Personnage à la fois discret et incontournable de la vie dijonnaise, Antoine Muñoz va quitter le Grand Hôtel La Cloche qu’il dirigeait depuis 1998 pour profiter de sa retraite. L’hôtel de la place Darcy tourne une page importante de son histoire. Une autre s’écrit déjà.
Il fallait bien que ça arrive un jour. Après vingt-six ans de maison, Antoine Muñoz a, selon la formule consacrée, fait valoir ses droits à la retraite. Le dimanche 31 mars très exactement, jour de Pâques, 140 ans après l’acte de naissance du Grand Hôtel La Cloche à Dijon, 40 ans après son rachat par la famille Jacquier. La boucle des anniversaires est bouclée.
Millésime 58, Antoine Muñoz (avec la tilde sur le n) est d’abord le petit-fils de grands-parents espagnols, ayant quitté leur Estrémadure pour la France et l’usine Christofle de Saint-Denis. Entre Aubervilliers et Argenteuil, la famille mène une existence banlieusarde paisible.
Le jeune « Toni » décroche son bac F1 construction mécanique, du temps où « les garçons allaient en technique et les filles en secrétariat ». Papa avait monté un petit garage à Epinay-sur-Seine, maman s’occupait du foyer. Suivront une licence de lettres, un job de magasinier à mi-temps et des rêves de voyages…
L’hôtellerie par la petite porte
En 1980, Antoine part à Londres pour travailler plusieurs mois dans un hôtel qui abrite un restaurant vaguement frenchie, Le Beurre Fondu. L’expérience est formatrice. « Avec mes cours du soir, j’ai eu mon First Certificate of Cambridge. Maman parlait espagnol à la maison, je voulais capitaliser sur ma double culture », rembobine le jeune prétendant au monde du tourisme. De retour en France, il sollicitera plusieurs agences de voyage… qui lui répondront d’aller voir ailleurs.
Ce sera donc l’hôtellerie, par la petite porte de service, comme veilleur de nuit. Puis le Sofitel de Roissy-Charles de Gaulle cherche un réceptionniste de nuit. Le « night auditor », comme on dit dans le métier, se montre curieux d’un univers foisonnant et en pleine mutation. « C’était l’ère de l’informatisation, je m’y intéressais beaucoup. On m’avait même payé une formation chez IBM. »
Perfectionniste au service des autres, Antoine fait ses gammes. Son style appliqué passe bien. On lui confie des postes à responsabilité. Il file au Sofitel de Lyon comme directeur adjoint, où la formation et la mise en place de bourses d’emploi font partie de ses prérogatives. Un rapide retour parisien, au Sofitel Porte de Sèvres comme directeur des services d’accueil (600 chambres à gérer !), puis Dijon arrive sur son chemin.
« Quand vous remontez, arrêtez-vous à Dijon… »
La Cloche n’est alors pas tout à fait le vaisseau amiral que nous connaissons. Son propriétaire a besoin d’un directeur visionnaire. Tout se joue lors d’une rencontre au Sofitel de Mandelieu, à l’été 98. Patrick Jacquier est en vacances dans le coin. Son futur directeur aussi. Le feeling passe bien. « Quand vous remontez, arrêtez-vous à Dijon et dites-nous ce que vous en pensez. » Et alors ? « Alors je suis resté dormir. Il y avait du potentiel… », sourit poliment l’intéressé, qui débarque fin octobre 98 avec sa famille.
« Monsieur Muñoz », comme on l’appelle désormais, découvre le principe de saisonnalité dans une belle endormie « sans terrasses à cause des nuisances sonores, chose impensable aujourd’hui ». Les petites particularités maison valent le récit. Les deux restaurants avec La Rotonde à l’étage et un autre dans les caves, le poêle à mazout, « les grille-pains au-dessus de la tête des clients et un accordéoniste en CDI », tout cela a vraiment existé à La Cloche. « Mais c’est ici que j’ai appris toutes les chansons bourguignonnes ! »
Avec Patrick Jacquier, un partage de valeurs
Inspiré par l’approche territoriale des propriétaires et ce challenge excitant, le tout jeune quadra sent qu’il faut ouvrir les lieux aux Dijonnais. Le bar by La Cloche, un lieu de vie typiquement dijonnais, portera plus tard sa signature. L’hôtel repose alors sur une « double vie » assumée, entre l’accueil touristique et l’entretien permanent du lien affectif avec la population locale. Le Dijonnais y vient déjeuner dans le calme des Jardins, affiner un contrat, mener une interview (on confirme !), fêter un événement ou profiter du spa.
Du voiturier à la gouvernante, chaque membre de l’équipe a son importance. Le management du directeur repose sur une grande confiance accordée aux chefs de service, « pour que chacun soit responsabilisé et ait une vision claire de son petit univers à lui ». Patrick Jacquier partage sans réserve cette vision des choses. Le propriétaire et son directeur ont eux-même toujours fonctionné sur cette base de confiance et sur des valeurs partagées.
Le meilleur et le pire
Toujours en costume cravate, le chef d’orchestre a une conscience déjà affirmée des relations publiques. La Cloche a du beau monde sur son livre d’or, de Marylin Manson (pas très correct avec le mobilier parait-il) à Charles Aznavour en passant par Lech Walesa et Rostropovitch. Présent sans trop en faire, Antoine se fait le partenaire naturel de la vie dijonnaise, accorde du temps à sa corporation en prenant la présidence du club hôtelier Dijon Bourgogne, s’investit dans l’opération Octobre rose, cause qui le touche personnellement, avec la complicité des équipes du spa et du bar.
Ce quart de siècle professionnel s’accompagne naturellement de grands moments : la cinquième étoile en 2010, le résultat jouissif de travaux colossaux menés il y a dix ans et, sur un plan plus intime, les 50 ans de mariage surprise de ses parents, « avec toute la famille réunie dans les caveaux ». Le pire, hélas, fait aussi partie du lot, comme la récente et tragique disparition du chef Aurélien Mauny. Un petit jeune né dans les cuisines, devenu « un vrai pilier », très attaché à l’établissement et ce que représentait son directeur.
By La Cloche
L’hôtel s’est étoffé d’une activité caviste, 20 by La Cloche, rue Devosge, avec une stratégie transversale sur le thème du vin, ce qui renforce sa crédibilité dans une cité de la gastronomie. Ce « by La Cloche » a d’ailleurs le potentiel d’une marque déposée, déclinable à l’envi, en cohérence avec son ADN. L’établissement est équipé pour exister dans une métropole version congrès et événementiel.
Pour une fois, à partir du 31 mars, Antoine Muñoz suivra tout cela de loin, après avoir fait le tour du propriétaire à Noël Lazarini, son successeur venu de région parisienne (tiens donc !). Ses priorités seront d’une autre nature : profiter du bonheur simple d’être grand-père, car ses enfants Clémence, Etienne et Sébastien partagent leurs vies entre Dijon, Montauban et Genève.
Puis, entre deux footings et l’organisation de la très sympathique Foulée des Cochons (au mois de mai à Marsannay-le-Bois), il faudra planifier tous ces grands voyages dont il rêvait plus jeune. Voir le soleil tomber sur la baie d’Along, toucher le grès rose de Pétra, connaître enfin le rêve américain : après une vie à accueillir le monde entier, il est temps d’inverser les rôles. « Toni » va enfin faire du tourisme. Et La Cloche sera toujours La Cloche. Olé !