Entretien exclusif avec Pierre-Henri Deballon, nouveau propriétaire du DFCO : « Rendre ce que Dijon m’a donné » 

Le nouveau propriétaire et président du DFCO a choisi DBM et DijonBeaune.fr pour revenir en détails sur les raisons de ce « projet territorial » qui lui tient à cœur. 

Dijonnais d’origine, Pierre-Henri Deballon est le nouveau propriétaire et président du DFCO. Il succède à Olivier Delcourt, qui était à la tête du club depuis 2012. © Antoine Martel/DijonBeaune.fr

Il a beau être le papa de Weezevent, leader européen de la billetterie en ligne avec ses 200 collaborateurs et 350 millions d’euros de chiffre d’affaires, Pierre-Henri Deballon (41 ans) sent bien le poids de cette aventure qui ne ressemble à aucune autre. Il vient de racheter 100% des parts du club, détenu depuis 2012 par Olivier Delcourt. Manifestement heureux de renouer avec sa ville d’origine, le nouvel homme fort du DFCO plaisante sur sa tenue du jour, lui qui est plutôt jean-baskets habituellement (« Quand je m’habille comme ça, au bureau, on pense que je vais revendre la boite ! »), et sur l’optimisation à venir de son abonnement TGV Max, alors qu’il vit en région parisienne depuis une vingtaine d’années.

« Je veux rendre ce que Dijon m’a donné », résume celui pour qui tout a commencé ici, avec le Vélotour et l’aventure familiale AVS. Pendant une petite heure, depuis un stade Gaston-Gérard où il se rendra le plus souvent possible, Pierre-Henri Deballon a présenté son projet et ses valeurs, en rupture assumée avec le foot business. Un « bon client » habitué aux storytelling d’entrepreneur, avec le pragmatisme du gestionnaire et le romantisme du sportif passionné.

Comment allez-vous ?
Bonne question ! (Sourires) Je vis de nouvelles choses. Il y a une grande joie et de la peur en même temps. Mais c’est ce qui me motivait avec ce projet DFCO. À 41 ans, et sans prétendre avoir tout accompli avec Weezevent, je voulais recréer et me recréer des émotions. 

De l’extérieur, on vous imagine formaté à la « tech ». Le sport fait pourtant partie de votre vie.
En fait, c’est ce que j’ai toujours rêvé de faire. J’ai mené deux ans d’études en économie du sport à l’Université Paris Dauphine avant de m’engager dans l’entrepreneuriat, tout en jouant au handball à un niveau semi-pro, comme gardien de but. Ce qui m’a le plus manqué quand j’ai arrêté le hand, c’était cette adrénaline qui monte au fil de la semaine, jusqu’au pic du match.

De là à reprendre un club de foot…
Ce n’est pas une entreprise comme une autre, c’est vrai. Le DFCO, c’est 160 salariés entre la société anonyme et l’association. Je dois aussi dire qu’il y a des pratiques dans le foot qui ne me plaisent pas. La prépondérance de l’argent notamment. Quand on est dedans, on se rend compte qu’il y a un truc un peu « dingo », ne serait-ce que médiatiquement. L’autre jour, j’évoquais Dijon au cours d’un repas professionnel : résultat, on n’a parlé que de foot ! L’autre paramètre en toile de fond est bien sûr le modèle économique du football, qui n’est pas simple, surtout en National et sur fond de crise des droits télé. Je considère que reprendre un club est un acte très social, au sens noble du terme. Le foot, c’est une madeleine de Proust.

En avez-vous, des madeleines ici ? 
La première, c’est un job d’été. Avec mon frère Arthur (ndlr, gérant de la société dijonnaise de signalétique AVS, fondée par leur père Eric), on venait à Gaston-Gérard fixer des panneaux dans le stade en plein cagnard, avec notre camion garé au bord de la pelouse. Et puis l’épopée de Ligue 1 bien sûr, inoubliable, avec la montée en 2011 et le bus à impériale dans les rues de Dijon. 

