Mort à 100 ans chez lui en Californie, le professeur dijonnais Roger Guillemin, prix Nobel de médecine 1977, a laissé un grand héritage scientifique et humaniste. « Il savait harmonieusement rattacher la création artistique aux nouveaux concepts des sciences du vivant » , apprécie son ami le professeur dijonnais Luc Rochette. DijonBeaune.fr publie ici son texte hommage.
par Luc Rochette
Professeur Emérite
Faculté des Sciences de Santé, Université de Bourgogne
Il est des rencontres qui marquent des étapes dans une vie. Alors que je venais d’être nommé professeur de physiologie à la faculté, j’ai eu le plaisir de rencontrer en novembre 1978 le professeur Roger Guillemin lors de la cérémonie où il recevait le titre de docteur honoris causa de l’Université de Dijon. Son discours teinté de malice ne pouvait laisser indifférent l’auditoire dans la comparaison des systèmes de recherches mis en place en France par rapport à ceux adoptés outre-Atlantique.
Roger Guillemin n’oubliait jamais de citer l’importance de la complémentarité des chercheurs formant le groupe engagé dans un programme de recherche. « Espoirs et désespoir des chercheurs en France » était un thème qu’il avait développé en 2004, lorsqu’il fut invité par mon fils Ludovic à donner une conférence au Conseil départemental de la Côte-d’Or. Il faisait souvent référence à ses racines bourguignonnes et à ses débuts comme jeune médecin de campagne, avant de partir à Montréal afin d’intégrer pour ses recherches un environnement performant.
Niki de Saint Phalle, Nevers et Tinguely
Ce qui m’a profondément marqué au cours des discussions que j’ai eu la chance d’avoir avec le Pr. Guillemin, c’était l’interface harmonieuse qu’il évoquait entre l’art et la biologie moléculaire, en particulier la coordination impliquant l’activité cérébrale. Roger Guillemin créait des œuvres artistiques sur ordinateur ; il exposait en Californie en compagnie de son fils François, sculpteur reconnu. Dans ses créations sur ordinateur, chaque espace coloré interfère avec son environnement comme chaque élément d’une cellule interfère avec son milieu. Il faisait souvent référence à des artistes qui étaient ses amis, ou qu’il côtoyait en Californie.
Ses souvenirs convoquaient notamment l’oeuvre de Niki de Saint Phalle, proche de la famille Guillemin. En 1994, pour des raisons de santé, Niki de Saint Phalle s’était établie à La Jolla, en Californie. Elle y avait installé son atelier, où elle créa de nombreuses sculptures. Elle y resta jusqu’à sa mort en 2002. C’était une sorte de rapprochement avec la Bourgogne, car l’artiste avait passé ses premières années chez ses grand-parents, près de Nevers. Ce n’est pas un hasard si la fontaine Niki de Saint Phalle existe à Château-Chinon. Œuvre monumentale réalisée en 1988, elle est composée de ses sculptures et d’une base articulée, créée par son compagnon Jean Tinguely. Jean Tinguely possédait le don d’établir une communication avec des mécanismes détournés de leur sens et de leur finalité. Avec Roger Guillemin, nous discutions des œuvres fascinantes de Tinguely, dont des dinosaures ou monstres improbables destinés à conjurer la mort.
Il parlait toujours avec modestie de ses relations professionnelles passées ou en cours. Hans Selye, le pionnier de la notion de stress et de l’homéostasie, avait été son « patron » de thèse de physiologie à Montréal. Ses travaux et ceux de ses doctorants, dont Roger Guillemin, ont fait de Montréal une importante capitale de la recherche sur le stress dans le monde. L’Université de Montréal a donné son nom à la salle où se tiennent les séances de l’assemblée universitaire ; une plaque honorifique, installée à l’entrée, honore sa mémoire.
« Nous sommes incroyablement attristés d’apprendre le décès de Roger », déclarait le président de Salk Institut. Dans cette structure prestigieuse, il côtoyait des Prix Nobel dont l’un des plus célèbres : découvreur de la structure en double hélice de l’ADN (acide désoxyribonucléique), James Watson. Voici 70 ans, en 1953, Francis Crick et James Watson, décrivaient pour la première fois la structure de l’ADN : molécule avec deux brins liés qui s’enroulent l’un autour de l’autre comme une échelle. Il enferme le patrimoine génétique et code pour toute forme de vie.
De James Watson à Jonas Salk
James Watson avait été invité au Salk Institute en 2009, lors de la sortie de son livre Avoid boring people : lessons from a Life in Science / Éviter d’ennuyer les autres : les leçons d’une vie de scientifique. Dans nos échanges amicaux, Roger Guillemin m’a offert ce livre signé de James Watson. Une lecture qui rend modeste… Le livre occupe une place affective de choix dans mon bureau à côté d’’un autre ouvrage de James Watson, La biologie moléculaire du gène (1965). Il m’a été confié que James Watson, qui vient de fêter son 95e anniversaire, occupait ses loisirs en dessinant – peut être des doubles hélices – lui qui, après avoir découvert la structure de l’ADN, écrivait en 1953 à son fils de 12 ans : « Notre structure est très belle. »
Sur sa carte de vœux pour 2009, Roger Guillemin reprenait une pensée de Jonas Salk, inventeur du premier vaccin contre la poliomyélite : « L’espoir réside dans les rêves, dans l’imagination et dans le courage de ceux qui osent transformer les rêves en réalité. » La philosophie et l’arbre de vie (voir reproduction d’une de ses œuvres ci-dessous) apparaissent chez Roger Guillemin dans cette citation. Un humaniste qui savait harmonieusement rattacher l’imagination nécessaire à la création artistique, aux nouveaux concepts de l’avancement des sciences du vivant.
Le professeur Roger Guillemin s’est intéressé à l’art numérique dès les années 80. Ici l’une de ses œuvres, Arbor Vitae n°1 (2003).