Jacky Rigaux : « Qui a tué les vins de Dijon ? »

Cité viticole jadis prospère, Dijon n’a pas su raisin garder. Auteur d’un ouvrage sur le sujet, spécialiste des grands vins de terroir, Jacky Rigaux revient sur cette histoire.

Jacky Rigaux, spécialiste des vins de terroir; © D.R.

Dijon reprend en main son destin viticole. On peut parler d’un véritable refoulement de cette histoire au XXe siècle, lié à la disparition de ses vignes fines de qualité pour privilégier le vin ordinaire. Il fut condamné à disparaître avec la loi sur les appellations d’origine contrôlée (AOC) en 1935 qui se centrait exclusivement sur les vins fins. Ce qu’on nommait le « Dijonnois » comptait pourtant plusieurs centaines d’hectares du Moyen Âge à la fin du XVIIe siècle, jusqu’à 1 600 à son apogée. Ses vins étaient aussi estimés que les plus grands finages de Gevrey ou de Vosne, qui n’avaient pas encore ajouté « Chambertin » et « Romanée » à leur nom. Pourquoi un tel déclin qui débute à la fin du XVIIe siècle ?

Le cru majeur de la côte

Dès l’époque gallo-romaine la vigne était ainsi présente sur les coteaux à l’ouest de la ville. Dijon et Beaune jouaient alors dans la même cour. C’est à partir du XIVe siècle que les vins dijonnais vont prendre une importance avec le développement de Dijon comme place commerciale, où affluaient, sur le fameux marché de l’Étape situé place Saint-Jean (aujourd’hui place Bossuet), les acheteurs des régions flamandes. Ces marchands, qui échangeaient des textiles contre des barriques, contribuèrent à la richesse de la ville. Ainsi s’imposa le vin de Dijon comme « le » cru majeur de toute la côte bourguignonne. 

Les abbayes étendent alors leurs possessions et deviennent de gros propriétaires. Le domaine de l’abbaye Saint-Bénigne s’étendra ainsi sur Corcelles, Plombières, Talant et Dijon (Clos des bénédictins vers Chèvre Morte). L’abbaye de Bonveaux mettra en valeur les Epoutières sur Talant. Avec les ducs Valois de Bourgogne, aux XIVe et XVe siècles, le vignoble connaîtra un rayonnement dans toute l’Europe. Un bon tiers de la population dijonnaise travaillait alors dans les métiers liés au vin. Le quartier de Saint-Philibert était alors le principal lieu de vie des vignerons.

Le rendez-vous manqué 

La côte bourguignonne a été affaiblie, à la Révolution française, par le passage brutal d’une structure foncière médiévale à la modernité qui encourageait le développement de la viticulture populaire, donc de la plantation de vignes communes bien moins coûteuses à entretenir. Le bien-être de la population devenant la préoccupation des classes supérieures au siècle des Lumières, on comprend que le vin fin, et surtout le plus cher destiné auparavant à une aristocratie peu nombreuse, ne joue plus qu’un rôle limité dans la nouvelle société…

L’arrivée de l’oïdium et du mildiou, suivie à la fin du XIXe siècle du phylloxera, ont fait du mal à la viticulture en général. En 1861, on estimait donc à 3 500 hectares seulement la surface de vignes fines susceptibles d’être classées dans toute la Côte. Le comité de viticulture de Beaune, en position de force, souhaitait l’unification du classement des vignes fines de Côte-d’Or. L’arrondissement de Dijon ne donna pas suite. Les vignes fines disparurent au profit des vignes communes. Gevrey, qui conservait des vignes fines, se reconnut dans la Côte de Nuits et stoppa la prolifération des vignes ordinaires… Le Dijonnais, quant à lui, n’eut pas la capacité d’obtenir une appellation contrôlée dans les années 1930, ses plants fins ayant totalement disparu !

Pour obtenir une AOC « Dijon », et en son sein des premiers crus et des grands crus, il aurait fallu une communauté vigneronne active et sûre de ses droits. 

Les maisons de vin, gloire et décadence 

Il y eut aussi à Dijon un important commerce de vins courants tout au long du XIXe siècle et au début du XXe, vendus au détail à la population industrieuse de la ville. Plus de 2 000 vignerons producteurs de vins ordinaires étaient encore membres du syndicat viticole de la Côte dijonnaise en 1913. 

Après la Seconde Guerre mondiale, l’arrivée massive et à bas prix, des vins du sud de la France et d’Algérie a totalement condamné cette stratégie. Cette concordance de facteurs, phylloxera, urbanisation, concurrence à bas prix, a conduit à la quasi-disparition des plantations autour de Dijon. La ville comptait pourtant une bonne dizaine de maisons de vins jusque dans les années 1930, en particulier celles de L’Héritier Guyot, Paul Court ou encore Delavelle-Coulet. Ces grosses maisons de négoce sont également propriétaires de vignes dans la côte bourguignonne. Elles sont de grandes importatrices de vins fins et de liqueurs, faisant ainsi rayonner la Bourgogne partout dans le monde, mais sans privilégier les vins du Dijonnais, bien au contraire, les laissant de surcroît devenir de plus en plus des vins ordinaires. Mais tout cela est déjà de l’histoire ancienne.

📚 À lire dans Dijon Capitale n°9 – Disponible chez nos dépositaires habituels et à feuilleter en ligne