Située à Nuits-Saint-Georges, la distillerie Magnenet est spécialisée dans la production de spiritueux naturels issus de sous-produits du vin. Jean-Philippe Magnenet, son fondateur, nous dévoile ses secrets de fabrication, notamment celui de l’absinthe.
Belle plante au charme toxique, elle a fait, au XIXe siècle, tourner plus d’une tête. Elle donne une liqueur enchanteresse de couleur verte accusée de rendre fou, il s’agit bien entendu de l’absinthe. Jean-Philippe Magnenet, caviste de métier originaire de Pontarlier, en a fait son gagne-pain. Passionné par l’univers des spiritueux depuis toujours, il réalise son rêve en janvier 2022 en ouvrant sa propre distillerie rue Henri de Bahezre à Nuits-Saint-Georges. « Je commercialise mes produits depuis juin 2022. Au total, j’ai produit un peu moins de 1 000 litres depuis le début de cette aventure », explique-t-il.
Une aventure qui ne s’arrête pas là, puisqu’en octobre 2022, quelques mois après l’ouverture de sa distillerie, il est récompensé de la médaille de bronze à l’occasion de la 20e édition des Absinthiades à Pontarlier, capitale de l’absinthe.
Sucre des Hauts-de-France et gingembre de Dijon
Dès sa création, la distillerie Magnenet s’est inscrite dans une démarche respectueuse de l’environnement en développant des spiritueux de qualité à partir de produits locaux. « Je valorise les circuits courts et nationaux. Le sucre que j’utilise dans mes liqueurs provient des Hauts-de-France, le gingembre de Dijon et la badiane du Sud-Est. Mes spiritueux ne contiennent ni colorants ni arômes artificiels », argumente son jeune dirigeant.
Cette philosophie de travail lui a valu en mars 2022 la certification bio de ses produits : « Je cultive mes pieds d’absinthe à Savigny-lès-Beaune, j’ai aussi trouvé un fournisseur dans le Morvan. Le reste des plantes – genévrier, cynorhodon (ndlr, appelé plus communément « gratte-cul »), gentiane et sauge –, provient soit de mon jardin, soit de cueillette sauvage. »
Pontissalien de sang et Bourguignon de cœur, le jeune homme de 36 ans souhaite associer l’héritage gastronomique de ces deux régions dans ses produits : « J’essaie d’associer dans mes absinthes des ingrédients en clin d’œil au patrimoine bourguignon, comme des feuilles de cassis ou des graines de moutarde. »
Valoriser les sous-produits du vin
Traditionnellement, les spiritueux sont élaborés à partir d’alcool de vin. Jean-Philippe a donc voulu renouer avec cette méthode de fabrication ancestrale, en ne travaillant qu’avec des produits d’origine vinicole : « L’idée est de valoriser les sous-produits du vin : le marc, issu du moût des raisins ayant servi à faire le vin, et la lie, c’est-à-dire le dépôt dans la cuve en fin de fermentation. Je travaille essentiellement avec la lie, que je récupère auprès des vignerons pour la distiller et en faire mon alcool. »
Cet alcool servira ensuite de base de macération pour fabriquer différents spiritueux (gin, liqueur, absinthe). « Je mets mes différentes plantes aromatiques à macérer dedans durant 24 à 48 heures. L’alcool de vin va agir comme un dissolvant pour extraire les huiles essentielles des plantes. » Le contenu de la cuve de macération va ensuite être distillé dans l’alambic de 100 litres, chauffé tout doucement : « Les vapeurs d’alcool et les huiles essentielles montent en premier dans ce qu’on appelle le “col de cygne”. Elles vont se concentrer et passer dans un serpentin entouré d’eau froide qui va les refroidir. Elles se condensent alors, et ressortent sous forme liquide par un tuyau », ajoute le distillateur.
Dernière étape du processus avant la mise en bouteille, verser l’alcool dans des dames-jeannes et laisser la magie opérer pendant 15 jours !
Des absinthes, des liqueurs et plus encore !
Dans sa boutique en ligne, Jean-Philippe Magnenet propose une multitude de produits, dont une étonnante liqueur amère, le Cyno. Elaborée à partir de baies de cynorhodons sauvages et de racine de gentiane qui lui donnent cette amertume si particulière, ce spiritueux à 18° est idéal en cocktail et remplacera à merveille le Picon ou l’Aperol.
Nouveauté à venir, un vin aromatisé de type vermouth (Vermut est aussi la traduction allemande du mot « absinthe ») titrant 18° : « C’est un vin blanc type aligoté dans lequel je verse un peu d’absinthe. Je l’additionne à de l’alcool fait à partir de bourgeons de sapin. Ça ressemble plus à du martini qu’à de l’absinthe distillée », précise Jean-Philippe.
Sur ces bases, l’objectif du distillateur est désormais de développer l’exportation de ses spiritueux vers d’autres régions françaises, tout en continuant à garder cet esprit artisanal traditionnel.
Poison ou pas ?
Comme Jean-Philippe Magnenet l’écrit avec malice sur l’étiquette de la Doxa, une de ses absinthes : « L’absinthe est un poison, n’en buvez pas. » Par ce pied de nez, le distillateur a voulu dire que, contrairement à la doxa dominante, c’est-à-dire aux idées reçues, l’absinthe ne rend pas fou. En 1864, suite à la crise du phylloxéra, la « fée verte » devient le premier alcool consommé en France, et devient victime de ses excès. On l’accuse alors de rendre dément et même tuberculeux ! La véritable cause en est la thuyone, substance hallucinogène présente dans la plante, qui stimulerait la créativité et conduirait à la folie. Lorsqu’un ouvrier ivre tue femme et enfants dans le canton de Vaud, le peuple suisse trouve la coupable idéale : l’absinthe devient interdite en Suisse en 1910, puis en France cinq ans plus tard. En 1988, elle est à nouveau autorisée en France, mais pas son nom, avec un taux de thuyone limité à 35 mg/l. La production reprend en 1999, puis la dénomination « absinthe » est réautorisée en 2011. Consommée avec modération, elle n’est donc pas plus nocive qu’un autre alcool.