Alors que se profile un projet de Parc Eiffel au port du canal à Dijon, sur le lieu de naissance du célèbre ingénieur, le destin de la sculpture signée Robert Rigot pose question. Un peu boudé depuis son installation en 1981, Le Rêve Ailé va-t-il prendre son envol ?
Au bord du canal, sur l’ancien port de Dijon, il déploie ses ailes de bronze depuis 1981. Posé sur sa poutre métallique sortie des usines Creusot-Loire, ce volatile partant vers un ciel meilleur représente le jeune Eiffel et ses rêves de grandeur. Au pied de l’œuvre, sur une plaque en pierre posée au sol, on peut lire : « À Gustave Eiffel (Dijon 1832-Paris 1923), son premier regard d’enfant s’ouvrit sur ce port. »
Le Rêve Ailé, 8 mètres sur 16, ne passe pas inaperçu. Il est la seule manifestation physique de l’histoire complexe et parfois contrariée entre le génial ingénieur et sa ville. Avec le temps, les Dijonnais ont pourtant du mal à s’y arrêter ou même s’émouvoir de l’approche conceptuelle du grand sculpteur bourguignon Robert Rigot (lire encadré ci-dessous).
« À l’origine, les anciens élèves de l’École centrale, dont Eiffel faisait partie, furent les premiers à regretter l’absence d’un monument hommage dans sa ville natale », explique Monique Lannes. Cette amie et fidèle gardienne de la mémoire de l’artiste défend depuis longtemps la légitimité d’Eiffel sur ses terres. Le Rêve Ailé est donc au premier plan de ses préoccupations.
Avant même le centenaire de la disparition d’Eiffel, Christine Martin, adjointe à la culture de Dijon, a déjà eu l’occasion d’affirmer la défense de ce morceau de patrimoine dijonnais. « Nous menons actuellement une grande campagne de restauration, de signalisation et de signalétique pour toutes les œuvres de notre espace public, dont le Rêve Ailé. » L’œuvre en question avait, il est vrai, été laissée dans son jus, la première rénovation d’importance ayant eu lieu en 2016.
Robert Rigot, de Buxy à la villa Médicis
Élève à la Villa Médicis de Rome, protégé du sculpteur César, directeur artistique de la cristallerie Baccarat, créateur de bijoux pour Cartier, plus de 500 expositions à son actif à travers le monde dont 20 biennales à Versailles, voici le palmarès de Robert Rigot. Saône-et-Loirien de souche, fils d’un tailleur de pierre basé à Buxy, l’artiste préférait le repli de son atelier à la célébrité. Discret, voire même secret, il refusa de nombreuses propositions d’emploi prestigieuses au profit de son art. Ami proche de Pierre Cardin et de l’écrivain Henri Vincenot, qui le surnommait amicalement « l’ermite bourguignon », Robert Rigot ne souhaitait qu’une chose : rester dans son fief bourguignon, là où tout a commencé. Là où tout se termina aussi, le 1er juin 2023, après 93 années d’une vie foisonnante. Son art continue à résister au temps, comme c’est le cas pour Le Rêve Ailé.
Au centre du nouveau parc Eiffel ?
La Ville va aménager, pour l’automne 2024, un « grand parc Eiffel » au bord du canal. Ce « poumon vert » d’une dizaine d’hectares à l’entrée sud de la ville sera dédié aux déplacements doux et fera le lien avec la Cité de la gastronomie toute proche.
Un projet suivi de près par l’association « Eiffel né à Dijon », qui raconte actuellement le « savoir-fer » du génie dans une exposition au cellier de Clairvaux. Sa présidente Michèle Bransolle milite naturellement pour que dans ce contexte, « cette sculpture et son environnement soient remis en valeur ».
Du côté de la mairie de Dijon, plus de place aux doutes : « Le Rêvé Ailé a vocation de rester dans le parc Eiffel. Une plaque est d’ailleurs disposée sur un immeuble du quai Nicolas Rolin, à l’emplacement de son ancienne maison. Nous allons remettre cette plaque plus en évidence le long de la chaussée et en installer d’autres dans la ville », affirme Christine Martin. Quarante ans plus tard, à la faveur d’un nouveau destin paysager et d’une réconciliation entre la ville et son génie mondial favorisée par le centenaire de sa disparition, Le Rêve Ailé pourrait donc bien prendre un nouvel envol. Robert Rigot aurait sans doute aimé.