Quand il n’est pas à la Chambre d’agriculture de Côte-d’Or, le président Vincent Lavier redevient le cultivateur et éleveur de brebis qu’il a toujours été. C’est à Saulx-le-Duc, dans la ferme familiale, qu’on prend la mesure des contrariétés subies par un monde agricole méconnu. Les déclarations d’amour au circuit court sont à la mode. Mais le consommateur gagnerait à être éduqué sur le sujet. Le sillon du rapprochement reste à creuser.
Saulx-le-Duc. Petit village de 239 âmes sur la rive gauche de l’Ignon, posé en partie sur le versant est de la butte Saint-Siméon. Là-haut, à 432 mètres d’altitude, le panorama donne sur les paysages infinis d’un territoire partagé entre cultures et forêts. Représenté aussi par une statue et une chapelle, saint Siméon en est l’indétrônable protecteur.
Peu après l’église, la ferme des Lavier. Imposante, exposée de part et d’autre de la route. À gauche, de gros engins aux allures parfois futuristes révèlent l’importance de la surface céréalière exploitée. À droite, une grande stabulation laisse échapper les bêlements de 140 moutons, des brebis très majoritairement. Il y a de l’espace, pas de stress et le sentiment profond que le bien-être animal fait partie du cahier des charges de la maison. « Quelques années en arrière, nous en avions plus de 300, mais avec mes occupations, j’ai levé le pied sur ce plan. » Vincent Lavier exploite aussi avec son frère 370 hectares de grandes cultures, du colza et du blé essentiellement. Ils font tout à eux seuls, accueillant juste deux jeunes en renfort l’été.
En plus de son exploitation, Vincent préside la Chambre d’agriculture de Côte-d’Or. « Je n’y suis pas arrivé grâce à un parcours syndical, mais par l’expérience », prévient l’homme, qui revendique un profil atypique. Aujourd’hui âgé de 56 ans, il incarne la troisième génération de Lavier agriculteurs. L’arrière-grand-père était un maréchal-ferrant. Et cette ferme, accolée à la maison construite avec les pierres de feu le château de la butte Saint-Siméon, ne compte pas s’en arrêter là. Guillaume, ingénieur agricole diplômé comme son père, a fait le choix, à quelques mottes de terre de la maison familiale, de se concentrer sur 2 hectares de maraichage bio. Avec son style un peu « wawache » comme on dit aujourd’hui, armé d’un vieux tracteur orange Renault, il emploie deux salariés, vit de paniers à emporter et de la vente sur les marchés. Ses produits finissent aussi à Dijon, dans l’assiette de la Péniche Cancale ou de l’intermédiaire La Ruche qui dit Oui. La boucle de l’alimentation est bouclée, en quelques kilomètres. Face aux nouvelles pratique de son fils, Vincent Lavier est partagé entre étonnement et admiration.
« On a oublié de communiquer »
C’est peut-être cela la nouvelle agriculture qui se profile, avec des fermes « mamans » qui accouchent de petites structures engagées dans des démarches militantes. Le tout bio comme le tout productiviste n’ont pas de perspectives sur le long terme. Surtout sur des terres comme celles-ci, qui ont souffert du dérèglement climatique et sanitaire. Car c’est bien là que le combat doit être mené.
Le 11 septembre dernier, à la Maison de l’agriculture à Bretenière, au lendemain d’une saison sèche et anormalement chaude, le président et ses camarades de labeur et du labour criaient au secours, appelant à l’aide d’une profession pas loin de vivre sous le seuil de pauvreté. Signe évident de cette mutation du terroir local, adossée à un contexte de haute tension sur les marchés internationaux, à Saulx-le-Duc, il faut deux fois plus de surface fourragère qu’aux début des années 2000 pour nourrir le même cheptel. Ce qui implique, pour trouver l’équilibre, d’avoir des activités complémentaires. Le bois à déchiqueter et le photovoltaïque sont les pièces rapportées de la nouvelle équation économique de la ferme Lavier. « On a oublié de communiquer sur notre métier pendant trop longtemps », reconnaît Vincent.
Filières menacées
Le monde agricole, regardé de haut et de loin par les circuits de consommation urbains, est pourtant passionnant de diversité et d’histoires entrepreneuriales. En Côte-d’Or par exemple, la viticulture représente 2 % de la surface agricole pour 50 % du chiffre d’affaires. Comment pourrait-on alors comparer décemment un céréalier avec un vigneron, un éleveur de charolais avec un maraîcher bio, un producteur de lait avec un héliciculteur ? Tout ce monde est pourtant constitué de véritables chefs d’entreprise, au même titre que le commerçant de la rue des Godrans à Dijon ou le patron d’une TPE du BTP avec, en plus, la vocation de nourrir le peuple.
À trop vouloir du « sans phyto », on finit par imposer des règles qui détournent le circuit local de la faisabilité et profitent aux plus pollueurs. C’est le cas des deux cultures emblématiques et menacées que sont la moutarde et le cassis, portées par des filières industrielles de transformation en mal de produits AOP, mais qui, faute de rendements suffisants, ne peuvent plus fournir car pas encore armées face à une règlementation drastique leur interdisant désormais la plupart des traitements.
Le tout vert fait voir rouge. Les Polonais pour le cassis et les Canadiens pour la moutarde, pas vraiment embarrassés par de telles contraintes, en profitent pour s’installer durablement dans le carnet de commandes d’industriels bourguignons qui, cela se conçoit, doivent alimenter quoi qu’il en soit leurs marchés. Ubu n’est pas loin. Et Vincent Lavier sait qu’il aura encore d’autres barrières à lever pour redonner sa place à l’agriculture locale, dans les cœurs autant que dans les étals.