Le maire de Chenôve veut faire « matcher » les valeurs républicaines qui lui sont chères avec les grands enjeux socio-démographiques de la troisième ville de Côte-d’Or. Tout cela dans son style franc, « sans mettre la poussière sous le tapis », au nom du vert et du mieux-vivre ensemble.
Thierry Falconnet
> 56 ans
> Maire (PS) de Chenôve (14 200 hab.) depuis 2015
> Vice-président Dijon Métropole (transports et mobilités)
> Président de l’association nationale Ville & Banlieue
> Enseignant en histoire- géographie, inspecteur de l’Éducation nationale
On en sait peu sur « votre » Chenôve. Que peut en dire l’ancien collégien de la Fontaine d’Ouche ?
D’abord que vous n’êtes pas si mal renseigné (sourires). J’ai grandi à côté, quartier des Bourroches, avenue Eiffel, et ai bien connu le collège Gaston-Bachelard en effet. Maman, ouvrière à l’ancienne usine Parvex, est originaire du vieux Chenôve. La ville faisait partie du récit familial, notamment en ce qui concerne la Libération. Elle avait gardé un souvenir précis de la fête au soir du 10 septembre 1945, avec les soldats du général Leclerc qui distribuaient du chocolat. Chenôve était déjà dans l’intimité du foyer.
Puis vint Roland Carraz…
J’ai retrouvé Chenôve en devenant son adjoint (ndlr, il fut maire entre 1977 et 1999) alors que j’étais professeur d’histoire-géo en lycée professionnel. Sa rencontre est fondatrice de mon engagement. Je dis toujours que j’ai trois pères : le mien, un modèle ; un deuxième sur le plan professionnel qui m’a mis sur les rails de l’Éducation nationale ; un troisième en politique, Roland Carraz.
« Résilience » est le mot magique de la crise. Chenôve en est-elle une forme de capitale ?
Elle n’a pas le monopole de la résilience, pour reprendre une formule connue. Mais ce que je sais et ce que je vis de cette ville, c’est qu’elle ne se laisse jamais abattre. Cela ne concerne pas seulement la municipalité et le maire. C’est un état d’esprit des Cheneveliers. Sur le plan historique, on peut aussi parler de ville de Résistance. Nous avons le droit d’en être fiers.
Vous le qualifiez volontiers de « ville-laboratoire ». Quel sens donner à cette appellation ?
J’ai pu parler de laboratoire de la gauche sociale, comme mon prédécesseur Jean Esmonin (maire entre 1999 et 2015). Aujourd’hui, je n’emploierais plus cette formule, qui suggère que nos habitants seraient des objets d’expérimentation. Je préfère parler d’une « ville pilote, innovante », qui doit toujours faire un pas en avant dans les politiques publiques.
Administrer une ville en quête d’apaisement suggère une attitude offensive quasi permanente, une communication qui ne cache pas ses problématiques, avec un écho médiatique dépassant quelques fois son petit périmètre…
Telle est ma nature, je défends ma ville et la protège des préjugés car je l’aime. J’ai fixé le cap d’un discours honnête, en affrontant les difficultés avec les Cheneveliers. Administrer une ville-banlieue, comme pour les communes rurales, c’est être en prise directe avec les habitants, sans filtre. Mettre la poussière sous le tapis serait la pire des choses. Quand 35 % d’un quartier vit en dessous du seuil de pauvreté, soit moins de 890€ par personne et par mois, aucun humain ne peut l’ignorer. C’est même insupportable. Je reste aussi foncièrement un enseignant, donc partisan de la transparence et de la pédagogie au service des actes. Il faut redonner du sens à l’action publique en expliquant notre cheminement.
Et combattre les on-dit ?
Oui. À ceux qui critiquent, je dis : « Parlez aux habitants, vous serez surpris par l’attachement qu’ils ont à leur environnement. » Ceux qui parlent le plus mal de Chenôve sont ceux qui ne la connaissent pas dans l’intimité.
