La Ferme de Clavisy dans l’Yonne livre ses belles viandes à des tables réputées de Paris, des Alpes et de la Bourgogne. Confinement oblige, elle s’est adressée au particulier. Une révélation pour Guillaume Verdin, qui envisage de créer son laboratoire de transformation et de découpe dans la région de Beaune.
Par Dominique Bruillot
Clavisy est à quelques tirs de boulets de Noyers-sur-Serein. Il se dit qu’à une époque lointaine, les seigneurs locaux étaient en rivalité avec leurs voisins. On ne devient pas une ferme forteresse par hasard. Il y a plus de trois siècles aussi, un Verdin traçait déjà son sillon dans les champs de la Ferme de Clavisy. Guillaume Verdin est donc le représentant d’une longue lignée d’agriculteurs de noble souche. « Depuis toujours, nous sommes éleveurs et commerçants », avance celui qui porte l’art de vendre au niveau de l’art de faire. Son héritage lui donne raison. Comme ses ancêtres les blouses noires, le maquignon assume son destin. On peut produire le meilleur, mais s’il n’y a que soi-même pour en croquer, les vers finissent par vous manger.
Il est aussi une victime collatérale de la politique agricole commune (PAC), dont il garde un sévère traumatisme : « Nous étions spécialisés dans le mouton, jusqu’à ce que les grandes surfaces viennent péter le marché dans les années 90. » On se souvient alors de cette agriculture déchirée entre la perfusion européenne qui encourageait l’intensité céréalière tout en provoquant l’invasion soudaine de bêlants venus du dessous de la planète, des Néo-Zélandais surtout, que le monde agricole français en rébellion a fini par cramer sur la place publique.
Comme les Bourguignon
En 2020, le seigneur Guillaume, introduit dans l’affaire par un père bienveillant, est à la tête de 150 hectares de terres subtiles et d’une exploitation plus modeste d’estive dans la Nièvre. Avec un parti pris infaillible : « Faire du tracteur, ça n’est pas mon truc. Dans la famille on a toujours été partisans de la conservation des sols : laisser le champ libre au lombric, dans le respect de la technique inspirée par Claude et Lydia Bourguignon dans les vignes. »
Depuis une quinzaine d’années, ce jovial Bourguignon vénère la mémoire d’un hier vertueux avec le regard de sa génération. « On a limité la chimie, on revient finalement à ce qui se faisait il y a cinquante ans en arrière, on produisait moins, on gagnait peu, mais on était dignes. » Le cheptel de Clavisy représente 500 brebis et une cinquantaine de vaches. « Deux espèces qui mangent des choses complémentaires et c’est bien. »
Un acte amoureux
Les agneaux ont vite plu aux restaurateurs. Puis, à la demande de ces derniers, les bovins ont suivi, soigneusement élevés ou confiés à des « éleveurs qui s’occupent des bêtes comme je le veux et qui sont bien payés ». Guillaume est le premier fan de sa production : « J’en consomme sans doute un petit pour cent. » Sa passion est virale, c’est de circonstance. Grâce à sa méthode rigoureuse de travail et son enthousiasme communiquant, il contamine des chefs de renom, parvenant à leur servir en direct jusqu’à 150 tonnes de viande par an, précautionneusement préparée et maturée. Pour ne citer qu’eux : Julien Machet (Le Farçon) à Courchevel, Daniel Baratier (Auberge sur les Bois) à Annecy, des Bourguignons bien évidemment, dont le très en vogue Biz’tro à Beaune ou le chef étoilé de Pernand-Vergelesses Laurent Peugeot, qui fait actuellement un malheur avec son hamburger façon Charlemagne avec la Simmental fournie par notre homme.