« J’ai accepté ce risque, mais avec l’envie de dormir la nuit et de stabiliser immédiatement le club pour au moins trois ans. »

Pouvez-vous revenir sur la chronologie de ce rachat ? 
Les discussions remontent à exactement un an. Olivier Delcourt m’avait fait visiter le centre de performance. Nous avons discuté d’éléments financiers, échangé des documents au fil de l’année sans se presser, car Olivier souhaitait terminer la saison et je voulais étudier finement la situation du club car j’aime être en contrôle. J’ai accepté ce risque, mais avec l’envie de dormir la nuit et de stabiliser immédiatement le club pour au moins trois ans. Puis tout s’est accéléré ces derniers mois.

Pierre-Henri Deballon milite ouvertement pour un football propre. © Antoine Martel/DijonBeaune.fr

Quel modèle économique avez-vous en tête ?
J’aime bien être dans l’humilité du travail et le temps long. On a des infrastructures incroyables, un stade et un centre de formation de qualité, avec des jeunes sur lesquels il va falloir compter. Weezevent a réussi le tour de force de lever peu d’argent dans un secteur très consommateur en levées de fonds. Comme je crois plutôt en la création de valeur, nous avons un modèle sain : je gagne un euro, je dépense un euro. Je viens avec ces idées qu’il faut adapter à un autre secteur, sans avoir peur aussi d’interroger les problèmes fondamentaux de ce sport, avec bien souvent une sur-représentation des salaires dans les budgets. Au fond, je ne suis pas le seul à penser qu’un krach des droits télé nous ferait revenir à des échelles rationnelles. La convention collective des joueurs encadre cela, mais j’aimerais aussi que la part variable des rémunérations soit beaucoup plus instaurée, qu’une certaine prime au mérite existe.

Votre prédécesseur avait ouvert le capital à une vingtaine d’actionnaires minoritaires, à hauteur de 24%. Vous avez souhaité reprendre l’intégralité des parts. Pour votre liberté d’action ? 
J’aime être aux commandes et prendre des décisions. Je considère qu’être associé est un acte ultra fort, un peu comme se marier. Ensuite, j’allais apporter beaucoup d’argent, donc les actionnaires allaient être dilués et ils n’auraient plus vraiment eu d’intérêt économique à rester. Mais en réalité, le club ne m’appartient pas : il est à la collectivité, aux salariés, aux supporters, aux partenaires, aux bénévoles… Si demain je plante Weezevent, tout le monde s’en fout ! Planter le DFCO, c’est planter les madeleines de Proust. Je me sens très responsable de cette charge.

Être seul maitre à bord, est-ce une manière de tirer un trait sur le passé ?
Je ne le vois pas comme ça et suis très respectueux de ce qui a été bâti. D’ailleurs, je trouve qu’on est dur avec Olivier Delcourt. En douze ans de présidence, il a fait quasiment la moitié en Ligue 1. Je signe tout de suite ! L’idée, c’est plutôt d’être dans une forme de continuité, en ne s’interdisant pas l’ambition, et de porter un football qui n’est pas celui des investisseurs, des prêts à outrance ou de la multi-propriété. 

« Mon sujet va être d’emmener ce tissu local, de fédérer une vision territoriale, car on parle bien du Dijon Football Côte-d’Or. Nous aurons besoin de tout le monde. »

Dijon offre un cadre rassurant à ce titre…
D’un point de vue familial et amical, c’est évident. J’ai reçu beaucoup de messages de soutien. Le fait que la Ville et les collectivités suivent était aussi déterminant. Mon sujet va être d’emmener ce tissu local, de fédérer une vision territoriale, car on parle bien du Dijon Football Côte-d’Or. Nous aurons besoin de tout le monde.

