Ils sont les petites pierres apportées à l’édifice de notre rémission. Portraits de ces travailleurs ordinaires sous l’œil du photographe Jean-Luc Petit. Épisode 7 : Frédérique Prince, infirmière de bloc opératoire et volontaire au service réanimation.
Par Emmanuelle Tritz
Photos : Jean-Luc Petit
Frédérique Prince est infirmière de bloc opératoire depuis 2007 au CHU à Dijon. Son quotidien, c’est le travail en binôme avec le chirurgien pour des opérations ORL, maxillo-faciales ou esthétiques. Mais lorsque le service de réanimation a fait savoir qu’il aurait besoin de renfort, elle s’est portée volontaire. Une formation expresse plus tard « sur les gestes de réanimation et sur les médicaments, parce qu’en réanimation on manipule des médicaments qu’on n’utilise pas au bloc, et qui peuvent être dangereux » et Frédérique Prince est « passée d’un monde à un autre ».
Affectée à un service de réanimation monté pour accueillir les patients non-Covid – même si les opérations jugées non urgentes ont été repoussées, l’hôpital a évidemment continué ses missions pour les personnes nécessitant une prise en charge – , Frédérique a vu les quatre services de réanimation habituels du CHU Dijon se remplir inexorablement de malades du coronavirus. Elle confirme : pour les soignants aussi, un telle épidémie « est une chose qu’on ne s’attend pas du tout à vivre. La peur est toujours là. Le fait que le virus circule, on a toujours peur de ne pas s’être bien lavé les mains, de ne pas avoir fait les bonnes pratiques, c’est toujours un peu compliqué, on se pose toujours beaucoup de questions. »
La réanimation, un travail d’équipe
Ses nouvelles fonctions lui ont permis de découvrir une autre façon de travailler : être infirmier au bloc ou en anesthésie sont deux spécialités bien distinctes et Frédérique estime avoir été chanceuse : « Au bloc même s’il y a aussi des équipes dédiées à la chirurgie et à la réanimation, une infirmière de bloc travaille plutôt avec une seule personne. Là, on travaille réellement en équipe. J’étais avec des gens vraiment bienveillants, sans jugement. On réapprend à rediscuter, on a la chance de pouvoir échanger. »
« J’ai un mari, deux enfants. Je me demandais si je pouvais rentrer chez moi, si je pouvais quand même habiter à la maison… Ça, c’est vraiment ce que j’ai le plus mal vécu. »
Certes, il y a le stress d’un métier qu’on doit apprendre en urgence, la fatigue. « Au début, je n’y ai pas vraiment pensé, parce que je me suis portée volontaire tout de suite. » Mais le pire à vivre était la crainte de contaminer ses proches… « J’ai un mari, deux enfants. Je me demandais si je pouvais rentrer chez moi, si je pouvais quand même habiter à la maison… Ça, c’est vraiment ce que j’ai le plus mal vécu. »
Après l’épidémie, Frédérique retournera dans son service d’origine – « je vais être contente de retrouver mes collègues qui me manquent ! ». Elle souhaite que l’hôpital tire du bon de cette catastrophe sanitaire : « On verra sûrement les choses complètement différemment dans notre quotidien, dans nos prises en charge… On va retrouver un peu d’humanité, on va partager nos expériences. Peut-être plus se parler. Je l’espère ! »
Quant au monde « d’après », elle le voit davantage à l’écoute de ceux qui, comme elle, se dévouent pour les patients. « Je pense que le rapport aux soignants va changer. Avant, on soignait les gens mais on avait l’impression qu’il n’y avait aucune reconnaissance et c’est ce qui manque beaucoup dans cette profession. Parce qu’on fait ce métier pour ça. Je parle pour moi, c’est un métier qu’on ne fait pas pour l’argent. On le fait pour avoir un peu de reconnaissance de la part des gens, de leur famille et aussi de notre encadrement forcément. On a retrouvé un peu de cette humanité qui fait que les gens sont reconnaissants de ce que les autres font, de la même manière que, nous, soignants, on peut être reconnaissants de ce que les livreurs ont fait pour les magasins, ou des actes de solidarité envers nous. Ça me semble important. » De l’empathie, du respect, de la reconnaissance… et si l’unique vertu d’un drame comme celui que l’humanité est en train de traverser était précisément de nous reconnecter avec l’essentiel ?
Déjà parus
Épisode 1 : Carole Descharmes, médecin généraliste à Gergy (71)
Épisode 2 : Romain Bormel, conducteur de benne à ordures à Dijon
Épisode 3 : Magali, caissière au Super U d’Arc-sur-Tille
Épisode 4 : Lakhdar Zelbouni, président de l’épicerie solidaire Le Cœur Dijonnais
Épisode 5 : Vanessa, ASH volontaire au CHU Dijon
Épisode 6 : Sébastien Mirek, anesthésiste-réanimateur au CHU Dijon