« J’élève mes bêtes selon un cahier des charges très strict, je laisse mûrir la viande juste ce qu’il faut. »
Mais Clavisy est aussi une entreprise. Sept personnes y travaillent. Dévotes du culte de la bonne chère. Aux côtés du chef, un ouvrier dédié à la production, un boucher, un autre garçon boucher qu’il considère comme son « jumeau » tant il lui ressemble physiquement, une secrétaire externalisée et une collaboratrice dédiée à la comptabilité. Au four et au moulin, quand il ne met pas la main à la carcasse, le gentleman-farmer parcourt en moyenne 2500 kilomètres par semaine pour voir ses clients, entre Paris, la montagne et la Bourgogne, qu’il considère comme ses amis. Une telle diversité géographique assure une régularité de demande, en toute saison. Un déplacement au château de Sainte-Sabine dans l’Auxois ou dans un bel établissement des Alpes n’a rien d’innocent. Il faut prendre le temps d’échanger, de s’intéresser à l’autre, à sa cuisine, à son jardin, à son étang s’il en a un. « Pas besoin d’être pressé, on me propose souvent de dormir sur place. »
Avant de finir dans l’assiette, un steak made in Ferme de Clavisy est donc la conséquence d’un acte amoureux. « J’élève mes bêtes selon un cahier des charges très strict, je laisse mûrir la viande juste ce qu’il faut. » La pratique a fini par séduire les collectivités de la région. L’hôpital de Tonnerre, l’Ehpad de Noyers-sur-Serein et des collèges du nord de la Bourgogne consomment des produits de la ferme. Ils font un vrai choix, quitte à en payer le prix. Le locavore, heureusement encouragé dans la pratique institutionnelle, ne se discute pas. Il se savoure.
Un nouveau fonds de clientèle
Puis débarque le vilain virus. « Certains chefs, abasourdis par la situation, sont restés scotchés devant BFM, d’autres ont réagi comme ils le sentaient, en reprenant un minimum d’activité. » Mais la demande s’effondre. Pâques, sacro-saint rendez-vous des bovins et ovins, passe à la trappe, cloué par le Covid-19. Guillaume ne se laisse pas abattre pour autant : « On a freiné les élevages, pas le choix, mais je me suis tourné en direction des particuliers. » Cette mutation imposée, moins rentable, demeure protectrice d’un élevage qui doit malgré tout garder son rythme de vie et son volume. Elle finit par inspirer l’éleveur.
Facebook et Instagram sont devenus la vitrine de son nouveau marché. Le temps d’un confinement, il livre 1200 à 1300 colis à des gens ravis de découvrir les vertus d’une viande de haute tenue. Le tout au bénéfice d’une circulation fluide : « La seule fois où l’on m’a contrôlé, c’est en allant chercher mon pain et quelques rillettes dans mon village pour le petit-déjeuner ! » Une véritable révélation, sans mettre une seule fois les pieds à Paris pour retrouver ses copains chefs, comme il en avait l’habitude auparavant.
« Beaune est un territoire de connections, nous sommes à un tournant, je veux montrer que nous ne sommes pas des agriculteurs pollueurs comme on nous décrit trop souvent. »
Guillaume Verdin ne veut pas lâcher l’affaire. Tout en restant le fournisseur préféré et aimé des belles cuisines françaises, il veut « garder ce nouveau fonds de clientèle ». Titulaire d’un BTS de viticulture, il garde le souvenir mémorable de celui qui aura été son seul patron, le vigneron David Duband (Hautes-Côtes de Nuits). Et un amour sans borne pour le vin et la région de Beaune, où il imagine prochainement créer un atelier de découpe et de transformation : « C’est un territoire de connections, nous sommes à un tournant, je veux montrer que nous ne sommes pas des agriculteurs pollueurs comme on nous décrit trop souvent. »
Tout en poursuivant sa tâche de bienfaiteur des tables, le maquignon des temps modernes a envie de proposer au grand public, à la marge de son laboratoire, des plats de tradition à réchauffer. Au menu de la vente en direct : blanquettes, épaules d’agneau et porcelets en direct de la Ferme de Clavisy. « Nos petits terroirs font tout par eux-mêmes, il faut que les gens le sachent en goûtant nos viandes. » On ne dira plus adieu veaux, vaches, cochons…