Elle trône sur toutes les tables franc-comtoises, mais reste, hors de son berceau de naissance, largement méconnue. Ça va changer : dotée d’une IGP flambant neuve défendue par quelques acharnés talentueux, la cancoillotte part à la conquête du pays.
Un simple pot blanc, qui rappelle un pot de glace, barré du mot cancoillotte écrit avec une typographie légère et souligné par un motif graphique, telle est la nouvelle image de la cancoillotte promue par l’APC (Association de promotion de la cancoillotte). L’image se veut contemporaine, moderne et épurée, et fait florès sur les réseaux sociaux, Facebook surtout, avec près de 20 000 personnes qui suivent la page.
Les lettres de noblesse d’un produit protégé
Ce relooking signe les nouvelles ambitions de la filière de production de la spécialité fromagère franc-comtoise. « Hors de notre région, la cancoillotte reste méconnue. Pour la plupart des gens, c’est un produit nouveau, donc moderne. Nous avons choisi de diriger notre communication vers les jeunes, à travers les réseaux sociaux pour nous appuyer sur cette perception de modernité », précise Didier Humbert, qui préside l’APC et dirige la fromagerie Marcillat-Loulans (70) appartenant au grand groupe Lactalis.
Pour étayer les ambitions de la filière, l’APC a obtenu, en mai 2022, une Indication géographique protégée (IGP), assortie d’un cahier des charges plutôt rigoureux quant à la provenance du lait et les lieux de production de la cancoillotte. L’aire géographique délimitée se concentre sur le Doubs, le Jura, la Haute-Saône et le Territoire de Belfort. Mais elle inclut une liste limitée de communes en Côte-d’Or, Haute-Marne, Saône-et-Loire, dans les Vosges et l’Ain aussi. « Nous avons initié la démarche IGP en 2015, pour ancrer la cancoillotte dans son territoire et lui conférer les lettres de noblesse d’un produit protégé », explique le président de la filière.
À l’assaut de l’Hexagone
La profession devait aussi faire face au lent déclin du produit, dont la production baissait de manière constante depuis une dizaine d’années pour arriver à un étiage, en 2015, de 4 500 tonnes de cancoillotte produites. Fédérés au sein de l’APC, dont il faut être adhérent pour pouvoir bénéficier de l’IGP, la vingtaine d’acteurs de la filière cancoillotte perçoivent rapidement les effets de leur mobilisation réglementaire et communicante : les ventes repartent doucement à la hausse pour s’établir autour de 5 800 tonnes en 2022 (en hausse de 2 % par rapport à 2021).
Les débouchés, cependant, demeurent aux deux tiers régionaux et le chemin à parcourir pour faire de la cancoillotte une spécialité connue de tous les Français est encore long. Mais l’APC a développé une stratégie plutôt maligne pour appuyer la croissance des ventes : « Nous avons besoin de mieux comprendre pourquoi, par exemple, notre produit se vend bien dans le Sud-Ouest, et moins au Nord-Ouest. Pour cela, nous comptons travailler chaque année avec des écoles de commerces en région, pour leur faire étudier le marché et ses spécificités. Ces deux prochaines années, nous nous concentrons sur le Sud-Ouest », détaille Didier Humbert.
