Prenois est un village d’à peine 450 habitants qui a grandi au rythme d’un anneau à la réputation internationale. Schizophrénique ? Pas vraiment, d’après Nathalie Bard. Sur les traces de son père Jean Gadeski, l’élu à la base de cette aventure municipale, madame la maire témoigne d’une mécanique bien huilée.
Prenois, 450 habitants, un petit village abritant un circuit à la résonance internationale. © Antoine Martel
Juillet 2020. En pleine tempête sanitaire, Nathalie Bard est élue maire de Prenois. Première femme à en assumer la fonction, cette enfant du village dirige très vite ses pensées vers son prédécesseur de papa. À 96 ans, Jean Gadeski, emblématique maire aux quatre mandats (1971-1995), a encore bon pied bon œil sur le destin de sa commune. La naissance du circuit Dijon-Prenois figure tout en haut de son palmarès municipal. C’est lui qui, avec ses conseillers de l’époque, a bien voulu faire de la place dans les immenses bois communaux pour accueillir le projet fou de François Chambelland. Le genre de décision qui marque une vie.
« Ils ont eu de l’instinct, en se lançant dans une aventure – car le circuit est une formidable aventure – sans vraiment connaître l’arrivée », dit avec le bénéfice du recul madame la maire, qui a vécu de l’intérieur la mutation d’une bourgade dédiée aux céréales et aux affouages, vers « le village du circuit », dont le nom seul suffit à éclairer les regards des passionnés d’automobile.
Des laisser-passer pour les habitants
Nathalie et les autres enfants du bourg ont grandi au rythme des compétitions. Cela fait partie de leur vie. La fièvre de la F1, au cœur des années 70, arrive à toute vitesse dans la discussion. « Je me souviens bien des laisser-passer pour que les habitants aient accès à leur maison et conservent un minimum de quiétude. » Et de cette route a sens unique, interminable, depuis Dijon. Ces habitants qui proposent une chambre ou un bout de grange pour héberger. « Mes parents avaient une grande maison, et chaque année, on accueillait un sympathique groupe du Vaucluse qui venait spécialement pour les courses. »
En retour, les spectateurs apprécient un cadre sans pareil. Les pilotes aussi. « Jacques Laffite ne manquait pas de jouer au golf ou d’amener son lancer pour pêcher dans le Suzon », témoigne Yannick Morizot. Certains viennent se poser à Darois en hélicoptère, ou à bord de leur propre planeur comme le motocycliste Steve Parish, qui décollait de son jardin anglais. « Il y a toujours eu une bonne cohésion avec le pôle aéronautique et la commune de Darois. Cet aérodrome à proximité a toujours été une bénédiction pour le circuit », analyse Nathalie Bard, par ailleurs toujours sensible aux liaisons de sa commune et sur le front des transports en commun vers la métropole.
Nathalie Bard, maire de Prenois, et son père Jean Gadeski qui a occupé la même fonction entre 1971 et 1995, au tout début du circuit. © Antoine Martel
Un développement au rythme du circuit
Cinquante ans après, être maire de Prenois n’est plus tout à fait la même chose. L’époque a des considérations différentes, cela est bien normal. La ferveur autour des sports mécaniques percute le débat environnemental. Nathalie Bard n’élude rien : « Le sujet n’est pas si nouveau et nous travaillons en bonne intelligence avec les dirigeants du circuit, qui ont un rapport très fort avec leur environnement. Des sonomètres ont par exemple été installés dans la commune et sont régulièrement contrôlés. »
Nathalie Bard, en organiste émérite, prête donc une oreille attentive à ces questions. Dans le même élan, elle repositionne le circuit de Dijon-Prenois dans son rôle de catalyseur économique. Si le temps béni de la F1 et de la perception d’une taxe sur les spectacles (« beaucoup de communes enviaient cette manne dont nous bénéficions ») est révolu, les effets de levier positifs sont toujours là : l’assainissement au début des années 80, la réalisation d’une salle des fêtes, la modernisation de certains bâtiments communaux, tout cela, c’est le circuit qui l’a permis.
Depuis 2018, la fiscalité a changé. Elle est perçue par la communauté de communes Forêts, Seine et Suzon, à laquelle Prenois est rattaché. Pour autant, le village bénéficie toujours de retombées économiques. Il ne manque ni de chambres d’hôtes ni de gîtes. « Ce phénomène s’accentue depuis quelques années. À l’origine, seule la Ferme du Coucou accueillait des touristes. »
Partagé entre sa vie agricole et de belles adresses comme l’Auberge de la Charme, Prenois cultive une vie douce à quelques kilomètres de Dijon. © Antoine Martel
L’Auberge de la Charme, une étoile dans le paysage
Comment ne pas évoquer aussi, pour la bonne bouche, l’Auberge de la Charme, fondée par Monique et Daniel Salera. Arrivé au début des années 70, le couple de restaurateurs mise sur le circuit alors en plein chantier. Les travaux attirent de plus en plus d’activité et les Salera se mettent en tête de faire manger tout ce petit monde. Après des premiers essais de cuisine improvisée sur le site, le couple décide finalement d’ouvrir un restaurant aux accents du sud-ouest dans sa propre maison, en 1973, un an après l’inauguration du circuit.
Une véritable île gasconne dans l’ouest dijonnais, avec ce qu’il faut de convivialité pour épicer la soirée. « Les repas d’après grand prix qui finissaient à l’aube, avec Jean-Pierre Jabouille notamment, n’étaient pas tristes », témoigne volontiers l’infatigable cuisinière. Puis l’Auberge recevra les honneurs de l’étoile Michelin en 1998 grâce à David Zuddas, avant que le duo Nicolas Isnard et David Le Comte ne prolonge cette quête de l’excellence. Prenois est donc associé à la fois à son mythique tracé et au sceau du gourmand bibendum. L’un allant souvent avec l’autre.
Ce cocktail est doux à vivre au quotidien. En cinquante ans, fait notable, Prenois a pris de l’épaisseur. Une centaine d’habitants est venue garnir la population pernolaise grâce à la création récente de lotissements. Les jeunes familles s’installent volontiers, séduites par ce bout de campagne à quelques tours de roue de la métropole. Tout ce petit monde bénéficie, c’est une tradition, d’un accès gratuit aux événements du circuit. « La mesure a été depuis élargie à quelques communes environnantes comme Darois ou Pasques », commente l’édile, heureuse de voir que les deux associations du village sont invitées à tenir une buvette lors des Coupes Moto Légende. « 30 000 visiteurs, imaginez le bol d’air pour leur trésorerie ! »
La cohabitation entre un si petit village et une activité à la résonance mondiale se passe donc bien, dans le respect d’un bail emphytéotique de 99 ans qui lie les deux parties. Bientôt, le village de Prenois travaillera au développement d’une zone de loisirs en direction du mini-golf. Puis l’ancienne école deviendra un lotissement pour accueillir de nouvelles familles. La voirie, elle, sera sujette à des aménagements pour toujours plus de sécurité. Jean Gadeski, l’autre papa de Prenois, peut dormir tranquille.