Ludivine Griveau-Gemma : « Aux Hospices de Beaune, je me sens à ma place »

Toujours aussi animée par ce supplément d’âme hospitalier, la régisseuse du domaine des Hospices de Beaune vient de boucler son dixième millésime, marqué par la certification bio du domaine. L’occasion de faire le bilan d’une décennie riche en changements.

Ludivine Griveau-Gemma, régisseuse du domaine viticole des Hospices de Beaune. © Iannis Giakoumopoulos / DBM

Propos recueillis par Laurent Gotti

Ce millésime 2024 marque l’aboutissement de la démarche de certification bio. Pourquoi maintenant et en quoi cela vous semble important pour les Hospices de Beaune ? 

Ludivine Griveau-Gemma : La démarche vise à être en phase avec la vocation hospitalière qui est de prendre soin. Prendre soin de nos terres, de nos hommes, des riverains et de nos consommateurs. Pourquoi maintenant ? Il fallait remplir un certain nombre de prérequis techniques, notamment que les vignerons soient tous équipés de pulvérisateurs performants. Sans ce matériel, c’est la catastrophe assurée. Il fallait également affiner ma connaissance du parcellaire sur les 60 hectares du domaine. Certaines parcelles nous embêtent tous les ans alors que la pression des maladies est toujours plus faible dans d’autres. Mon prédécesseur, Roland Masse, avait déjà mené beaucoup de travail pour convaincre les équipes d’aller dans ce sens. Pour un vigneron, il n’est pas simple de surpasser sa crainte de travailler si dur pour parfois perdre. On a fait le choix de produire moins, peut-être, mais bio.

Cette certification peut-elle améliorer la valorisation des vins, déjà élevée ? 

Je ne crois pas qu’un éventuel logo AB sur les étiquettes ajoute quoi que ce soit à la valorisation de nos vins. Nous sommes épaulés par Bio Bourgogne (ndlr, association qui vise au développement de l’agriculture bio) et par la Chambre d’agriculture, qui apportent une vision extérieure. Nous ne sommes pas tout seuls dans notre coin, nous faisons partie d’un groupe de producteurs. C’est un gage d’ouverture. Ce sont d’ailleurs les rencontres avec des membres de ce groupe qui m’ont convaincue d’engager la démarche.  

Cette année marque votre dixième millésime. Quel bilan tirez-vous de cette décennie ?  

Je peux dire que je me sens à ma place. Chaque régisseur aux Hospices est entré dans le costume en l’ajustant à ses propres dimensions, avec la grande chance d’avoir une direction qui laisse de l’autonomie, en toute confiance. J’ai beaucoup de chance de pouvoir faire les vins que j’aime, de mener la vigne comme je pense qu’il faut le faire, et non pas comme on me dirait de le faire.

© Hospices de Beaune

Cette confiance, l’avez-vous ressentie dès le début ?

Oui, quel que soit le directeur (ndlr, trois pendant cette période : Antoine Jacquet, François Poher et  Guillaume Koch depuis octobre 2023). L’institution est organisée pour faire confiance à ses experts à chaque pôle. J’ai pu également façonner mon équipe de vignerons selon l’exigence du travail que je souhaite mener. Aujourd’hui, le domaine des Hospices de Beaune figure parmi les grands. C’est le résultat du travail initié par l’équipe précédente, mon challenge consistait à le développer.

Existe-t-il des aspects pesants liés cette particularité d’être un domaine viticole adossé à une institution hospitalière ?

C’est un luxe d’avoir une équipe de vignerons en charge de 2 hectares et demi chacun. C’est aussi une charge de gérer 23 personnes et autant de tempéraments. Certains matins, je me sens comme le régisseur de 23 domaines différents. Mon objectif a été de réinstaurer une unité culturale, une homogénéité. Chaque vigneron est libre, bien-sûr, de faire comme il l’entend dans les vignes qu’il exploite éventuellement pour lui-même ailleurs, mais en tant que salarié des Hospices de Beaune, il doit se plier aux décisions du régisseur. Pour certains, cela a été tout seul, pour d’autres cela a suscité des heurts. La grande majorité a compris la démarche même s’il a parfois fallu du temps pour que les résultats soient visibles. La vigne demande toujours un peu de patience. 

Quelles ont été vos priorités ?

Le vignoble. Il était victime d’une oscillation sur l’utilisation des engrais. Je suis arrivée à un moment où les vignes ne donnaient pas des signes de très bonne santé, de longévité suffisante. Une culture pérenne ne donne pas de réponse dès que l’on appuie sur un bouton. Et ce qui marche une année ne fonctionne pas forcément l’année suivante. J’aimerais que mon successeur se trouve dans une zone de confort et que la vigne ait trouvé une forme d’équilibre. Nous menons une politique d’arrachage et de replantation importante : 9% du vignoble chaque année contre 3 à 5% normalement. Nous devons toutefois faire avec une incertitude : le changement climatique. Je n’ai pas de boule de cristal sur les plants qui seront les mieux adaptés dans le futur. Je fais de mon mieux, je vis et travaille dans mon époque. 

