85,5 pièces de vin pour plus de 4 millions d’euros : fin novembre, la maison Albert Bichot a confirmé son rang de leader de la Vente des vins des Hospices de Beaune. Bon pour l’hôpital, bon pour les clients. Ensuite, c’est tout le savoir-faire d’un négociant-éleveur qui se met en place…
Qui c’est les meilleurs ? Évidemment, c’est Bichot. La vénérable maison beaunoise ne le clamera jamais ainsi. Elle se contente de dire sobrement, avec une élégance caractéristique, qu’elle « renouvelle son soutien » aux Hospices Civils de Beaune, exactement comme elle l’a fait après une étonnante 164e Vente des vins où elle a acquis 85,5 pièces pour 4 409 000 euros, soit 32% du montant de la vente et 19% de son volume.
Cette attitude est fidèle au « clan Bichot » que l’on retrouve le troisième dimanche de novembre, installé comme toujours au centre de la halle, à cinq ou six rangs du commissaire-priseur. Albéric Bichot lève son paddle sans ostentation. Il dodeline, grimace ou mime quelques chiffres pour prendre les enchères, entouré de ses forces commerciale et technique et de quelques clients VIP invités à vivre l’événement en direct. « Nos acheteurs se décident avec nous pendant la vente, il faut être capable de tout suivre, en acceptant de laisser une place à l’improvisation ».
85,5 pièces, 14 pays
Plus de 25 ans qu’Albert Bichot s’illustre en tant que premier acheteur, pour le compte de professionnels du monde entier, de quelques amateurs ou pour son œnothèque personnelle qui abrite encore quelques reliques des années 1930. « Les 85,5 pièces achetées cette année partiront dans quatorze pays, sachant que nous faisons de la haute couture : nos clients peuvent prendre une pièce complète, fractionnée ou une bouteille via notre site hospices-beaune.com », détaille Albéric Bichot, qui retient comme toujours la satisfaction des acheteurs – des profils beaucoup plus dégustateurs que spéculateurs fort heureusement – et le sort réservé à ces quelques millions d’euros : « Nous sommes très heureux pour l’hôpital et contents d’avoir acheté du Savigny, du Beaune mais aussi de l’Echezeaux et bien sûr la totalité des Bâtard-Montrachet, 3,5 pièces cette année. »
De quoi établir un nouveau record pour le plus grand des grands crus blancs du domaine : 355 000 euros la pièce, plus 181 000 euros pour la feuillette de 114 litres. On s’arrache toujours ces seigneurs des climats, en Asie de plus en plus. « En Bourgogne, la moitié des grands crus part chez nos amis asiatiques, il n’y a pas de raison que ceux des Hospices de Beaune empruntent un chemin différent », analyse le négociant beaunois.
Bien sûr, il existe des déçus. Certains ont manifesté un intérêt mais n’ont pas pu toucher le graal, comme cela arrive sur des petits millésimes comme 2024. « Du Beaune ou du Pommard à moins de 10 000 euros la pièce comme en 2023, cela avait permis de retrouver des clients particuliers », confirme Albéric, qui a une façon bien à lui de consoler les déçus. « On pleure ensemble ! (sourires) On les remercie pour leur intérêt et leur dit qu’on fera mieux l’an prochain, qu’il faut garder la foi pour l’hôpital… »
Le ballet du négoce
Qu’importe le scénario, ces émotions sous la halle sont intenses mais fugaces. Il faut ensuite se concentrer sur l’essentiel : le « service après-vente ». Tout le savoir-faire d’une maison de négoce se met en place, des caves jusqu’aux bureaux administratifs. Le ballet est connu. « Nous allons reconnaître les pièces achetées à la cave des Hospices, pour les enlever avant le 31 janvier. Puis c’est la grande épopée de l’élevage dans nos caves, de 10 mois pour des Pouilly-Fuissé jusqu’à 15 ou 16 mois pour les Bâtard-Montrachet, 17 à 18 mois pour les grands rouges. »
Cyrille Jacquelin, œnologue aux Domaines Albert Bichot
« Plus nous achetons, plus nous pouvons avons de choix de fûts. Cette diversité exige plus de travail, mais elle confère à nos vins des Hospices ce supplément d’âme. »
Un travail d’orfèvre qui implique la question des contenants. « Notre première décision clé concerne le choix des fûts. Nous pensons que le vin, vendu en fûts neufs lors des enchères, gagnera en complexité en étant, dans la majorité des cas, réparti dans des fûts plus anciens », estime Albéric Bichot, qui peut compter sur un parc de fûts conséquent et renouvelé en permanence… surtout quand un acheteur se paie le luxe de garder avec lui, comme cela arrive souvent, ledit fût en guise de souvenir. Avec son nom sur l’étiquette, « comme nous le proposons et recommandons chaudement », effet collector garanti.
Dans la famille Bichot, Cyrille Jacquelin est en charge de cette délicate mission d’assemblage. Il a ainsi combiné, pour chaque vin, des fûts de plusieurs origines, aux grains plus ou moins fins, avec des chauffes et des âges différents, avant de les assembler délicatement. « Plus nous achetons, plus nous pouvons avoir de diversité dans nos choix de fûts. Cette diversité exige plus de travail, mais elle confère à nos vins des Hospices ce supplément d’âme. »
Pour la communauté beaunoise
La mise en bouteilles (au nombre de 288 pour un fût de 228 litres), en petit ou grand contenant, est la dernière étape avant expédition ou retrait sur place. L’acheteur distrait n’existe pas : « Je n’en ai jamais vu un oublier de retirer son colis ! Au contraire, la première question que l’on reçoit est toujours la même : Quand est-ce que je vais avoir mes bouteilles ? »
Albéric Bichot ne cache pas son plaisir de voir le sceau des Hospices de Beaune voyager dans tous les endroits du monde. Il en fait une affaire de solidarité avec la communauté locale : ce Beaunois pur jus de pinot noir est né à l’Hôtel-Dieu un hiver neigeux de 1964, sa famille achète du vin aux Hospices depuis 1876, lui-même est présent sous la halle depuis 1990… et le patrimoine dont il prend soin représente 107 hectares de vignes sur 6 domaines (dont 4 certifiés bio).
Cette dimension affective oriente quelques choix de cuvées des Hospices. La maison Albert Bichot achète ainsi chaque année sous la halle du Volnay 1er cru cuvée Blondeau et du Beaune 1er cru cuvée Rousseau-Deslandes. Parce qu’ils sont excellents, et parce que ces bienfaiteurs du XIXe siècle ayant donné leur nom aux cuvées étaient des parents. « Ma tombe m’attend à Monthelie, dans le caveau Bichot-Blondeau », glisse le facétieux Albéric. Le plus tard possible, naturellement… Tant de ventes sont encore à vivre, tant de « services » sont encore à rendre.