Le burn-out des maires est de moins en moins tabou. Avez-vous senti qu’il vous guettait ?
De cette expression un peu fourre-tout, j’ai ma définition : ne plus être capable de déterminer ses priorités. Ça ne m’est jamais arrivé. Je n’en ai pas le droit. Mais si derrière cette question vous évoquez une lassitude particulière sous le poids des responsabilités multiples dans cette période, évidemment. Je comprends parfaitement que certains collègues en aient marre. Dans ces moments, il faut se souvenir qu’un élu n’est pas tout seul. Il se révèle dans sa capacité à entraîner une équipe.
Votre nouveau mandat a débuté de façon originale…
Élection le 15 mars, confinement deux jours plus tard et le 19, j’étais au fond de mon lit avec le Covid. J’ai donc une connaissance intime de ce contexte sanitaire très dégradé, dans l’urgence, avec la majeure partie des agents municipaux confinés. Nous étions environ 40 personnes en présentiel contre 450 salariés d’ordinaire, et des priorités qui s’enchevêtrent : épisode des masques, aide alimentaire qui explose, continuité pédagogique avec des enfants sans moyen informatique… Si vous ne m’avez pas entendu crier haro sur le gouvernement, c’est qu’en voyant à ma toute petite échelle la complexité de gérer une crise sanitaire, je n’aimerais pas être à la place de nos plus hauts décideurs politiques.
Cette urgence a souligné l’importance des mécanismes de solidarité. Le tissu associatif chenevelier est-il le premier bouclier social ?
Chenôve a la chance d’avoir un réseau de bénévoles historique, dense, très attaché au destin de sa ville. Solidarité, culture, sport, écoresponsabilité : on recense environ 2 000 dirigeants associatifs bénévoles. On ne peut faire plus clair que l’expression « distanciation sociale » : on a pris de la distance avec tout, y compris les gestes élémentaires de convivialité. Dans ce contexte, nous avons besoin de ce réseau. Il est le premier relais des politiques publiques.
Le sport fait partie de l’ADN de Chenôve. Un bon vaccin anti-crise ?
Nos 19 clubs ont été relégués sur le banc pendant les confinements. Nous les soutenons en instaurant pour cette saison des licences à tarif unique : 25€ pour les mineurs, 50€ pour les majeurs. Nos structures progressent, avec notamment le futur gymnase du quartier du Mail. Je crois au rebond sportif et à la jeunesse, encore plus dans la perspective des JO 2024. Chenôve veut être une terre d’accueil pour des délégations bien spécifiques : basket fauteuil, trampoline, gymnastique, breakdance… Concernant cette nouvelle discipline olympique, nous travaillons avec la Fédération Française de Danse et Figure2Style, notre école en résidence au Cèdre, pour que Chenôve soit identifiée comme pôle national de breakdance et qu’à terme nos jeunes fassent partie de l’équipe de France.
« JE TIENS AUX ÉLÉMENTS FÉDÉRATEURS ET LA RÉPUBLIQUE EN EST LE PREMIER. LA FÊTER, C’EST FÊTER CE QUE NOUS AVONS TOUS EN COMMUN. »
Thierry Falconnet
Parlons habitat. Il y a plusieurs Chenôve : on peut y vivre au milieu d’une forêt, entre de vieilles pierres ou dans une tour. Est-ce plus compliqué pour guider sa ville ?
Je partage ce constat territorial. Chenôve est, pardonnez cette poésie, faite de pièces différentes, de couleurs différentes, qui font toute son harmonie. C’est la richesse de l’exercice : l’action municipale doit s’adresser sans exclusivité. Je suis le maire de tous les Cheneveliers. Cela suggère une forme de « connaissance mosaïque » de son territoire, et en la matière rien ne remplace le terrain. Je tiens enfin aux éléments fédérateurs et la République en est le premier. La fêter, c’est fêter ce que nous avons tous en commun.
L’ère de la végétalisation succède à la bétonisation. Est-ce la première pierre, sans mauvais jeu de mots, du mieux-vivre ici ?