Le domaine est évidemment chargé d’histoire. Êtes-vous sensible à cet aspect ? Ou l’oublie-t-on facilement au quotidien ?

J’y étais préparée mais je ne m’attendais pas à être autant happée par cette mission. Lorsque j’ai signé mon contrat de travail, Antoine Jacquet m’avait dit : « N’oubliez jamais que vous travaillez pour un hôpital. » Sur l’instant je lui ai répondu « oui » poliment. Je mesure aujourd’hui à quel point cette phrase a du sens. Nous sommes baignés dans cette culture. Je côtoie des gens qui travaillent dans les métiers du soin. Leur travail n’est pas suffisamment valorisé et pourtant, ils portent cette institution. Ça vous vient sous la peau et m’aide à relativiser beaucoup de choses. La maladie contre laquelle nous nous battons, c’est le mildiou, rien de plus… Le domaine apporte un rayon de soleil, un peu de légèreté, au quotidien du personnel hospitalier. Ils nous demandent régulièrement comment vont les vignes.

Ludivine Griveau-Gemma lors des vendanges 2024, avec des chardonnays de Beaune 1er cru Les Montrevenots qui serviront à la cuvée « Suzanne et Raymond ». © Alexis Cappellaro / DBM

Le domaine des Hospices de Beaune et ses vins sont des enjeux financiers pour l’hôpital. D’autant que le chiffre d’affaires de la vente a largement augmenté ces dernières années. Est-ce une pression supplémentaire pour vous ?

J’ai des objectifs annuels fixés sur le plan technique, sur certains projets, mais à aucun moment il ne m’est demandé d’atteindre un objectif de chiffre d’affaires. Jamais. Ça ne veut pas dire que je ne me mets pas la pression toute seule… Bien sûr il y a des attentes, il faut faire rentrer des sous dans les caisses de l’hôpital. Tout le monde veut que cette vente soit belle. Nous les premiers, car on s’est donné du mal pour faire les meilleurs vins possibles. 

Certains ne se privent pas de vous donner des conseils. Comment le gérez-vous ?

(Elle fait mine de réfléchir) Comment gère-t-on le fait que beaucoup veuillent mettre leur grain de sel ? J’ai considérablement réduit la fréquentation de la cuverie pendant les vinifications. Si une personne n’a pas rendez-vous, elle repart : acheteur, pas acheteur, journaliste… Je veux être à ce que je dois faire quand je suis avec mon équipe. En revanche, quand je suis questionnée et qu’on me demande de passer tel jour à tel endroit, cela ne me pose aucun problème. J’ai appris à prendre en compte les conseils des personnes bienveillantes. Je suis contente d’avoir leur avis. En revanche, les propos des donneurs de leçon, qui n’ont jamais mis un ongle dans une caisse de raisins, me glissent dessus…

Vous évoquez assez peu le fait d’être la première femme à ce poste…

Je suis très fière d’être la première à ce poste pour toutes les portes que cela contribue à ouvrir. J’ai montré que cela était possible, mais je ne me lève pas tous les matins en y pensant. On peut aussi braquer les gens à force de se targuer d’être une femme aux responsabilités. Ça doit être fatiguant d’entendre cela. C’est factuel : je suis du genre féminin, je suis la première. Cela illustre un certain nombre d’évolutions.

Vous ne vous ressentez pas comme une militante ?

Non. Je rends volontiers hommage à tous les hommes qui sont très heureux de nous avoir avec eux plutôt qu’à une minorité qui ne sera jamais contente de cette situation. Ceux là, je ne veux même pas en parler ou en faire un sujet.

Un nouveau bâtiment pour les Hospices Civils de Beaune en 2028

La 164e Vente des vins des Hospices de Beaune, orchestrée par Sotheby’s, se tiendra dimanche 17 novembre sous la halle de Beaune. L’événement caritatif soutiendra la thématique globale One Health – « Une seule santé », accompagnée par plusieurs associations. Le produit de cette vente servira comme toujours à abonder le budget de fonctionnement et d’investissement des Hospices Civils et de son hôpital. Un grand projet de modernisation devrait justement démarrer au deuxième trimestre 2025, avec la construction d’un bâtiment de 15 000 m2 pour un budget de 86 millions d’euros et une ouverture prévue en 2028. Le lauréat de ce projet est le groupement C3B (groupe Vinci), composé de l’agence Architecturestudio. « Cette nouvelle structure, plus adaptée à la prise en charge de nos patients, permettra d’abandonner le bâtiment H, qui abrite depuis 1971 les principaux services d’hospitalisation », avance Guillaume Koch, le directeur de l’ensemble hospitalier. L’édition 2023 de la Vente avait permis d’atteindre 23,2 millions d’euros pour 753 pièces de vin.

© Architecturestudio