À titre plus personnel, votre arrivée amorce-t-elle un retour aux sources ?
J’aime la ville. À terme, j’aurais certainement le projet de revenir sur Dijon, donc peut-être qu’un jour, dans cinq ou dix ans, je refermerai l’aventure Weezevent pour être à fond avec le DFCO. Ce qui est sûr aujourd’hui, c’est que je dois incarner physiquement le projet, donc on me verra beaucoup plus dans l’écosystème local. Je serai toutes les semaines ici, en veillant tout de même à ma vie familiale, avec deux enfants de 6 et 8 ans.

À quoi vont ressembler vos prochaines semaines  ?
Il y a déjà eu des choix forts à effectuer sur le sportif, avec un nouvel entraineur (Baptiste Ridira, en provenance de Saint-Pryvé-Saint-Hilaire) et prochainement un nouveau directeur général, Paul Fauvel. Un gars très bien que j’ai connu à Bergerac et dont je partage les valeurs et le mode de gestion. J’ai vu une partie des équipes, mais je dois encore me présenter à l’association, aux groupes de supporters avec qui nous aurons des terrains d’entente – je suis pour les tribunes debout et le spectacle de manière générale – les partenaires privés et publics… Je veux qu’ils sentent que c’est toujours leur club, que nous avons besoin d’eux.

Allez-vous parler « 4-4-2 losange »
Jamais. Je n’ai pas la compétence pour et que je ne veux surtout pas faire semblant de l’avoir. Mon rôle sera plutôt sur les valeurs, ce qui doit se dégager du terrain. Comme en entreprise, je n’ai aucun problème avec la défaite dès lors qu’on a tout donné.

Vous militez aussi pour un « football propre ». Cette expression peut faire sourire ceux qui connaissent bien les coulisses de ce monde pas toujours rose…
Je suis un bosseur rationnel, mais je ne m’interdis pas d’être un naïf rêveur, avec un idéal. Sinon, à quoi bon ? J’ai l’espoir d’arriver à maintenir ce côté romantique du foot, avec l’amour de la ville, d’une communauté de supporters. Dijon est la base de cette philosophie. Soyons clairs : je n’aurais jamais repris l’AS Cannes ou Bordeaux. On me présente comme parisien, ce que je suis aujourd’hui effectivement, mais je vois le DFCO comme un projet local. Je veux rendre à la ville ce qu’elle m’a apporté. En fondant le Vélotour ici, j’ai posé les bases de Weezevent sans le savoir.

« Je réfléchis à une sorte de « taxe Tobin », où un pourcentage de chaque transfert irait au monde associatif. »

Vous auriez même un projet autour des transactions financières…
C’est en réflexion. Une sorte de « taxe Tobin », où un pourcentage de chaque transfert irait au monde associatif. L’idée est aussi de diffuser un message vertueux, de nourrir ce lien entre le club et la cité. Mais le DFCO n’a pas attendu mon arrivée pour être généreux et faire un don important au CHU durant le Covid par exemple. Olivier Delcourt avait même injecté son argent personnel dans le foot fauteuil, sans en faire la publicité.

Vous avez repris le club malade. C’était si grave que ça, docteur ? 
Oui. Aujourd’hui, le club génère un peu plus de 12 millions d’euros de chiffre d’affaires et perd environ 5 millions d’exploitation. Cela veut dire que chaque année, il faut trouver ces 5 millions pour que le club existe. C’est lié au fait qu’il n’y a plus de droits TV – dont les clubs sont de toute façon trop dépendants – que les infrastructures sont à la fois de formidables atouts mais aussi un poids financier, qu’il faut réadapter à la structure. Ce sera aussi le cas au niveau des ressources humaines, j’aurai des choix importants à faire sur ce plan.

