Jean Battault, liquoriste dans l’âme, explique à quoi ressemblera la foire à l’italienne, qui commence ce jeudi 1er novembre. Très impatient de goûter à la dolce vita, le président de Dijon Congrexpo en est convaincu : l’Italie a une véritable « capacité à nous émerveiller ». Chiche ?
Propos recueillis par Alexis Cappellaro –
Pour Dijon-Beaune Mag 72
Photo : Christophe Remondière
Consacrer l’Italie ici, cela n’a rien d’innocent…
Elle est très liée à l’histoire de France, de Bourgogne et de Dijon. Avant les années 1900 et dans l’entre-deux-guerres, beaucoup d’Italiens se sont installés ici, notamment parce que les grands travaux de l’époque nécessitaient des bras. On en voit la trace aujourd’hui à travers, par exemple, les entreprises du bâtiment dont le nom est à consonance italienne. Ce sont nos bâtisseurs, d’une certaine manière. Dijon et l’Italie, c’est aussi Garibaldi, Dante Alighieri, Au Roi des pâtes… Ce pays a connu une telle diaspora que, très vite, ses produits se sont fait connaître partout dans le monde.
C’est donc une vieille histoire, avec nos voisins « ritals »…
Nous avons de nombreux points communs et puis « tout ce qui est bourguignon est accessoirement universel », selon Henri Vincenot. Notre connivence culturelle est évidente et sincèrement faite d’admiration, je crois. On dit qu’un Français est un Italien triste (ndlr, formule empruntée à Jean Cocteau, selon lequel les Italiens étaient des Français de bonne humeur). C’est le seul pays où les hommes sont bien habillés (sourire). Ce sont de bons vivants, qui ont une culture du goût et notamment de l’amer, ce qui est rare, une recherche du raffinement et de la complexité – pas de la complication –, de la perfection… Les Italiens ont cette capacité à nous émerveiller.
Finalement, avec toutes ces bonnes raisons, pourquoi avoir attendu la 88e édition pour l’inviter ?
La surprise, c’est qu’on ne l’ait jamais fait plus tôt alors que c’était une évidence, c’est vrai. Nous avons pour principe d’alterner d’une année sur l’autre un pays européen et un autre plus exotique.
Cette année est aussi celle des enseignements ?
Avec la Chambre de commerce italienne de Lyon, nous avons trouvé un partenaire constitué et constituant, ce qui me permet de placer de vrais espoirs de réussite dans cette édition. Cet organisme conduit des opérations de promotion de l’Italie, il est l’intermédiaire idéal pour amener dans ses bagages des exposants et des chefs pour le pavillon. L’Italie est un pays organisé, chaque province a des budgets pour sa promotion. Et comme cette Nation est très fière de sa gastronomie et de son artisanat, tout s’est fait naturellement. Il n’y a qu’à voir le Salone del Gusto à Turin, où chaque province apporte ses spécialités… c’est incroyable, l’offre est supérieure à la France en terme de diversité.
Et les vins italiens sont d’un haut niveau. Vinidivio, qui accueillera du 1er au 4 novembre une quinzaine de producteurs locaux, sera un sympathique temps fort…
L’Italie produit des rouges magnifiques, a de grands noms parmi ses vignerons et s’est orientée tôt vers le système parcellaire bourguignon. Vinidivio fête ses cinq ans cette année. Petite nouveauté : il y aura un accès spécifique supplémentaire, déconnecté de la foire. Ce rendez-vous, c’était à l’origine pour que les vignobles du nouveau monde reçoivent en quelque sorte la lame bourguignonne sur l’épaule. Par cette démonstration de valorisation, on met la Bourgogne hors concours. Nous avons un vrai pouvoir d’attraction, dont la foire et Vinidivio ne sont après tout que des vecteurs.
C’est un travail d’équipe, aussi…
Nous sommes très liés aux instances du vin en Bourgogne – le Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB), la Fédération des négociants-éleveurs de Grande Bourgogne (FNEB) –, qui accueillent chaque année leurs collègues vignerons étrangers pour un dîner à Beaune dans le cadre de la foire. Il existe un intérêt culturel, amical, mercantile pourquoi pas.
Beaune ? Vraiment ?
La capitale des vins de Bourgogne, c’est Beaune. Plutôt que de participer à une lutte fratricide, nous avons choisi, en bonne intelligence, la voie de la collaboration. D’abord car 60 % des créateurs de la foire fondaient quelques années plus tard la Confrérie des Chevaliers du Tastevin. Et aussi parce que je suis très las des affrontements locaux. On ne fait pas de politique dans cette maison.
