Développer une expertise dans le vin quand on est commissaire-priseur à Beaune ne manque pas d’allure. Alexandre Landre a ainsi recruté Philippe Drougard pour lever les bouteilles rares dans les caves oubliées. Tout ça sur fond de rêve à peine voilé de porter un jour ce savoir-faire sous de bons, mais alors de très bons… Hospices. Que les enchères commencent !
Le vin peut avoir plusieurs vies. Il en a une au moment de sa conception et de son élevage. Puis une deuxième en bouteille dans une cave. Voire une troisième s’il se retrouve dans le circuit des enchères. Philippe Drougard connaît bien cet après. Il a rejoint depuis ce printemps l’étude du commissaire-priseur beaunois Alexandre Landre, pour en développer l’expertise bachique.
Ce jeune trentenaire a suivi une voie toute tracée. Son père, qui vendait des boissons aromatisées à base de vin, s’est positionné en parallèle dans les vins traditionnels et est devenu lui-même vigneron en reprenant le domaine Château Croze de Pys, près de Cahors. Ancien élève de la « Viti » à Beaune, formé à l’école de commerce de Niort, Philippe s’est quant à lui senti très vite à l’aise dans l’exercice de l’achat-revente de bouteilles aussi diversifiées que fragiles.
En quête de caves
D’emblée, pour ce métier, il convient d’avoir une large culture du vin, une vision transversale du sujet, « un peu comme un sommelier qui ne déguste pas ». Mais aussi de rencontrer un mentor. Emmanuel Reynaud, du fameux Château Rayas à Châteauneuf-du-Pape, fut celui-là. La problématique ensuite n’est pas de vendre – il y a toujours des amateurs de bouteilles rares ou singulières – mais de dégoter les lots. Et cela se fait en allant sur le terrain, en partant à la recherche de caves à vendre.
« Souvent, la cave est le dernier élément d’un processus de succession, elle arrive après les meubles, constate Philippe Drougard. Les gens ne savent pas trop quoi en faire, ils cherchent une solution globale. » À l’homme de l’art de faire alors une évaluation qui intègre les « stars » bachiques lorsqu’il y en a, et leur potentiel de revente, aussi bien que la piquette destinée au fond de sauce.
Cette première étape est délicate. Même si le commissaire-priseur est mandataire et perçoit juste un pourcentage sur le volume des affaires, sa capacité à bien estimer, à ne pas décevoir, est la clé de sa réussite. Il y a peu, Philippe Drougard a ainsi « levé » une bouteille de grand cru La Tâche du domaine de la Romanée-Conti, dans une cave de la région de Semur-en-Auxois. Mais pour identifier les opportunités, la maison Landre n’hésite pas aussi à communiquer dans un journal local comme Échos des Com qui, par définition, touche la proximité. Cette acquisition par le petit bout de la lorgnette peut monter haut, même très haut, dans les prix, surtout dans une région où le vin est une culture à part entière.
Vins aux enchères
L’évaluation passe par une équation assez simple finalement, qui met en scène l’historique des ventes aux enchères et les prix pratiqués sur internet, tout en veillant à une cohérence avec l’acheteur. Ce dernier doit faire une bonne affaire à ses yeux. La maison Landre rayonnant sur Nancy et Paris désormais, cela ne fait que renforcer les solutions d’approvisionnement. Puis la communication spécialisée fait le reste : publication sur les sites web d’Interenchères et de l’Hôtel Drouot, réalisation d’un catalogue, etc.
En peu de temps, Philippe Drougard a estimé pas loin de 1 000 lots qui vont de la bouteille de Porto à 60 euros aux grands crus les plus recherchés. 90 % ont trouvé preneur, et ça n’est pas fini. Alexandre Landre (lire encadré ci-dessous), le fondateur de l’étude qui porte son nom, veut profiter de sa situation privilégiée à Beaune, pour redonner un commissaire-priseur « en circuit court » à la plus prestigieuse vente de vins aux enchères dans le monde. Autant dire que la barre est haute. Philippe Drougard n’a donc pas que du vin à trouver, il a aussi beaucoup de pain sur la planche.
Il vise les hospices
Certains diront qu’il se la joue, d’autres qu’il n’a aucune chance, mais lui n’en n’a que faire. Il y croit dur comme fer. D’une nature résolument optimiste, fonceur et un brin gouailleur, Alexandre Landre ne s’embarrasse pas avec les a priori : « Si j’ai choisi le métier de commissaire-priseur, c’est pour être parmi les meilleurs, sinon ça n’en vaut pas la peine ! » Son parcours, qui repose sur une poignée d’années d’exercice, lui donne raison. Tout en affichant un attachement indéfectible à Beaune, il a su s’imposer à Nancy et maintenant à Paris, et pas dans n’importe quel quartier : rue de Bourgogne, dans le 7e arrondissement. Alors, lorsqu’il joue à domicile, Alexandre Landre voit les choses en grand. Il lorgne avec envie du côté de la Vente des Hospices de Beaune, confiée depuis un an à Sotheby’s après l’avoir été à Christie’s. Même pas peur ! Sa famille, avec qui il travaille, et ses collaborateurs ont foi en lui et en son talent marteau en main. Cela pourrait avoir de la gueule aussi…