Bastien Gautheron accroche Anost à son nom et à ses vins, en hommage au Morvan maternel. Originaire de Dijon, inspiré par le renouveau viticole local, il relève aussi le défi de faire revivre une ancienne poudrière de l’écoquartier de l’Arsenal pour élever à bonne température ses futures productions. Une histoire singulière… et explosive !
Fin XIXe, Dijon compte 60 000 habitants et plus de 3 000 hectares de vignes. Les Bourroches, Saint-Jacques, les Billebottes sont alors le point de départ du grand vignoble bourguignon. Un chemin passe par là. Il n’est autre que la future Route des Grands Crus…
Mais l’urbanisation, nécessaire et bouleversante selon les époques, a bien changé le paysage. De cette richesse viticole historique, la capitale bourguignonne n’a gardé que quelques parcelles, pas très loin d’ici. Montrecul, Clos des Marcs d’Or ou encore Les Valendons sont les survivantes actives d’un sol brun sablonneux, ferrugineux, profond et léger. Une poignée de domaines y font des vins fins.
Arsenal, l’explosion d’un quartier
Le dernier des vignerons du quartier a disparu en 2014. Jean-Pierre Gérard fut aussi tapissier-matelassier. Bientôt, grâce à son projet original, un jeune vigneron audacieux comblera ce vide. Bastien Gautheron fera renaître le goût du vin dans une poudrière vestige de l’Arsenal. Toutefois, avant de déguster cet avenir radieux pour nos papilles, remontons les parfums de l’histoire.
L’entrée sud de Dijon, c’est le canal et l’armée. La ville, ce qui peut surprendre, a en effet un fort passé portuaire et militaire. D’où ce nom d’Arsenal, qui évoque l’arsenal d’Artillerie (1876). Deux poudrières jumelées à feue la caserne Dufour (1881), ont aussi été rendues visibles (de l’extérieur seulement), grâce à la création d’un jardin public.
En 1944, le quartier fut détruit par les bombes. Puis reconstruit pour loger notamment les personnels de la SNCF et du PLM. Des commerces ont vu le jour, des bâtiments se sont élevés, éradiquant toute forme de terre cultivée, précipitant la fermeture des sites militaires et la déconstruction des anciennes minoteries.
Le baby-boom a donc fait grossir Dijon. Des petits immeubles de quatre étages ne nécessitant pas d’ascenseurs ont remplacé les maisons individuelles. Une nouvelle vie a commencé. À partir des années 2000, l’écoquartier de l’Arsenal a pris forme. Symboles de cette mutation de la métropole, l’émergence de logements de standing, le retour du tramway, la réapparition d’une Minoterie sous la forme d’un pôle de création artistique jeune public, la naissance d’une crèche, le jaillissement de 1 400 appartements basse consommation. 3 000 habitants sont sur la place.
Le quartier a aussi ses totems. Une plaque, près du canal le rappelle : « Ici est né le 15 décembre 1832 Gustave Eiffel, ingénieur, constructeur et scientifique. » Le Rêve ailé, une sculpture de Robert Rigot, honore la mémoire de l’illustre personnage.
Ce terrain d’une douzaine d’hectares, autrefois occupé par les Établissements du Matériel de l’Armée de Terre (Etamat), la halle Bonnotte et les minoteries dijonnaises, à moins de 2 km du cœur de la ville est désormais porteur d’un tout autre destin.
L’enfance à Eiffel
Bastien y a vu le sien. Originaire de Dijon, ayant grandi dans le quartier Eiffel voisin de la poudrière et attenant aux dernières vignes du Dijonnais, le jeune quadra est animé par le respect de ses origines et de la mémoire collective. Quand il s’est mis à faire son propre vin, après avoir travaillé quelques années pour la maison Olivier Leflaive à Puligny-Montrachet, il s’est empressé de mentionner Anost sur ses étiquettes. Comme d’autres de sa génération, il est partagé entre la souche morvandelle de sa mère et son enfance urbaine dijonnaise.
Diplômé de la « viti » à Beaune, puis de la BSB avec un Mastère spécialisé Commerce international de vins et spiritueux, ce commercial dans l’âme a d’abord été acheteur et distributeur de vins fins au Moyen-Orient avant de revenir au pays. Quelques vignes acquises à Savigny-lès-Beaune et un achat rigoureux de raisins ont permis de donner naissance à la Maison Gautheron d’Anost. Mais là, c’est un nouveau cap qu’il franchit. Le formidable défi de la résurrection du vignoble dijonnais le passionne depuis longtemps.
Bourgogne Dijon… in Dijon
Amateur des vins « bruts », sans artifice, le voilà locataire d’une ancienne poudrière et propriétaire d’un terrain attenant, au milieu des immeubles, où il va faire construire une belle cuverie. Cette démarche est dans l’air du temps. D’autres métropoles, comme Marseille, Reims, Lyon et même Paris, s’y sont mises. À la différence près que notre vigneron puriste a planté, en deux ans, 2 hectares entre Corcelles-les-Monts et Talant. Avec un demi-hectare en production sur la Rente Giron, qu’il a récupéré au début du printemps, Bastien vise à terme près de 4 hectares dans le vignoble local pour produire et élever in situ du Bourgogne Dijon… made in Dijon.
Ultime et insolite témoignage d’une époque enfouie dans la mémoire collective, la nature même de ces constructions troglodytes que sont les poudrières, aussi fraiches et profondes que peut l’être une cave bourguignonne, présente bien des atouts pour un vigneron. Dotée d’une bonne hygrométrie, elle donne aussi du sens à l’histoire explosive qui s’écrit.