Allons au chevet des entreprises qui incarnent, à notre sens, l’esprit bourguignon. Premier épisode avec les Anis de Flavigny et sa dirigeante Catherine Troubat. Le bien bon bonbon vivra, mais l’essentiel est ailleurs.
Origine, poids et taille de votre entreprise.
À l’origine une confiserie, déjà bien avant 1591 ; 4 millions de chiffre d’affaires dont 35% à l’export et 12% dans notre boutique à Flavigny-sur-Ozerain ; 35 personnes employées.
Comment allez-vous aujourd’hui (2 avril) ? Votre entreprise est-elle fiévreuse, juste confinée ou dans un état préoccupant ?
Notre fabrique tourne au ralenti. L’équipe de fabrication est présente une semaine sur deux, celle du conditionnement deux jours sur cinq, celle des bureaux alterne entre télétravail et temps chômé. Nous continuons à expédier, mais recevons très, très peu de commandes. La majorité de nos clients sont des stations-services sur l’autoroute, des kiosques en gare ou dans les aéroports, des jardineries, des petites boutiques cadeaux… Heureusement, nous vendons dans les grandes surfaces en Bourgogne-Franche-Comté et dans les boutiques alimentaires bio un peu partout en France. Malgré tout, les consommateurs recherchent actuellement surtout des produits essentiels, de première nécessité, plus que notre bien bon bonbon…
Quand avez-vous pris conscience de l’ampleur de cette catastrophe ? Déjà en voyageant entre janvier et mars pour des salons professionnels à Paris, en Allemagne, à Dubaï, à Los Angeles… Il n’y avait plus un visiteur asiatique. Nous mettions alors systématiquement sur notre stand un bidon de gel hydroalcoolique, comme tous nos confrères exposants. Le révélateur fut le salon de Los Angeles : le lendemain de notre arrivé, nous recevions un SMS annonçant l’annulation.
« Mettre en sécurité mes salariés et veiller à ce que chacun touche le même salaire net qu’avant. »
Quelles furent vos premières mesures prises ?
Mettre en sécurité mes salariés, en renforçant toutes nos mesures d’hygiène et de sécurité. Gel hydroalcoolique dès l’entrée de la fabrique, dans l’entrée de chaque atelier, de chaque bureau, aux toilettes ; vêtements de protection ; séparateurs plexiglass pour isoler les postes ; scission des équipes, organisation du télétravail (ordinateur, mise en réseau à distance), appel des fournisseurs, des transporteurs ; construction de notre plan de continuité… et veiller à ce que chaque salarié touche le même salaire net qu’avant.
Imaginez-vous des séquelles au-delà de la rémission ?
Je m’interroge sur le retour des touristes en Bourgogne-Franche-Comté, en France et dans le monde. Et comment vont s’organiser les protocoles de visite dans les lieux touristiques.
Avez-vous le sentiment que l’on se soucie de votre santé, que les dispositifs mis en place sont à la hauteur du défi ?
Les communications et consignes successives au jour le jour rendent difficiles une projection sur du moyen terme. Il fallait déjà gérer l’urgence, je le comprends bien, mais il faut aussi avoir toutes les informations pour anticiper l’après confinement. J’aurais aimé que les informations soient transparentes dès le départ, par exemple sur les masques. La consigne aurait été : « Faites-les vous-même, nous en manquons ». J’aurais aimé que dès décembre, l’État nous alerte mieux sur ce virus qui ne s’arrêterait pas aux frontières chinoises, encore moins italiennes, et qu’il y avait urgence à mettre en place toutes les mesures barrières, dont la distanciation. Après, je comprends que même les plus grands scientifiques découvrent progressivement ce virus.
Quelles sont les initiatives les plus originales qui vous ont fait tenir face à la pandémie ?
Mon équipe si calme, responsable, engagée, a su s’adapter très vite. Je retiens la réactivité impressionnante de notre informaticien, de notre cabinet d’expertise comptable et nos conseils qualité et ingénierie. Je suis aussi sensible à la solidarité avec nos fournisseurs, nos transporteurs, nos clients. Tout comme celle, hors du registre professionnel, avec les hôpitaux en France et ailleurs.
À l’inverse, qu’est-ce qui vous traumatise le plus ?
Je fais des cauchemars la nuit, preuve que je me fais du souci pour l’équipe, pour l’entreprise. Ce qui me désole, c’est de voir nos hôpitaux qui manquent de lits, de matériel de respiration, de médicaments, de masques, de sur-blouses, de sur-chaussures, de charlottes… Je pense aussi aux personnes qui décèdent seules, loin des leurs, dans les Ephad ou à l’hôpital.
Pensez-vous que la notion de proximité et de territoire sortira gagnante de cette pathologie mondiale ?
Je l’espère. Quelques enseignements sont déjà à tirer : savoir produire et travailler près de chez soi, avoir plus d’autonomie, respecter la nature, respecter l’Homme… En tout cas, j’observe que la pollution baisse bel et bien quand l’activité humaine ralentit.
« Les encouragements des anciens qui appellent pour avoir des nouvelles font aussi du bien. »
À titre personnel, que retirez-vous de cette situation ?
Les marques d’affection du quotidien : le petit coup de fil ou le sms de la famille, des amis, le petit coucou de loin, la présence efficace et fidèle de l’équipe peu importe si elle est en télétravail, ici une semaine sur deux ou deux jours sur cinq. Les encouragements des anciens qui appellent pour avoir des nouvelles font aussi du bien.
L’abbaye de Flavigny en confinement, ça donne quoi ?
Le silence dans les grands couloirs et les escaliers de l’abbaye, pas un visiteur qui se balade dans la cour, dans la crypte, dans la boutique, dans le petit musée. Moins de 10 personnes sur 35 dans l’abbaye, habillées en tenue de « cosmonaute », d’autres confinés chacun dans un bureau, devant les bassines, à la préparation des expéditions. Mais ils sont toujours là, le parfum de l’anis et la musique des bonbons qui roulent dans les bassines. Discrets mais bien là, comme un cœur qui bat.