Ils sont les petites pierres apportées à l’édifice de notre rémission. Portraits de ces travailleurs ordinaires sous l’œil du photographe Jean-Luc Petit. Huitième et dernier épisode : Alexis de Rougemont, chef du laboratoire de virologie du CHU Dijon.
Par Emmanuelle Tritz
Photos : Jean-Luc Petit
Certains abusent de la rhétorique guerrière pour évoquer la pandémie. Lui préfère embarquer son interlocuteur au large : c’est en « capitaine » qu’Alexis de Rougemont, chef de service du laboratoire de virologie au CHU de Dijon, évoque les 11 dernières semaines quasi non-stop « sur le pont », auprès de son équipage, des biologistes et techniciens, pour effectuer les tests des prélèvements sur les patients avec un seule question : Covid or not Covid ?
Dès début février, le labo dijonnais, en relation avec le CNR (Centre national de référence) des virus respiratoires du laboratoire Pasteur, avait mis au point « des techniques de détection pour le Sars 1 » et attendait de pied ferme « le début des hostilités ». Au plus fort de la mobilisation, 25 techniciens et 8 biologistes ont travaillé sans relâche, sans compter les cadres de santé, dictés par une obligation de résultats rapides : de ces derniers découlaient toute la chaîne de prise en charge des patients… Le médecin-biologiste est d’ailleurs fier de son service, qui a « toujours tenu les délais, que l’on ait 20 échantillons ou 400, nous avons toujours rendu les résultats en moins de 24 heures ».
5 à 6h de travail pour un résultat
Les tests, parlons-en. Si un prélèvement par écouvillon (ce fameux coton-tige géant) prend deux minutes, le laboratoire a cinq à six heures de travail pour rendre un résultat, après un cheminement aussi lourd que strict. L’écouvillon reçu sous triple emballage doit être enregistré, des tubes secondaires avec des produits de lyse – inactivateur viral – sont préparés et l’ensemble part au labo de sécurité de niveau 3, où le personnel est équipé façon scaphandrier. Le protocole débute par l’inactivation virale dans les tubes avant qu’ils ne ressortent du labo neutralisés. Pour faire 60 à 70 échantillons, il faut entre 1h et 1h30 aux biologistes, avant que les tubes ne repartent vers une équipe devant réaliser l’extraction, tandis qu’une autre « s’occupe de faire les mix, sorte de recette de cuisine comportant tous les réactifs nécessaires pour la PCR 2 », qui prendra 1h30 elle aussi. On est loin des tests-minute à grande échelle dans des drives !
« Nous calculions les jours d’autonomie avant de tomber en panne et faisions pression pour réussir à récupérer des réactifs… »
Le Covid-19 a pris tout le monde de vitesse. En France, constate Alexis de Rougemont, « toutes les équipes des CHU, tous mes collègues, ont dû jongler avec les consommables et l’approvisionnement en écouvillons, les réactifs d’extraction, les réactifs de PCR ; nous calculions les jours d’autonomie avant de tomber en panne et faisions pression pour réussir à récupérer des réactifs… »
Flutuat nec mergitur
Deuxième motif de fierté pour le capitaine : fluctuat nec mergitur, le navire a tangué, mais n’a pas sombré. « Au moment du pic, c’était vraiment très difficile, reconnaît le virologue. Mais nous ne sommes jamais tombés en panne parce que c’était très bien géré. Nous avons aussi dû parfois dépanner des collègues d’autres CHU. » Ainsi le réseau de santé français était si peu préparé à une pandémie ? « Le retard de la Chine à avouer l’ampleur de la problématique a fait croire à quelque chose de moins grande envergure, analyse Alexis de Rougemont. Le problème n’est pas tant l’impréparation des laboratoires français, que l’absence d’anticipation des producteurs de réactifs. »
Des réactifs essentiellement fabriqués en Chine, qui a donc logiquement consommé une bonne partie des stocks… De quoi faire réfléchir la France à produire sur place « un minimum stratégique pour tenir le choc face à une montée en charge violente. Fin février, nous avons commencé avec deux séries de 20 par jour. En deux semaines, nous sommes montés à 100, 200 par jour, il a fallu à chaque fois augmenter la cadence. »
Troisième motif de fierté : l’équipage s’est montré à la hauteur et même au-delà… « Nous avons eu des équipes extraordinaires. Nous avons vraiment testé le dévouement de nos techniciens. Ils ont été très consciencieux et demandeurs ; des dissensions ont disparu au feu. Je pense que nous allons garder quelque chose de ce qui s’est créé là. »
Un précieux extracteur à haut débit
« Cette crise a renforcé la conviction de l’importance du travail que nous fournissons, même si nous sommes habituellement dans l’ombre. C’est une fierté, même si on sait que ce n’est pas fini. » Le laboratoire dijonnais fait en effet partie de ceux qui ont reçu en dotation un des 20 extracteurs à haut débit commandés par la France à la société chinoise MGI. Fonctionnant en continu, l’automate permettra de réaliser plus de 2000 tests quotidiens. Le service se réorganise donc (20 techniciens supplémentaires ont été recrutés), un deuxième labo a été créé, la section recherche a dû être réduite, ce qui signifie que les travaux du laboratoire vont être provisoirement mis sous cloche en attendant que la pression retombe.
