L’ancien doctorant de l’université de Bourgogne est devenu l’une des pointures de la recherche internationale. Dans son labo de l’École polytechnique de Lausanne, cet expert en neurosciences aide des paraplégiques à remarcher, en réactivant leur système nerveux.
Grégoire Courtine fait régulièrement les gros titres de la presse internationale, ses recherches débouchent sur des résultats si spectaculaires qu’on le dit même nobélisable. Au sein de son centre NeuroRestore, et de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), ce Dijonnais de naissance réalise la prouesse de faire remarcher des personnes paraplégiques dont la moelle épinière a été endommagée.
Un pont numérique entre cerveau et moelle épinière
Pour cela, le scientifique utilise un ensemble d’électrodes, très précisément placées au niveau de la moelle épinière du patient, qui vont simuler électriquement, à l’aide d’un dispositif externe, les signaux que le cerveau transmettrait à une personne valide, et déclencher les contractions des différents muscles de la marche. En quelques jours, la personne implantée marche à nouveau, soutenue par un harnais. En quelques mois, elle est capable d’exercer un certain contrôle volontaire sur ses muscles. Outre l’appareillage technique, la réussite de cette méthode repose aussi sur un entrainement très sérieux des patients, assez comparable à celui du sportif de haut niveau en escrime et alpinisme que Grégoire Courtine était dans ses jeunes années.
« Aujourd’hui, nous allons plus loin que cela, se félicite le neuroscientifique. Nous travaillons à des implants placés directement à proximité du cerveau, qui peuvent détecter la volonté du porteur, par exemple lorsqu’il veut se mettre debout ou marcher. Un essai clinique est actuellement mené sur ce sujet, en collaboration avec le CEA Clinatec de Grenoble. » Avec ce dispositif, c’est directement la pensée qui actionne la stimulation électrique de la moelle.
Pour réaliser cette nouvelle prouesse, les scientifiques ont étudié avec précision l’activité électrique de groupes de neurones, afin de déterminer une sorte de photographie du l’état électrique du cerveau quand le sujet veut réaliser une action. « Notre projet vise à établir un pont numérique entre le cerveau et la moelle épinière afin de restaurer le contrôle moteur des membres paralysés après une lésion médullaire. En utilisant des techniques d’enregistrement cérébral telles que l’électroencéphalographie (EEG), l’électrocorticographie (ECoG) et les enregistrements intracorticaux, il est possible de décoder les intentions motrices et de traduire ce décodage en protocoles qui favorisent le mouvement prévu », résume le chercheur.
Une méthode qui a porté ses fruits sur un patient paraplégique récemment, comme le témoigne cet extrait du journal télévisé de la Radio Télévision Suisse.
Une société cotée en bourse
Le Français codirige son centre de recherche avec une neurochirurgienne de grand renom, Jocelyne Bloch. « Nous sommes parfaitement synergistiques, s’en est étonnant. Elle comme neurochirurgienne, et moi comme ingénieur neuroscientifique », s’amuse Grégoire Courtine. Leurs équipes travaillent ensemble sur trois sites en Suisse : à Lausanne avec des patients humains, à Genève au niveau moléculaire et à Fribourg pour l’expérimentation sur les rats et les primates.
Pour valoriser toutes ses recherches, le scientifique de 47 ans a cofondé Onward en 2014, une société cotée en bourse, dont le siège social se situe à Eindhoven, aux Pays-Bas. Celle-ci entend répondre à un marché potentiel énorme : on estime à près de 650 000 les personnes souffrant de lésions de la moelle épinière en Europe et aux USA. « Nous avons développé des implants médicaux spécifiques, sur lesquels nous réalisons une importante étude préalable à leur lancement commercial », précise l’entrepreneur. Le premier implant permet de contrôler la pression sanguine chez les personnes ayant une lésion de la moelle épinière. Car si « la paralysie et la perte de sensation sont les conséquences les plus connues des lésions de la moelle épinière, une complication potentiellement plus grave est l’hypotension orthostatique – une pression sanguine basse liée aux changements de position du corps – que nous évitons à l’aide de l’appareil ARC ». Et ce n’est qu’un début, d’autres implants développés par Onward devraient prochainement arriver sur le marché…
Un chercheur très convoité
Pour débaucher, en 2008, le « meilleur chercheur de l’université de Los Angles (UCLA) », l’université de Zurich, en Suisse, n’a pas hésité à mettre la main au portefeuille quelque 3,5 millions d’euros à Grégoire Courtine pour monter son propre labo. Quatre ans plus tard, Lausanne courtise le chercheur avec une offre autour de 8,5 millions d’euros cette fois. « Ce que je fais ici ne serait pas possible en France, ni sur le plan financier, ni sur celui de l’équipe de recherche. Le fan de Napoléon que je suis regrette le poids des grandes écoles dans le système français, et son côté très hiérarchique. À 32 ans, on m’a confié la direction d’un laboratoire, ce qui était alors impossible en France, même si ça tend à changer un peu. »
📚 Article à retrouver dans le Bourgogne Magazine Hors-Série n°21 sur les 300 ans de l’Université de Bourgogne.