L’une des conditions de votre rachat était de sortir le centre de performance de Saint-Apollinaire de l’équation.
On a évoqué la somme de 12 millions d’euros. C’est la valeur nette comptable du centre, et c’est a priori la valorisation de France Domaines. Ce financement a été fait avant moi par de la dette bancaire et par un apport en compte courant. La SA DFCO avait apporté 6 millions d’euros. L’enjeu de la reprise par Dijon Métropole, grâce à François Rebsamen qui a été très actif sur le sujet, est de désendetter la SA et, en clair, de faire souffler notre trésorerie. Le club sera ensuite locataire du centre, ce qui n’impactera pas la vie des équipes. Idéalement, nous étudierons plus tard une possibilité de rachat, dans l’intérêt du club de réintégrer un actif. Ce serait d’ailleurs le sens de l’histoire, car nous n’avons pas vocation à être subventionnés. 

Ce mardi 2 juillet, au centre de performance de Saint-Apollinaire, le DFCO officialisait le changement de présidence entre Olivier Delcourt et Pierre-Henri Deballon. © Amaury Lebeault/DijonBeaune.fr

Quel usage en aurait la Métropole ?
Une convention est en cours de rédaction. Le DFCO gardera l’usage du centre de formation, dont les standards s’appliquent au monde pro, et la Métropole ferait profiter d’une partie du centre à la collectivité et aux clubs amis. On parle d’usage de terrain et de vestiaires, ou bien du réceptif par exemple.

La DNCG a validé votre projet le 27 juin dernier. Ça ressemble à quoi, un passage devant le gendarme financier du foot français ? 
Le plus important est d’apporter des garanties financières. Sur ce point, le plus dur était fait. Nous y sommes allés avec Olivier Delcourt et l’expert comptable du club, devant sept personnes. J’ai trouvé cela très pointilleux mais bienveillant, avec une heure et demie de questions sur les hypothèses retenues. On parle tout de même, pour vous faire une idée, d’un tableau Excel avec une trentaine d’onglets ! Cela s’est bien passé parce que la DNCG n’est pas là pour casser les clubs. Dijon était historiquement bien perçu car il a toujours été géré de façon responsable, sans casserole. L’expert comptable, qui maîtrise parfaitement le sujet, m’a aussi aidé à appréhender toutes les attentes de la DNCG et à bien monter le dossier. Au final, nous avons reçu un rapport de huit pages qui validait la pertinence de notre vision.

« Je me focalise surtout sur « l’exploitation match », en créant progressivement une expérience, pour que les supporters viennent une heure avant et restent une heure après peu importe le résultat. »

Votre entreprise est la spécialiste européenne des solutions événementielles. Le DFCO et son stade pourront-ils être un laboratoire d’outils digitaux ? Avec à la clé un levier locatif ?
Le stade accueille déjà beaucoup d’événements toute l’année. Des séminaires, des conférences… Il faut le renforcer et j’ai d’autres projets autour de cela. Je me focalise surtout sur « l’exploitation match », en créant progressivement une expérience, pour que les supporters viennent une heure avant et restent une heure après peu importe le résultat. Nous allons le faire à l’échelle de ce qu’est un club de National, mais l’idée est de se servir de tout ce que nous voyons dans des événements pour amener des bonnes pratiques. Weezevent va aussi déployer ses technologies comme elle le fait pour d’autres clubs comme le PSG par exemple : billetterie, contrôle d’accès, cashless… L’expérience supporter m’importe beaucoup.

Quid du modèle de gouvernance ?
Comme j’ai tenu à reprendre 100% des parts, la configuration n’est plus la même : je vais nommer des gens pour me surveiller. Un groupe restreint, une sorte de commando « task force » d’amoureux du club et de conseillers avisés. Certains membres du conseil d’administration précédent ont émis le souhait de rester impliqués, la porte est ouverte car je veux garder une continuité.

Olivier Delcourt pourrait-il faire partie de ce conseil des sages ?
C’est une possibilité, s’il en a envie. J’aimerais avoir ces regards extérieurs pour ne pas être dans ma tour d’ivoire ou même me prévenir de réflexes mégalo, même si ce n’est pas ma nature. Il y a un équilibre à maintenir entre la liberté et le besoin d’être bien entouré.