François Rebsamen : « Avant d’être politique, le vin est une histoire personnelle »

Dijon et sa métropole sont en pleine reconnexion avec le vin. Sans être un « geek », François Rebsamen revendique une préférence pour le pinot noir. L’homo politicus, lui, ne reste jamais bien longtemps au fond de la cave… Entretien.

François Rebsamen, maire de Dijon, un verre de vin à la main. © Jean-Luc Petit / Dijon Capitale

Quel est votre premier souvenir lié au vin ?

Celui de mon grand-père maternel, Edouard Agron. Il avait quelques vignes et arbres fruitiers sur Talant. Enfants, on allait ramasser ce qu’il restait. C’était un professeur chirurgien, conseiller municipal de Dijon pendant le Front populaire, qui a d’ailleurs participé à la création de la confrérie des Chevaliers du Tastevin avec des vignerons et d’autres notables locaux. Il faisait son vin lui-même, avec le pressoir dans la cour de la maison, rue Montmartre. 

C’est une entrée en matière un peu rustique…

C’était amer ! Il n’éraflait pas ou peu, les feuilles allaient dans le pressoir… C’est ce qui explique peut-être que mon goût pour le vin s’est développé tardivement. 

Sur ce point, l’héritage fut d’abord inéquitable…

Au départ, le vin a beaucoup plus impacté mon frère (ndlr, le restaurateur Guy Rebsamen, figure de Gevrey-Chambertin, disparu en mai 2023). Après une école hôtelière à Lausanne, il est rentré dans le vin et moi en politique. Au moins partageait-on la même couleur, le rouge rosé…

Pensez-vous avoir une culture sur le sujet ? 

Elle reste essentiellement sensorielle. Ma mémoire gustative se porte plus volontiers sur les différents pinots noirs. En fait, je dois avouer que je n’aime que ça, avec une préférence pour la Côte de Nuits. J’ai participé à quelques dégustations à l’aveugle, y compris avec des figures comme Aubert de Villaine, mais je ne prétends pas être un spécialiste. 

Le Dijonnais est-il prêt, quant à lui, à revendiquer un vignoble d’appartenance ?

C’est un processus long, mais en tout cas, la Cité de la Gastronomie et du Vin et le renouveau du vignoble donne à Dijon l’envie de réapprendre le vin. Je voulais rétablir cette culture ici. L’installation de l’Organisation internationale de la vigne et du vin est à ce titre une grande victoire et une reconnaissance.

Sans en faire l’inventaire à l’étiquette près, à quoi ressemble votre cave ?

Une centaine de bouteilles tout au plus, qui ne vieillissent pas beaucoup parce qu’elles sont bues avec les amis. Essentiellement des pinots noirs. J’ai aussi quelques vins de la Côte du Rhône, de Sancerre et même des Bordeaux que j’essaie de faire aimer aux invités, mais ils ont du mal à s’y mettre… Il y a aussi quelques blancs, particulièrement des Chablis.

Et côté « bureau » ? Y’a-t-il une cave municipale ?

Oui, Robert Poujade la tenait du chanoine, qui laissait parait-il quelques flacons vides dans son bureau. J’ai souhaité vendre aux enchères, il y a une dizaine d’années, tous les « vieux coucous » au profit du CCAS et de ses œuvres sociales, ce qui a rapporté environ 150 000 euros.  Une petite partie de cet argent a permis de réinvestir, car je veux laisser à ma successeuse une belle cave. 

Quel usage en faites-vous ?

Seulement pour les grandes occasions. J’y avais reçu Jean-Louis Borloo (ndlr, alors ministre délégué à la Ville), qui avait permis à l’époque de débloquer 100 millions d’euros de subventions pour la rénovation urbaine du quartier des Grésilles. Comme je savais qu’il aimait le bon vin…Nous avons aussi dégusté de belles choses avec les responsables de l’OIV, idem lors de la venue du président François Hollande pour l’inauguration de la Cité. 

Êtes-vous allocataire de beaux domaines à titre personnel, comme cela est désormais la norme face à la demande ?

Non. Même si un vigneron de Gevrey-Chambertin me réserve chaque année 18 bouteilles d’un certain premier cru…

Difficile de donner des noms quand on est à votre place…

Je me contente de dire que j’aime les meilleurs !

