« Créer du lien entre la cité et la famille par la nature », telle est l’ambition de La Calypso, un concept de crèche qui ne ressemble à aucun autre. Sous la bienveillance de sa créatrice Catherine Genne, ce navire dijonnais pédagoludique entend donner des clés aux petits moussaillons pour partir à l’abordage en toute sérénité. Avec des fondations écocitoyennes, aussi.
Par Alexis Cappellaro
Pour Dijon-Beaune Mag 72
Photos : Christophe Remondière, sauf mention contraire
On ne voit aucune autre explication : il existe une demi-douzaine de Catherine Genne, qui se relaieraient secrètement la nuit tombée, pour assumer autant de projets d’envergure. Blague à part, « Cathy », comme elle est surnommée affectueusement, c’est au départ Oncodesign. La success story est notoire : l’agence biopharmaceutique dijonnaise créée en 1995 avec son mari Philippe est aujourd’hui une référence en la matière, cotée en bourse et valorisée à plusieurs millions d’euros. Ceci est une autre histoire.
Car l’intéressée revendique autre chose, sur les mêmes bases humaines et innovantes que sa vie de scientifique : la création du concept de crèche La Calypso, en 2010 d’abord, avec un premier site à Valmy. Puis un second en 2015 dans l’écoquartier de l’Arsenal. Et enfin une troisième réalisation trois ans plus tard, Calypso II, toujours à Valmy, faisant office de vaisseau-mère. Sur 1 600 m2, se dévoile une crèche ultramoderne dont il est bien difficile de trouver une appellation définitive : centre de loisirs, structure d’accueil pédagoludique, lieu d’expérimentations naturelles… c’est tout ça, La Calypso !
L’École Buissonnière
Dans l’Odyssée, c’est aussi une nymphe de la mer recueillant Ulysse après son naufrage. Ou le nom du fameux navire du commandant Cousteau, « synonyme des grandes explorations, de la découverte, de la relation avec la nature ». Bon sang, mais c’est bien sûr ! Ici, le jeune enfant appréhende les différents cercles, « en commençant par lui-même, puis sa famille, son entourage proche… » Cette vision à 360 degrés est le corollaire d’une appréhension de la nature, « car il est l’écocitoyen de demain ». Sur le sujet, Catherine Genne estime que « nous sommes en retard d’une guerre ».
Son concept d’École Buissonnière, sorte d’excroissance de la Calypso II, est dans la même veine. Basée sur le chemin initiatique « de la Terre à l’Assiette », elle accueille petits et grands : la famille (le samedi), les scolaires de la maternelle au collège (la semaine sauf le mercredi) et fait office d’accueil de loisirs pour les 3-12 ans durant les vacances. Chacun pourra alors découvrir, de façon simple et ludique, les grands enjeux de notre environnement, connaitre et respecter l’animal et le végétal, adopter des réflexes sains au quotidien.
« Manger des poils »
Pas du genre à faire la leçon, Catherine Genne conçoit tout cela dans un esprit décontracté, à travers une imagerie de l’enfance assez fascinante entre clin d’œil à Alice au pays des merveilles et expérimentations amusantes. Elle invite par exemple les petits à « manger des poils » après observation au microscope des fraises et des framboises.
La Calypso s’appuie sur un emploi du temps qui n’en est finalement pas vraiment un, tant la vie quotidienne est peu séquencée car « le rythme de chacun doit être considéré ». Ce « laisser-vivre » a visiblement du bon : le jour de notre venue, la sérénité et le calme émanant du lieu étaient frappants.
Cet état d’esprit s’applique aux deux autres structures, qui accueillent chacune une petite centaine d’enfants. En plus de la soixantaine à la Calypso II, cela fait donc plus de 250 têtes blondes à accueillir. « Et je connais 99% de leurs prénoms », s’amuse Catherine, démonstration à l’appui, comme pour assurer qu’elle accorde la même importance à chacun. C’est aussi sans doute pour se défendre d’être une « usine » formatante : ici, c’est garanti, « il n’existe pas de méthode Genne, mais simplement des valeurs et du bon sens ». Rien n’est laissé au hasard dans l’approche architecturale et pédagogique, tout s’explique et tout se tient de façon cohérente, « un peu comme un Rubik’s cube ». Encore une fois, Catherine Genne assure « ne pas détenir la vérité » et aborde sa mission avec humilité, laissant la place légitime à l’école, comprenant aussi les réactions épidermiques sur un sujet sensible, « car on touche à la chair de la chair ». La sincérité est la base de son action, cela se sent, et il faut aussi lui reconnaître un investissement considérable, au sens sonnant et trébuchant du terme : 4 millions d’euros pour le bâtiment, des aide-éducateurs et aide-éducatrices et EJE (éducateur/éducatrice de jeunes enfants) à payer… Les bons sentiments ne suffisent pas. Il faut y croire, établir des bases de confiance, prendre des risques, tenir bons les rênes grâce à un « management résolument transversal » ou quatre directeurs opérationnels chapeautent les équipes, toujours dans le souci de respecter la règle du « un pour huit ».
Personne sur le bord de la route
Les parents y sont très sensibles, bien sûr. Pour inscrire son ou ses enfants, le parent doit absolument « être partenaire, adhérer au projet. Cela passe bien souvent par une discussion avec lui », assure la dirigeante, qui prend soin de ne laisser personne sur le bord de la route : « Chacun paie l’inscription en fonction de son quotient familial, et des places sont allouées à la Ville de Dijon qui en met à disposition à ceux qui en ont le plus besoin. »
Les retours sont souvent excellents, papa et maman ont « l’impression qu’on ne s’occupe que de leur enfant ». Tout est fait pour ça, dès le matin, avec le « café-sourire » où l’acte de déposer son enfant s’accompagne d’une petite pause dans son environnement. « Venez, prenez le temps ! », leur dit Catherine, heureuse de croiser des papas, rompant ainsi avec le schéma classique. « Ils posent exactement les mêmes questions que les mamans, c’est assez saisissant », sourit l’intéressée, qui sait trop bien que les journées sont parfois trop courtes et laisse une grande amplitude horaire (7h30-20h, fermeture uniquement les jours fériés !) à tout le monde.
De retour à la maison, le moussaillon écocitoyen de la Calypso raconte avec force détails ce qu’il a fait et appris. « D’une certaine façon, il contamine les parents ; cette verticalité est très intéressante ».
Évaluation scientifique
Convaincue du bien fondé de son concept (encore heureux), Catherine Genne souhaite en faire une évaluation très précise. Trois doctorants viendront sur place, livreront une traçabilité complète puis une publication scientifique. Dans les cartons aussi, l’École des Sens, courant 2019, une évolution naturelle de son concept : « Il s’agira d’un organisme de formation multi accueil, basé sur l’appréhension de l’humain avant tout. Les règles d’hygiène et de sécurité sont une base, bien sûr, mais il y a tellement d’autres critères à maitriser et savoir dispenser. » Le sens du partage, la solidarité, le respect de soi et des autres. Ce sont déjà de bonnes vivres pour partir en expédition. Pas vrai moussaillons ?