Les mystérieuses origines de la cancoillotte
Production paysanne par excellence, la cancoillotte semble provenir de la nuit des temps. Mais son origine précise demeure méconnue. Certains estiment que la locution latine concoctum lactem, extraite d’un récit romain de la conquête de la Séquanie (plus ou moins la Franche-Comté actuelle) en 58 av. JC, est la première mention connue de la spécialité. Mais l’affaire paraît douteuse aux spécialistes. « C’est du latin de cuisine, sans doute une formulation du XIXe siècle où l’on a beaucoup réinventé l’histoire des fromages français », s’amuse l’un deux. D’autres sources évoquent une ferme d’Oyrières (Haute-Saône), au début du XVIe siècle, où le miracle fromager se serait produit par accident. Un miracle tellement goûteux que Nicolas Perrenot de Granvelle, ministre de Charles Quint, l’aurait introduite à la cour. Plus tangible, l’Atlas linguistique et ethnographique de la Franche-Comté de Colette Dondaine (1978), atteste un usage régulier et lointain du mot à partir du XIXe siècle. La cancoillotte a longtemps été produite dans les fermes de Franche-Comté, avant que des fromageries plus importantes, quasi industrielles, ne se mettent à la fabriquer, à partir de 1883 pour la plus ancienne encore en activité, celle de Marcillat-Loulans à Loulans-Verchamp (Haute-Saône).
Faites chauffer la colle !
Pas si facile de détacher « la colle », le surnom comtois de la spécialité, de son terroir. Car si l’origine de la cancoillotte conserve, aujourd’hui encore, une grande part de mystère (lire encadré), il ne fait aucun doute qu’elle est née en Franche-Comté, et pas n’importe où, dans le bas pays, les plaines et vallons de Haute-Saône et du Doubs. En montagne, le lait des vaches est transformé en comté. Dans la plaine, où l’herbe est grasse et abondante, il est depuis longtemps transformé en beurre et en crème. En résulte un surplus de lait écrémé, dont on a longtemps nourri les animaux. Jusqu’à ce que quelqu’un, un jour, ait l’idée de tenter de transformer ce lait sans crème en fromage, pour le conserver plus longtemps.
Quand on fait cailler du lait sans crème, il en résulte un étonnant fromage non gras, le metton, la base de la cancoillotte. Celui-ci est obtenu en faisant cailler le lait, que l’on ensemence avec de la présure ou des ferments lactiques à une température précise. L’opération dure de deux à quatre heures. Il en résulte un fromage qui ne s’agglomère pas – il manque de matière grasse pour cela – et qui se désagrège sous la main. C’est le metton blanc, qu’il faut encore affiner – un temps, on disait « pourrir » – pour qu’il développe ses arômes lactés et prenne une jolie teinte jaune d’œuf.
Vient ensuite la fabrication de la cancoillotte proprement dite. Le metton est mis à fondre, avec un peu de beurre, de l’eau, du sel, un soupçon de sel de fonte (un émulsifiant qui rend le fromage plus crémeux en facilitant le mélange des protéines du lait avec l’eau). Selon la méthode utilisée (bain-marie ou injection de vapeur d’eau dans le mélange) la fonte s’opère entre 70 et 105 °C pendant une petite demi-heure. L’éventuelle aromatisation s’opère à mi-cuisson. La liste des arômes acceptés par l’IGP demeure limitée : ail, vin, échalote, ail des ours, cumin pour l’essentiel.
Jamais pareille
Toutes les cancoillottes utilisent les mêmes ingrédients. Pourtant, pas une ne se ressemble. Par quelle magie tant de différence à partir de si peu de variables ? D’abord, par le choix de la méthode de fabrication du metton, obtenu par ensemencement à la présure ou aux ferments lactiques. « Un metton lactique conduit à un goût un peu plus prononcé, une texture plus courte, qui filera moins fort. Le grain du caillé prend la forme d’un bouquet de chou-fleur », précise Didier Humbert en connaisseur. Les grosses fromageries privilégient souvent le metton présuré, un peu plus doux, la méthode lactique demeurant la méthode fermière par excellence. L’affinage du metton, ensuite, apporte une nouvelle variation, les grains de metton évoluant en fonction de l’environnement bactérien, lequel varie d’une fromagerie à l’autre. La cuisson, enfin, avec l’ajout de plus ou moins de beurre, développe d’autres arômes. Unique, la cancoillotte l’est également en terme calorique : c’est le fromage le moins gras qui existe, avec un taux de lipides en dessous des 15 %. Idéal pour se faire un summer body de saison !
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