Ah, vous vous êtes embourgeoisé ? 

Un peu, forcément. Mes moyens sont différents de quand j’avais 30 ans, je suis un peu plus sélectif. Même si en privé, à table, les bourgognes que nous ouvrons ne sont pas des grands crus de vingt ans d’âge. C’est assez simple, chez moi. Et la Côte de Nuits est de moins en moins dans mes prix.

Justement, avez-vous un avis sur l’accessibilité des bourgognes ?

Pierre Joxe, qui mettait un point d’honneur à payer de sa poche, m’a fait garder la valeur des choses en politique. D’ailleurs, avec lui, c’était plutôt un verre de whisky à l’apéritif. Donc, j’achète mon vin. J’alerte souvent nos restaurateurs sur leurs coefficients. Certains l’ont compris, d’autres, moins raisonnables, jouent contre leur camp à terme. 

Le vin vous a-t-il manqué à Paris ?

Heureusement, le ministère du Travail avait un budget pour acheter du vin, parce qu’il est aussi un instrument de diplomatie et une base d’échanges souvent apaisante. Je pourrais écrire un livre là-dessus. D’une certaine manière, j’ai repris ce que faisait Jean-Pierre Soisson (ndlr, ancien député-maire d’Auxerre, plusieurs fois ministre entre 1978 et 1993) : dans tous les ministères où il est passé, il laissait des marques de Chablis et d’Irancy. J’ai laissé un peu de Côte de Nuits…

Et votre rapport à l’ivresse ? Vous n’avez pas la réputation d’un ascète.

Un verre de vin, un verre d’eau ! Je mesure déjà l’avantage que j’ai de ne pas conduire. Mais il est vrai qu’être un personnage public incite à la modération. Dans certains cocktails, je bois de l’eau et du cassis en laissant croire que c’est du vin rouge. Robert Poujade m’avait donné l’astuce !

Daniel Picouly, dans son excellent roman « autovinographique » Les Larmes du Vin, prend le contrepied de l’ivresse romanesque et incite à la sobriété pour garder son esprit disponible. Et vous ? 

Je travaille parfois tard le soir, et si je veux produire un contenu, je préfère ne pas avoir bu. Je n’ai jamais vu le vin comme un exhausteur de créativité. Trop boire, parce que cela m’arrive aussi, entraine plutôt chez moi la somnolence. D’ailleurs je ne bois jamais de vin seul. Le vin, c’est une culture du partage. 

À votre élection en 2002, aviez-vous conscience que le vin était un enjeu métropolitain ?

J’avais ça en moi avant même d’arriver à la mairie, dès 1998, en tant que conseiller général du canton de Dijon 5, qui intégrait le quartier de la Fontaine-d’Ouche. Jean-François Bazin (ndlr, maire adjoint chargé de l’urbanisme) avait alors permis de replanter ici une parcelle des Marcs d’Or (lire pages 34-35). Bien que totalement opposé à la politique municipale d’alors, je dois dire que cela m’avait donné envie de réfléchir à pourquoi il n’y avait plus de vin à Dijon.

L’éternel match entre béton et prairies…

Et la collectivité a choisi d’acheter le domaine de La Cras en 2013 (lire page 32). Quand je vois toutes ces vignes replantées sur un terroir voué à l’urbanisation, je suis fier. Nous avons développé ce qui est sans doute l’une des villes les plus écologiques de France. Les écolos m’en savent bien peu gré, je n’en suis pas traumatisé, mais un jour justice me sera rendue sur ce point.

Puisque le verre déborde sur la politique, pourriez-vous trinquer avec François Sauvadet ? Le président du Département a lui aussi un pied dans la vigne, avec l’appellation Bourgogne Côte d’Or.

Vous parlez de l’achat d’une parcelle et de la promotion d’une nouvelle appellation régionale. Cela n’a rien à voir avec l’histoire du vin à Dijon avec laquelle nous renouons. Mais ce n’est pas un secret, il nous arrive déjà de partager un verre ensemble. C’est finalement normal entre personnalités politiques qui s’opposent parfois mais se respectent toujours.

Qu’est-ce qui vous rapproche ? 

Le pinot noir !

📚 À lire dans Dijon Capitale n°9 – Disponible chez nos dépositaires habituels et à feuilleter en ligne