Parmi les mesures déployées par le gouvernement, le Prêt Garanti par l’État (PGE) est aux chefs d’entreprises ce que l’hydrochloroquine est aux malades atteints par le Coronavirus : une source d’espoir, avec une prescription plus complexe qu’il n’y parait. Même si dans ce domaine, en Côte-d’Or comme ailleurs, on comptera les morts. Là aussi.
Par Dominique Bruillot
Au contexte d’une économie en confinement, s’ajoutent les incertitudes de l’échéance et des conditions de la reprise. On se demande ce que sera alors l’après, on s’inquiète d’un toujours possible retour du virus. Beaucoup de petites entreprises sont en présence d’une équation quasi insoluble. Si leurs capitaines gardent de l’énergie, ils attendent énormément d’un plan de relance à la hauteur du défi, qui dépasse les effets de manche de nos politiques.
Porteurs sains et cas graves
Autant dire que le pari n’est pas gagné d’avance. La France est un bateau ivre parmi d’autres dans le monde. Ça tangue de toutes parts. Les TPE/PME subissent la (dé)mesure de ce tangage. Récemment, lors d’une rencontre vidéo organisée par la CPME de Côte-d’Or, une quarantaine de patrons « patrimoniaux » (donc personnellement engagés dans leur entreprise), ont eu toutefois l’occasion d’échanger avec deux grands banquiers de la place régionale.
Grégory Louchet et Charles-Eric Baltoglu, respectivement directeur du développement de la Caisse d’Épargne Bourgogne-Franche-Comté et directeur régional de la BPI, ne manquent donc pas de courage. Ces hommes de la finance sont en effet dans la cible d’un entrepreneuriat territorial en plein désarroi, qui vit un enfer sans issue vraiment visible. Les petits patrons portent en eux le destin des personnes morales (l’expression pour désigner une entreprise prend ici tout son sens !) dont ils sont souvent les géniteurs ou qu’ils ont épousé pour le meilleur et pour le pire. Découvrant aujourd’hui qu’il y a toujours pire que le pire, la pandémie.
« Le report fiscal et social ne suffira pas et, contrairement à ce qu’on a entendu, des faillites il y en aura »
À sa manière, comme du point de vue sanitaire, le coronavirus frappe à géométrie variable. Il y a ce qu’on appelle les porteurs sains, qui traverseront la crise sans souffrir, n’ayant pas même conscience de ce qui se passe autour d’eux. Ceux-là auront le champ libre à l’issue du déconfinement. Ils gagneront parfois de cette situation. Puis il y a le gros de la troupe, les confinés dans leur chiffre d’affaires et leur production. Certains s’en tireront avec une « gripette » et garderont le cap, plus prudents qu’avant, cela ne fait pas de doute. La majorité devra recourir à des soins intensifs, à la réanimation, quand ils ne mourront pas.
Un tour de force
« Le report fiscal et social ne suffira pas et, contrairement à ce qu’on a entendu, des faillites il y en aura, certaines de nos entreprises sont déjà en cessation de paiement » reprend Geoffroy Sécula, président de la CPME Côte-d’Or. En cause, le décalage entre le monde politique et la vraie vie. Alors que de leur côté, les banques se disent prêtes à jouer le jeu. Grégory Louchet le rappelle au préalable : « 90% de nos agences sont opérationnelles, et nos conseillers sont présents pour répondre aux besoins et interrogations de nos clients à distance afin de respecter les principes de sécurité et le report sur six mois des échéances représente déjà pour nous 60 millions d’euros non perçus. »
On sait bien aussi que le chômage technique, qui implique malgré tout une avance de trésorerie de la part des entreprises, ne supprime pas le poids des autres charges fixes. Pour des centaines de milliers d’activités, le recours au PGE, Prêt Garanti par l’État, bien que source d’endettement, est vu comme une aubaine, une prescription miracle.
« Nous (la BPI) sommes uniquement chambre d’enregistrement sur le dispositif du PGE et ce sont bien les banques qui ont la décision. »
L’acronyme PGE est le professeur Raoult de l’économie. À condition d’y avoir accès. Il est établi, dans le cadre de la réglementation européenne, que les entreprises en situation de fonds propres négatifs, ce qui peut pourtant arriver sans que cela soit fondamentalement inquiétant, ne seront pas éligibles au PGE. À ce stade de l’analyse, le « 0 faillite » est déjà un leurre. « Comme l’indique le ministère de l’Économie et des Finances, le PGE n’est pas un droit, une banque ne prête pas seulement sur la base d’une garantie d’État, dans l’intérêt premier de son client ; elle prête si la santé financière de l’entreprise lui permet de rembourser ce prêt », rappelle en retour le directeur du développement de la Caisse d’Épargne.
Les banques ne sont pourtant pas inactives, loin de là. « C’était un tour de force dans de telles conditions, plaide Charles-Eric Baltoglu. En quelques jours, nous avons validé 1740 dossiers pour 193 millions d’euros de crédit, soit plus de 100 000 euros en moyenne par dossier ». Le PGE, tout garanti qu’il est par l’État, impose, à défaut de pouvoir le rembourser plus vite, qu’il devra être amorti sur cinq ans à partir du 13e mois. « L’idée est que le chef d’entreprise consulte quand même ses banques avant de demander le numéro qui confirme notre garantie. Nous sommes uniquement chambre d’enregistrement sur le dispositif du PGE et ce sont bien les banques qui ont la décision », précise le directeur régional de la banque publique. C’est donc un algorithme basé sur la capacité d’autofinancement des entreprises qui détient une partie des éléments de réponse.
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Le PGE mais pas que
Même si les conditions de cette solvabilité sont considérablement élargies, à la demande des pouvoirs publics, de nombreux PGE ne seront pas accordés à la hauteur de ce qui est attendu pour survivre et, malheureusement, certains sont tout bonnement retoqués. Commence alors le parcours du combattant d’un appel à la médiation du crédit, mais aussi le possible recours à d’autres sources de financement. « Le prêt Atout auprès de la BPI est une ouverture, nous avons déjà eu pour 6 à 7 millions d’euros de demandes directes, rappelle Charles-Eric Baltoglu. Aussi avons-nous mis en place avec la Région le prêt rebond (61 dossiers instruits en quatre jours), plafonné à 200 000 euros. »
À ces dispositifs s’ajoutent des assouplissements bancaires comme à la Caisse d’Epargne selon Grégory Louchet : « Avec BPCE Factor, nous avons mis en place un dispositif d’affacturage simplifié permettant d’obtenir jusqu’à 2 mois de chiffre d’affaires en trésorerie, avec un allégement des conditions sur la retenue de garantie. »
Le PGE, attendu comme le Messie par de nombreux disciples en souffrance, n’est donc pas l’unique voie à prendre pour le redémarrage post crise sanitaire. Le chemin de croix des entreprises en difficulté est encore semé d’étapes qui, circonstances exceptionnelles obligent, apporteront de nouvelles hypothèses. Il y a encore beaucoup d’inconnues dans l’équation à résoudre. Beaucoup de réponses à donner pour ne pas avoir au bout du compte le sentiment qu’on ne prête qu’aux riches, avec le risque de plomber le bilan comptable des disparus.