Cela donnera lieu à une belle paulée !
Sans aucun doute. C’est un autre temps fort de convivialité, marqué cette année par une nouveauté : la paulée se déroulera non pas au cellier de Clairvaux mais dans la salle des États de l’hôtel de ville. Nous avons passé un accord avec la mairie de Dijon. François Labet, président du BIVB, parrainera la paulée.
Encore une fois, Côte et métropole sont réunis…
Au commencement était le verbe ; au commencement était Meursault. Plutôt que d’en faire une pâle copie, notre paulée a été créée sous le parrainage de la paulée de Meursault et de son maire Jean-Claude Monnier, invité chaque année.
Pour revenir à la foire, qu’y trouvera-t-on d’italien ?
En plus de l’aspect gastronomique, nous avons prévu une soirée autour du cinéma italien avec Sylvie Massu (ndlr, gérante des cinémas Darcy et Olympia), des « corners » italiens grâce aux librairies dijonnaises, des conférences… Le pavillon d’honneur sera cette fois à l’intérieur et non plus à l’extérieur. Il y aura un peu de maroquinerie, de masques vénitiens…
L’événement est-il définitivement votre « bébé » ?
C’est évident. Il est l’origine même de Dijon Congrexpo, le premier événement économique et populaire de Bourgogne, le sixième du genre en France par sa fréquentation. Je suis très heureux de constater l’attachement de notre visitorat.
Certains la boudent, pourtant. Trop « graillon », trop d’incohérences, trop de visées mercantiles voyantes…
Je ne crois pas que la foire ait perdu de son âme. Il y a obligatoirement une nécessité d’équilibre, voire plus, si l’on veut amortir le déficit structurel du parc des expositions et des congrès. Alors je l’assume, effectivement, on en ressort en « sentant la foire », effectivement l’événement est populaire.
Et alors ? Notre taux de fidélisation reste important. Les gens qui vont au souk ne se plaignent pas d’y trouver de tout. Ici, c’est pareil, c’est un désordre organisé, qui suscite des effets d’aubaine et de découverte. Chacun y trouve ce qu’il a envie d’y trouver.
Quelle est votre force, au bout du compte ?
Dijon Congrexpo, c’est une petite équipe d’une trentaine de personnes. Il n’y a pas de doublonnage, de vice-directeur ou d’assistant délégué, il ne faut pas que quelqu’un soit malade (sourire). Malgré cela, notre capacité de mobilisation est constante. Elle est très liée à notre champ de compétences et à notre savoir-faire. À ce sujet, la mobilisation d’associations bénévoles, comme celle des cuisiniers de Bourgogne, est vitale pour nous. Je suis dans un rôle d’animateur au milieu de tout cela.
On a le sentiment que vous faites tout cela en bon père de famille…
Je n’ai pas d’autre méthode de gestion. Mais il ne faut pas nous considérer non plus comme une vieille dame : nous investissons, à travers la mise en place de normes qualitatives et environnementales de pointe, qui auront une incidence sur nos méthodes et nos achats. Notre système de comptabilité analytique va évoluer, nous allons appliquer un système d’optimisation industrielle, la méthode SMED, pour réduire les temps intermédiaires de chaque réalisation. Nous sommes parfois perçus de façon passéiste car nous sommes inscrits dans le temps, mais les méthodes dont je parle sont celles de grands groupes internationaux.
Quand sera reconduite l’exploitation de Dijon Congrexpo ?
Nous avons naturellement répondu à l’appel d’offres, nous sommes donc dans l’attente d’une réponse. La fin de l’exploitation arrive en décembre. Nous travaillons sur des projets à long terme, comme l’organisation de Florissimo 2020 qui doit se préparer au moins trois ans avant, il est donc urgent que nous soyons rassurés.
Pour finir, un doigt de limoncello ?
Ah ! (sourire) J’ai eu à en créer chez Gabriel Boudier. J’ai pris les fameux citrons d’Amalfi, extraordinaires, qu’il faut cueillir très jeunes. J’y ai apporté ma patte de liquoriste : plutôt que de faire tremper des bouts de citron dans de la grappa, j’avais utilisé une partie infusée et une partie distillée. Un peu de citron vert, une touche de cédrat de Corse, de l’orange amer, du curaçao…
Tout cela donne soif. Santé à l’Italie !
Salute !