de milliers d’euros pour des bouteilles qui ont de toute façon peu de chance de sortir des caves, c’est une bonne affaire pour Matignon et d’abord une bonne affaire de communication. Pensez donc ! Nos grands élus (et les invités prestigieux, et les chefs, sous-chefs, directeurs, sous-directeurs de cabinet) qui remisent les grands crus au profit de bouteilles plus classiques (on n’a pas dit normales), si ça, c’est pas du changement ! Qui gèrent en interne leurs petites dépenses (enfin, petites… Matignon ne disposant pas de budget fixe, il faut comptabiliser les différents postes – personnel, immobilier, fonctionnement, déplacement etc… – mais comptez au bas mot une dizaine de millions d’euros par an) si ça c’est pas de la gestion (au petit pied, d’accord mais quand même) de bon père de famille !
Sauf que… en vendant à l’encan ce qui après tout relève du patrimoine de la République au même titre que du mobilier ou des œuvres d’art – même si on en conviendra, le vin est une œuvre éphémère par définition – Matignon comme l’Elysée quelques mois plus tôt font du mal à l’art de vivre et à la gastronomie française pourtant distinguée en 2010 par l’Unesco et désormais inscrite sur la liste du patrimoine immatériel de l’humanité. En bazardant les grands crus (qui devraient s’envoler pour la Chine ou les pétro-pays), la tête de l’Etat dit aussi au monde viticole que viser l’excellence pour produire des vins exceptionnels, dignes des tables les plus prestigieuses, c’est très bien… mais qu’on n’hésitera pas à les sacrifier pour gagner quelques sous, l’argent n’a pas d’odeur. Pour l’élégance en revanche, on repassera… Triste époque qui vend ses grands vins et refile de l’argent aux pollueurs de la Bretagne, bonnets rouges et algue verte… Un seul mot d’ordre, amis vignerons : Que nos caves se rebiffent !
(Avec Afp)