Élu masqué samedi 23 mai, Gilles Platret avance à visage découvert sur les terrains du tourisme de proximité et de la reconstruction commerciale de Chalon-sur-Saône. Échange avec l’atypique et déterminé maire de la deuxième ville de Bourgogne.
Séance surréaliste d’un conseil municipal de mai 2020 en France. 34 votes pour, 9 abstentions. Sans surprise, le maire de la deuxième ville de Bourgogne a été élu, masqué mais reconnu par ses colistiers. La liste de Gilles Platret a été reconduite dès le premier tour. Pour autant, cette cérémonie habituellement festive pour la démocratie avait des allures fantomatiques. « Une ambiance de la septième dimension, commente le maire de Chalon-sur-Saône, dans ce qui paraît être la vraie vie, avec des gens qu’on croit reconnaître, chacun se retrouvant comme isolé au milieu d’un océan… cela devait être une fête, ça ne l’était pas. »
Trois secondes de joie
Un peu comme le 15 mars au soir, alors que les Chalonnais votants avaient donné à 53% de leurs voix au sortant. « Ce furent trois secondes de joie, pas plus, car nous nous sommes retrouvés non pas apeurés mais portant subitement le poids énorme de responsabilités nouvelles. »
Un quotidien inhabituel, celui du confinement, s’installe aussitôt dans la vie des citoyens, de leurs élus et des employés de la collectivité. Un « état de crise et de sidération qui n’a fait que confirmer mes intuitions », constate Gilles Platret. Il parle notamment d’un « État bien content de trouver en première ligne les communes », devenues le temps d’un désastre « le phare vers lequel tout le monde se tourne ». D’en haut, on l’oublie parfois, les affaires de détail, celles qui concernent les vrais gens, sont généralement traitées par Madame ou Monsieur le maire.
Au lendemain de cette élection aussi étrange que pénétrante, il n’est plus question d’avancer masqués. Sur Facebook, la page « Chalon vous répond » fait un carton. Le premier édile en personne active sa propre page, glissant avec sincérité ses sentiments sur une situation qu’il traverse, se laissant aller à publier des photos romantiques de sa ville qu’il a prises lui-même le matin. Les likes suivent. Même si ses déclarations divisent parfois, le style Platret, qu’on aime ou qu’on n’aime pas, casse les lignes d’un système conventionnel.
Gouverner de loin, administrer de près
Girondin, « Gilou » ? Sûrement pas. « Je suis un Jacobin qui veut laisser de la liberté aux élus du terrain. » L’État doit garder son rôle. Mais quand le gouvernement veut le pousser à rouvrir immédiatement les écoles, il répond sans ambiguïté par un « non » franc et assumé, « au risque de gêner certaines personnes, c’est vrai, mais la santé passe avant tout le reste et pour gérer 38 écoles dans de telles conditions, il nous fallait du temps que nous avons décidé de prendre ». Reprenant ainsi en filigrane cette citation de Napoléon III : « On gouverne de loin, mais on administre bien que de près. »
Le soutien au petit commerce est notre préoccupation première. La perspective de pas-de-portes qui ferment en cascade est inenvisageable pour un centre-ville.
Maintenant, il va falloir relancer la machine. Chalon, c’est 47 000 âmes en déconfinement, le double voire le triple si l’on considère la zone d’influence de la ville. C’est surtout un commerce local fragilisé par la crise sanitaire. « Le soutien au petit commerce est notre préoccupation première, affirme Gilles Platret. La perspective de pas-de-portes qui ferment en cascade est inenvisageable pour un centre-ville. » Un plan de soutien est en route. Après le maintien de la gratuité du stationnement jusqu’à juin, il est question d’offrir 3 heures par jour durant tout l’été. Les droits de place et la perception de la publicité ont été gelés. « Mais il faudra passer à d’autres actions, pour préserver l’image de Chalon. »
Rien d’un cliché
L’enjeu, c’est évidemment le tourisme de proximité. Chalon a un patrimoine exceptionnel et une côte viticole à portée de cep. Elle se nourrit des maraîchages de la Saône et des poulets de la Bresse. Elle est à la croisée des autoroutes et des canaux. Elle a en elle tous les ingrédients de la grande Bourgogne, avec l’humilité et l’accessibilité en plus. Dans le grand dérapage que nous vivons, cette cité d’Art et d’Histoire, où boire bon et manger vrai est une tradition bien ancrée, a de nombreuses cartes à jouer.
Le maire promet de gros moyens pour soutenir « ce bassin de vie très attractif, de manière incisive, au bon sens du terme, pour séduire sur nos valeurs nos voisins potentiellement clients ». On a beau être dans la ville de Nièpce, cette vision de l’avenir de Chalon n’a sans doute rien d’un cliché.
Par Dominique Bruillot
Photos : Jean-Luc Petit