« En Bourgogne, quand on parle d’un Climat, on ne lève pas les yeux au ciel, on les baisse sur la terre », disait Bernard Pivot. C’est pourtant vers le ciel que l’on se tournera, désormais, pour évoquer ce grand journaliste, et ardent défenseur de la langue française, décédé à l’âge de 89 ans ce lundi à Neuilly-sur-Seine.
Amoureux de la langue, des bons mots, Bernard Pivot était aussi un Bourguignon de passion, lui le Lyonnais de naissance, transplanté au hasard de la seconde guerre mondiale à Quincié-en-Beaujolais. Son père prisonnier en Allemagne, sa mère se réfugie avec ses enfants dans la maison familiale du Beaujolais.
Le jeune Bernard, qui n’a pas encore dix ans, découvre alors le travail de la terre et de la vigne et noue une passion pour le terroir et le vin dont il ne se départira jamais. « C’est dans les caves que j’ai pris goût à la conversation. J’avais douze, quatorze, seize, dix-huit, vingt ans. On descendait à la cave, on s’adossait à la futaille, on goûtait le vin sorti du tonneau par le truchement d’une pipette. On en parlait et puis la conversation abordait ensuite la politique, les faits divers, le sport, la vie du village, les nouvelles du canton. On philosophait sur tout et sur rien. Je ne savais pas, alors, que je me préparais pour beaucoup beaucoup plus tard, que je me préparais d’une certaine manière à faire “Apostrophes” », racontera-t-il en 2015, lors d’un dîner-conférence dans le Bordelais.
S’il demeure toute sa vie attaché au Beaujolais, ce « vin du peuple, vin des ouvriers, vin festif », dont il fondera en 2009 un comité de défense, il se passionnera également pour la Bourgogne et son vin. Auteur, en 2006, d’un Dictionnaire amoureux du vin, il témoigne d’une érudition bourguignonne indéniable. « Un bourgogne jeune a la force d’un aveu ; un bourgogne vieux, la séduction d’une énigme. Quand je savoure un jeune bourgogne, je lui demande d’excuser mon impatience et je lève mon verre à la santé des vieux. Quand je déguste un vieux bourgogne, je le félicite de sa patience et je lève mon verre au souvenir des jeunes. », écrit-il.
Le couvert de Colette
Grand ami d’Aubert de Villaine, Chevalier du Tastevin, promoteur actif du classement des climats de Bourgogne au patrimoine mondial de l’UNESCO, Bernard Pivot était aussi lié à la Bourgogne par Colette, l’auteure bourguignonne qu’il admirait profondément et à laquelle un clin d’œil du destin devait le lier pour toujours. Il adorait raconter cette anecdote : « J’aime beaucoup Colette, d’abord parce que j’ai toujours apprécié justement son écriture, son style et ses romans. Il se trouve que, par une chance inouïe, j’ai hérité de son couvert à l’Académie Goncourt. Le couvert, à l’Académie Goncourt est, vous le savez, fait d’une cuillère, d’une fourchette et d’un couvert à poisson. En janvier 2004, quand j’ai déjeuné pour la première fois à l’Académie Goncourt, j’avais donc le couvert de Colette à côté de mon assiette. Je me souviendrai toujours de l’émotion qui a été la mienne lorsque j’ai porté pour la première fois sa fourchette à la bouche. Au bout de la fourchette, il y avait un bout de poularde demi-deuil – vous voyez ce n’était pas rien. »
Bien sûr, c’est son immense émission littéraire, Apostrophe, et sa fameuse Dictée de Pivot que retiendra la postérité. Mais l’amateur de belles lettres qu’était Bernard Pivot se singularisait aussi par son amour de la vie, de la sensualité et des plaisirs. Les deux d’ailleurs, ne sont-ils pas liés ? « Il y a deux sortes de vieillards : ceux qui accumulent au grenier et ceux qui continuent de remplir leur cave. À notre mort, nous ne laissons finalement à nos héritiers que deux choses : la bibliothèque et la cave. À l’une et à l’autre, nous avons apporté beaucoup de soins et d’amour. C’est là notre meilleur », estimait-il.