L’Homme d’argile est sorti en salle cette semaine. Le premier long métrage d’Anaïs Telenne, avec Raphaël Thiéry et Emmanuelle Devos, est un formidable conte moderne tourné dans le Morvan. Il réinvente La Belle et la Bête entre un gardien de manoir borgne et la propriétaire, une artiste citadine qui va en faire sa muse…
« Avec la tronche que t’as, tu devrais faire du cinéma », n’arrêtaient pas de lui dire ses potes. C’est ce qu’a finalement fait, sur le tard, ce natif de Sainte-Colombe-sur-Seine (Châtillonnais) installé à Anost (Morvan) de longue date, après une carrière de saltimbanque menée avec sa cornemuse sur les chemins du trad’rock, puis en tournée sur les planches de théâtre. Il a déjà la cinquantaine passée quand il se décide à pianoter sur son ordinateur à la recherche d’un casting, et postule finalement pour Rester vertical d’Alain Guiraudie. Banco ! Premiers pas dans le cinéma comme éleveur de moutons en Lozère… et première montée des marches à Cannes en 2016. « De là, je me suis retrouvé propulsé d’un coup sur le devant de la scène, et de fil en aiguille on m’a proposé des rôles plus importants… »
L’Homme d’argile, un film né à Anost
Aujourd’hui, après avoir joué dans les trois premiers courts-métrages d’Anaïs Tellenne, il se retrouve dans le premier long-métrage de la réalisatrice (accessoirement la fille de Karl Zéro), dont il partage la tête d’affiche avec Emmanuelle Devos, jamais avare d’aventures cinématographiques hors des grosses productions. Si le Raphaël de L’Homme d’argile ressemble tant à celui de la vraie vie (un soixantenaire rural borgne qui joue de la cornemuse), c’est que notre Morvandiau de service n’a pas été complètement étranger à la conception du film. C’est même lui qui a suggéré l’idée des deux personnages à Anaïs Tellenne, qui a servi de point de départ au travail de la cinéaste. « Elle a écrit une première version du scénario chez moi à Anost lors d’un séjour entrecoupé de marches dans la campagne. Il faut vivre la ruralité pour bien la raconter ! »
Au final, le film nous raconte l’histoire de d’un célibataire taiseux et borgne, qui habite avec sa vieille mère dans une dépendance du manoir qu’il entretient. Entre chasse à la taupe (à la dynamite !), sonate de cornemuse solitaire dans la piscine vide et virées dans la Kangoo d’une postière amatrice de jeux coquins, les jours se suivent et se ressemblent. Par une nuit d’orage, Garance, l’héritière, revient dans la demeure familiale. Plus rien ne sera plus jamais pareil…
Le Pygmalion et sa muse
Et de resserrer le cadre sur la relation sensuelle et complexe qui se développe entre notre rustre gardien et la belle intellectuelle parisienne venue bouleverser son quotidien, magnifiquement campée par Emmanuelle Devos. « Dès le départ, Anaïs a pensé à elle pour incarner Garance. Non seulement elle a immédiatement accepté le rôle, mais elle s’est beaucoup investie et a soutenu très activement le film. Comme moi, elle n’aime pas répéter et a préféré qu’on se retrouve directement sur le plateau. Elle a été très présente sur le tournage, toujours prête à me donner la réplique, même en contrechamp. Rapidement, on s’est apprivoisés, et cela a nourri L’Homme d’argile. »
Un film sensuel et charnel, souvent décalé, qui navigue entre poésie et romantisme, parfois à la lisière du fantastique. Un conte universel où Raphaël Thiéry, devenu le modèle d’une sculptrice inspirée par la puissance de son physique, se met littéralement à nu pour mieux exister aux yeux de son Pygmalion. « Il donne à réfléchir sur la relation complexe qui s’établit entre un artiste et sa muse, sachant qu’on s’interroge souvent sur le créateur, mais rarement sur le modèle. On y voit comment cet homme vit enfermé dans le regard des trois femmes qui l’entourent (ndlr, sa mère, la postière et l’artiste) », analyse le Morvandiau. Et il en sait quelque chose, lui qui a longtemps dû affronter le regard des autres dans les lieux publics, avec son physique de Quasimodo et son œil manquant, remplacé par une prothèse il y a une vingtaine d’années.
Beau comme un paysage
L’Homme d’argile raconte l’histoire d’une fascination réciproque entre ces deux êtres que tout sépare. Quand Garance dit à Raphaël : « Vous êtes comme un paysage changeant et accidenté, un canyon… Je pourrais passer des jours à vous parcourir », le timide colosse retrouve confiance et ose enfin se regarder autrement dans la glace. À ce fils qui se targue alors d’être « beau comme un paysage », sa mère Lucienne répond avec tendresse : « Je ne le prendrais pas en carte postale celui-là ! » Et de saluer au passage la merveilleuse prestation de Mireille Pitot, une Dijonnaise de 92 ans dont c’était le tout premier film, et qui a décroché le prix du meilleur second rôle féminin au festival Jean Carmet de Moulin.
Cependant, plus que la parole, le langage du film est celui des mouvements, des regards et des silences (moins de 15 pages de dialogues sur les 120 pages de scénario), où la complainte de la cornemuse ou les bruits de malaxage de l’argile mouillé expriment le trouble encore mieux que les mots.
Séances-rencontres en présence de Raphaël Thiéry en Bourgogne
Samedi 3 février à 20h : L’Étoile à Château-Chinon
Dimanche 4 février à 15h : Crystal Palace à La Charité-sur-Loire
Samedi 10 février à 17h : Le Phénix à Montbard
Dimanche 11 février à 17h : L’Arletty à Autun
Lundi 12 février à 20h : salle de la Fraternité à Saint-Pierre-le-Moutier
Mardi 13 février à 20h30 : L’Étoile à Saulieu
Dimanche 25 février à 15h : Le Casino à Clamecy
Lundi 26 février à 20h30 : Le Vox à Laignes
Mardi 5 mars à 20h30 : Cinématour à Matour
Jeudi 14 mars à 20h30 : Le Rio Borvo à Bourbon-Lancy
Vendredi 15 mars à 20h30 : La Palette à Tournus
Vendredi 29 mars à 20h30 : L’Étoile à Semur-en-Auxois