La crise ne l’a pas épargné, la maladie a touché ses proches. Mais dans ses nuits agitées, le président du Medef Côte-d’Or a trouvé l’idée qui pourrait peut-être sauver son entreprise. À Longvic, la menuiserie de David Butet produit les premiers exemplaires d’un distributeur de gel hydroalcoolique en bois, actionné par le pied et payé cash par les clients.
Par Dominique Bruillot
Photos : Jean-Luc Petit
Pour David Butet, la crise du Covid-19 a commencé bien avant le confinement. Dès la fin février, le chiffre d’affaires de CDVA Conseils, son groupement d’entreprises spécialisé dans l’événementiel, s’effondre. Les salons disparaissent de l’agenda les uns après les autres. Son associé tombe alors gravement malade. Trente jours d’hospitalisation dont trois dans le coma, une période de rémission qui promet d’être longue et exténuante. Une collaboratrice est elle-même sévèrement embarquée par le virus. « J’avais la tête ailleurs, j’ai pris beaucoup de nouvelles de tout le monde, même si j’ai continué mon action syndicale. Ce truc est une m… sans nom », lâche le président du Medef Côte-d’Or.
La question des fonds propres
Nul ne peut échapper à la logique froide et implacable d’une pandémie qui sera peut-être encore plus mortelle par l’économie qu’elle menace de destruction. « Tout cela est énorme et imprévisible. Au départ, on est dans la sidération. On ne peut condamner personne, chacun doit apporter sa pierre à l’édifice », poursuit David Butet qui, pleinement engagé dans la défense des entreprises, doit aussi penser à ses salariés, l’équivalent de 70 emplois temps-plein.
Les deux combats se rejoignent. Strategic Event, devenu Muwse récemment, a engagé de nombreux investissements ces dernières années, dont le déménagement de sa menuiserie sur Longvic. Son volume d’affaires a été multiplié par cinq en peu de temps. C’est le genre de période qui met logiquement les fonds propres dans le négatif, en totale concertation avec les banques et les partenaires financiers. Mais les fonds propres négatifs, au regard des textes imposés par l’Europe, interdisent l’accès au prêt garanti par l’État, le fameux PGE. CDVA Conseils incarne ce qu’on appelle désormais le « trou dans la raquette ».
David Butet est donc doublement bien placé pour monter au créneau. Il symbolise à certains égards cette distanciation entre le positionnement national du Medef et la réalité territoriale de ses adhérents, « un gros débat en interne ». Le syndicat affiche cause commune au plus haut niveau, mais il abrite des sensibilités différentes comme Geoffroy Roux de Bézieux et son vice-président Patrick Martin, dont la fibre entrepreneuriale est plus patrimoniale. Une dualité de pensée qui oppose parfois « une question d’influence globale à la question des organisations de terrain ».
À l’échelle côte-d’orienne, comme dans de nombreux territoires, la crise résonne différemment. « On peut même dire que notre entente est bonne localement avec la CPME. Il n’y a pas tant de différences que ça entre nous, nous savons les uns comme les autres que sans les TPE/PME, beaucoup de grandes entreprises ne pourraient pas travailler et, à l’inverse, que sans le carnet de commandes de ces grandes entreprises, beaucoup de TPE/PME n’existeraient pas. »
Les tsunamis à venir
Bercy et le Medef sont dans des discussions tendues avec l’Europe, qui devra bouger ses propres lignes si l’on veut éviter l’hécatombe et permettre de libérer des financements adaptés, au cas par cas si cela est nécessaire. « Les entreprises dont les fonds propres sont négatifs ne sont pas toujours, loin s’en faut, des entreprises au bord du gouffre. J’invite d’ailleurs chaque chef d’entreprise à ne pas hésiter à parler de sa situation, il faut penser au monde d’après. »
Ce monde d’après devra affronter plusieurs tsunamis. Le premier d’entre eux, l’actuel, n’étant pas forcément le plus violent de tous. Il faudra repartir dans un marché perturbé, reprendre en septembre avec des caisses vides et affronter dans un troisième temps les remboursements de prêts. Le tout, avec des secteurs sinistrés comme la restauration, l’événementiel et le tourisme, qui savent déjà que pour eux, les dés sont jetés jusqu’à l’horizon 2021, voire plus loin. Dépôts de bilan et liquidations sont malheureusement à prévoir en cascade.
« On avait déjà 700 milliards d’euros de créances clients dans nos entreprises, la crise en a rajouté 200 avec l’arrêt total des paiements, ce qui est monumental. »
« Pour les pertes liées au Covid-19, j’ai proposé de faire évoluer les règles comptables, commente David Butet. Pourquoi ne pas considérer les 90% de garantie de l’État sur les PGE comme des fonds propres ! » L’effet mécanique de ce jeu d’écritures ne manque pas de sens. Il protègera la structure financière des entreprises, qui est l’indice de santé sur lequel les banques se baseront plus tard pour prêter, comme avant. Avec un raisonnement poussé à l’extrême : « Considérer ce financement comme une dette perpétuelle qu’on amortit ou pas selon la situation, de façon à ce que l’obligation liée aux amortissements ne mette pas en danger les entreprises qui y ont souscrit. » Ce qui reviendrait, en d’autres termes, à faire de l’État un actionnaire dormant de ces sociétés.
L’argent est aussi dans le passif des bilans. « On avait déjà 700 milliards d’euros de créances clients dans nos entreprises, la crise en a rajouté 200 avec l’arrêt total des paiements, ce qui est monumental. Une partie va se résorber au moment de la reprise, mais il va falloir trouver des solutions complémentaires pour sortir de cette situation. » Le seul élément de consolation, qui n’en est pas vraiment un, c’est que le monde entier est concerné, pas seulement la France. Un contexte qui pousse à la réflexion. Et à des nuits courtes pour le dirigeant.
Euréka, un distributeur de gel !
Les nuits courtes, David Butet les connaît bien. « Il y a une prise de recul et de réflexion sur le sens que nous donnons aux choses, beaucoup de personnes s’interrogent sur leur travail, leur vie. Je ne sais pas ce que cela sera réellement au-delà de l’effet confinement, mais j’ai pu identifier au moins cinq collaborateurs capables de faire évoluer l’entreprise par leurs idées et leur volonté. » Dans son sommeil agité, le dirigeant a vu une lueur pour sa menuiserie : la réalisation d’un distributeur de gel hydroalcoolique en bois actionné par le pied. Très vite, le staff technique de Strat Design, l’autre entité du groupe présidé par David Butet, a réalisé un prototype. Très vite aussi, en quelques contacts, les commandes sont tombées par centaines. Les clients paient d’avance, car la menuiserie a une trésorerie exsangue, comme beaucoup d’entreprises. « On change de métier. Je ne sais pas si cela est durable ou pas, mais je sais déjà que cette formule est vertueuse à plus d’un titre. »
La destruction d’un modèle économique suscite le rebond. Elle se montre une fois de plus créatrice de solutions pour générer un autre modèle. À l’image de ces PME de la métropole lancées dans la fabrication de masques (Stand 21 à Talant, Rémi Confection à Longvic pour ne citer qu’eux) ou de ces industriels dans la production de respirateurs (SEB), Strategic Event trouve les moyens de son retour aux affaires. Le gel, tout gel qu’il soit, peut aussi dégeler une situation bien compromise. Mais c’est, quoiqu’on en dise, l’Homme qui trouve toujours la solution. Il n’y aura pas de réveil économique sans idées, pas sans celles et ceux qui sauront les mettre en pratique.