Le dernier rapport du Giec (ndlr, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, 234 scientifiques de 66 pays, a rédigé un rapport sur la base de plus de 14 000 études scientifiques) m’inquiète. Les élus locaux sont en première ligne pour infléchir cette tendance : remettre la nature à l’intérieur de la ville, favoriser les cheminements doux, créer des ilots de fraîcheur… Chenôve a connu son expansion maximale dans les années 70, celles des grands ensembles et de l’avènement du tout-automobile. Notre existence est singulière dans la métropole : là où d’autres sont carencés en loyers modérés, nous avons une part largement satisfaisante avec 44 % de logements à loyers modérés. L’objectif de mes prédécesseurs fut de rééquilibrer la ville sur le plan de l’urbanisme. Il nous faut maintenant passer à la vitesse supérieure, avec de vrais espaces de respiration et une façon douce de vivre sa ville. L’arrivée du tram a fait du bien sur ce point.
Justement, la mobilité fait partie de vos prérogatives métropolitaines. À quoi ressemblera l’avenue Roland-Carraz, axe stratégique de l’entrée sud de la métropole, dans 10 ans ?
Cette avenue était une autoroute urbaine traversant Chenôve, formant une sorte de frontière dans la ville, avec une 4 voies et des vitesses excessives. Elle deviendra un axe structurant pour se rendre à la Cité de la Gastronomie, sur la base d’une intermodalité, qui sait avec des bus à hydrogène, et avec un parking relai à l’entrée de la métropole. Nous voulons faire de cette avenue, que l’on dit poliment minérale, un couloir végétalisé qui donne le ton.
Il paraît qu’on peut vous voir au marché. Qu’y-a-t-il dans le panier de monsieur le maire ?
Je ne suis pas un lève-tôt le dimanche, alors j’arrive vers 10h et je fais le tour des fruits et légumes essentiellement. Pour le reste, je repars surtout avec mon panier plein de remarques, de revendications et de demandes de rendez- vous (sourires). Le marché de Chenôve, c’est entre 3000 et 6000 personnes…
Vos prédécesseurs sont restés 22 et 16 ans. Faut-il vous en souhaiter autant ?
Ce n’est pas moi qui déciderai ! Être maire de Chenôve demande de l’endurance. Il faut garder l’envie d’agir intacte. Je ne me projette pas au-delà de la fin de ce mandat en 2026. J’ai été marqué par la brutalité de la disparition de Roland Carraz (ndlr, le député-maire emblématique fut emporté par un cancer à 56 ans, en 1999). Son exemple nous enseigne l’humilité : dans l’histoire d’une ville, nous sommes éphémères. Nous agissons dans l’immédiateté de l’action publique, mais dans le but de passer un flambeau, de mettre en perspective les besoins futurs de la population.
Puisqu’il doit bien y en avoir, quel épisode de votre mandat vous a rendu le plus heureux ?
(Il réfléchit) Tous mes grands moments ont pour point commun les enfants. Je ressors trois instants où je me suis senti complètement à ma place : la première fête de la République en 2016, où des périscolaires m’ont fait la surprise d’un t-shirt tricolore avec tous leurs prénoms ; quand j’ai remis à une fillette aux yeux immenses son violon dans le cadre du dispositif Orchestre à l’école ; quand j’ai fait de même avec des ordinateurs Chromebook pour une classe de CM1 cette année. Il fallait le voir, ce petit gars de l’école des Violettes, le regard droit, qui vous adresse un franc « monsieur le maire, merci ». On peut trouver ça un peu cliché, mais au bout du compte, ces sourires restent. Là, c’est mon vieux côté papa-prof qui ressort…
Cet entretien est issu de notre chronique « Face au maire ».
Voir les autres épisodes :
• Ludovic Rochette (Brognon), président des Maires de Côte-d’Or
• Fabien Ruinet (Talant)
• Jean-François Dodet (Saint-Apollinaire)
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