« Ce rebond peut être lissé, les Français ont aussi compris l’importance des gestes barrière, le port de masque… »
À ce propos, que pense le virologue d’une « deuxième vague » ? « Je n’aime pas trop ce terme, qui ferait référence à une deuxième épidémie. Si elle a lieu, ce sera à mon avis plutôt à l’automne. Tout de suite, le déconfinement va logiquement entraîner un rebond, car les gens vont revivre ! Ce rebond peut être lissé, les Français ont aussi compris l’importance des gestes barrière, le port de masque… »
Virus endémique
Faudra-t-il donc apprendre à vivre avec le Covid-19 ? « Avec de nombreux cas asymptomatiques et une diffusion assez rapide, je ne vois pas comment nous allons enrayer sa transmission. Ce virus devient endémique, on ne peut pas y faire grand-chose, la mortalité étant très liée à l’âge. Mon inquiétude future se porterait plutôt sur la vaccination, du fait de la structure même de ce coronavirus. » Ce qui serait une mauvaise nouvelle pour les personnes âgées : en l’absence d’une vaccination, la solution suprême pour se prémunir du virus serait donc le confinement ? « Effectivement, confirme Alexis de Rougemont, c’est bien de confiner des personnes âgées, elles sont parmi les plus fragiles, mais cet isolement social pourrait entraîner un syndrome que l’on connaît bien, celui « de glissement » : la personne se laisse mourir, sans en avoir vraiment conscience. »
Dur à entendre, mais à moins de révolutionner l’ensemble du tissu économique, social et de revoir la place de nos seniors, on voit mal comment le Covid-19 ne fera pas de nouvelles victimes. La lutte est donc ouverte aussi bien chez les scientifiques pour trouver des solutions vaccinales que dans la conscience de chacun de nous. « Tempête sous un crâne », comme aurait dit Victor Hugo. En attendant, le capitaine Alexis de Rougemont, au milieu de ce qu’il qualifie lui-même « d’accalmie », tient la barre de son labo.
1. Pour Severe Acute Respiratory Syndrome. SARS-CoV-2 est le nom officiel du virus responsable du Covid-19.
2. Pour Polymerase Chain Reaction, technique permettant d’obtenir des millions de « copies » d’un fragment de génome. C’est dans celles-ci que le virologue détecte la présence génétique du virus.
Déjà parus
1/8. Carole Descharmes, médecin généraliste à Gergy (71)
2/8. Romain Bormel, conducteur de benne à ordures à Dijon
3/8. Magali, caissière au Super U d’Arc-sur-Tille
4/8. Lakhdar Zelbouni, président de l’épicerie solidaire Le Cœur Dijonnais
5/8. Vanessa, ASH volontaire au CHU Dijon
6/8. Sébastien Mirek, anesthésiste-réanimateur au CHU Dijon
7/8. Frédérique, infirmière de bloc et volontaire en réanimation