Imaginaires Kréatifs : La Karrière s’invite à l’Hôtel-Dieu de Beaune

Le vénérable Hôtel-Dieu des Hospices de Beaune et l’ancienne carrière de Villars-Fontaine partagent une même minéralité, mais pas que… Du 25 avril au 30 novembre, pour les 10 ans des Climats de Bourgogne, les deux sites accueilleront des pointures internationales du street art dans le cadre d’un projet inédit… « Imaginaires Kréatifs » va nous scotcher !

Le Bacchus a été réalisé par Mode2 à La Karrière en 2021. ©Sandrine Allard-Saint-Albin

Quel regard porterait Rogier van der Weyden, le peintre du polyptyque du Jugement dernier exposé à l’Hôtel-Dieu des Hospices civils de Beaune (un chef d’œuvre en 15 panneaux grouillant de personnages, qui n’est pas sans rapport avec une bande dessinée ou une fresque murale), sur les créations d’art urbain qui prendront place tout au long de l’année dans ce haut lieu du patrimoine beaunois ?

Gageons que ce représentant des Primitifs flamands, doué d’un grand réalisme, aurait certainement apprécié les graffs virtuoses de Mode2, le directeur artistique d’Imaginaires Kréatifs, « le projet de street art le plus excitant de l’année », selon l’influent magazine BeauxArts.

Des Gouzous de partout

Originaire de Rouen et installé à l’Île de La Réunion, Jace s’est fait connaitre par ses Gouzous, des petits personnages tout-terrain sans visage, « moqueurs, espiègles, engagés parfois, romantiques » qui ont pris d’assaut de nombreuses villes européennes. Les Dijonnais notamment ont pu les découvrir en mai 2023 pour trois mois sur le M.U.R., un espace d’exposition à ciel ouvert situé rue d’Assas (notre photo). À travers ses personnages universels, Jace aborde autant des thèmes sociétaires majeurs que des sujets plus légers qui égaient notre quotidien. L’artiste s’adapte à tout ce qui l’entoure, explorant les villes comme les traces laissées par l’homme dans la nature. Usine désaffectée ou mobilier urbain, pour lui tout se prête à raconter une histoire et à interpeller le passant. Ses Gouzous sont devenus un reflet de nous- mêmes en quelque sorte, parlant à toutes générations et origines confondues, et provoquant une interaction avec le spectateur susceptible de nourrir de nouvelles idées.

©D.R.

Street art on the roc

Né à l’île Maurice en 1967, Mode2 a vu naitre le mouvement hip-hop à Londres, puis à Paris dans les années 80, avant de devenir un des meilleurs graffeurs de sa génération, un des plus sollicités aussi. L’artiste est tombé sous le charme de la région depuis sa venue au festival Street art on the Roc en 2019, en compagnie du new-yorkais Futura, pape du graffiti et pionnier du genre, et du Néerlandais Delta. « Depuis, j’ai toujours voulu ramener à La Karrière des artistes parmi les plus connus, sinon les plus influents, pour faire de ce lieu une destination incontournable, aussi bien pour les néophytes curieux que pour les fans de cette culture. »

De l’ancienne carrière d’extraction de pierre calcaire de Villars-Fontaine, dans les Hautes-Côtes de Nuits, à l’Hôtel-Dieu beaunois, construit en pierre de Bourgogne au XVe siècle, il n’y a qu’un pas que les organisateurs ont allégrement franchi afin d’entre-croiser patrimoine historique et création contemporaine.

« Pour la première fois, La Karrière se déploie hors les murs », se félicite Dominique Bruillot, président de l’association Vill’Art (et éditeur de votre magazine préféré) qui gère le site et son animation, saluant au passage Ruben Klein, pilier du conseil d’administration qui a su convaincre de grands noms du street art d’intervenir à Villars-Fontaine.

« Cette initiative n’a pas vocation à être uniquement disruptive. En accord avec les artistes, certaines œuvres vont entrer dans notre fonds, une façon de sanctuariser notre histoire. »

Sandrine Allard-Saint-Albin, responsable de l’Hôtel-Dieu

Visions hospitalières à Beaune

Ainsi, dans sa partie « Visions hospitalières », le projet artistique prévoit de faire intervenir successivement trois créateurs dans trois lieux différents de l’hôtel-Dieu de Beaune. À partir du 25 avril, le Français Jace (lire encadré) mettra en scène ses espiègles et sympathiques « gouzous » sur la façade de l’aile Saint-Joseph, afin d’évoquer tous les corps de métier qui ont participé à la construction du bâtiment historique. L’Italien Eron interviendra ensuite à partir du 9 juillet, en pleine saison touristique, démontrant sa maîtrise de la bombe aérosol à travers une production d’œuvres accrochées sur les murs de la galerie basse de la cour d’honneur. Enfin, à partir du 10 octobre, le Néerlandais Boris Tellegen, alias Delta, disposera ses sculptures sur les murs de la façade Saint-Louis, rajoutant ainsi une dimension d’art contemporain aux deux autres intervenants.

Guillaume Koch, le directeur des Hospices Civils, encourage volontiers cette proposition qui casse les codes et éclaire l’Hôtel-Dieu d’une lumière nouvelle : « L’idée a germé d’un besoin concret : par quoi remplacer les tapisseries du bastion de l’Hôtel-Dieu, qui devaient être enlevées pour être restaurées ? Le street art est alors venu dans la discussion, sachant que nous avons la chance d’être à quelques kilomètres de La Karrière. »  L’originalité et la qualité de ces Imaginaires Kréatifs ont aussi de quoi réjouir Sandrine Allard-Saint-Albin. La responsable de l’Hôtel-Dieu anime, avec une équipe au diapason, un des sites touristiques bourguignons les plus fréquentés (460 000 visiteurs en 2024) : « Cette initiative n’a pas vocation à être uniquement disruptive. En accord avec les artistes, certaines œuvres vont entrer dans notre fonds, une façon de sanctuariser notre histoire. »

Notons d’ailleurs qu’une vente aux enchères de street art sera organisée avant la Vente des vins des Hospices de Beaune, qui a traditionnellement lieu le troisième dimanche de novembre.

Visions minérales à La Karrière

À ces « Visions hospitalières » s’ajoute des « Visions minérales » qui prendront place à La Karrière, ancien site d’extraction de pierre de Comblanchien reconverti en galerie à ciel ouvert, sur la commune de Villars-Fontaine. « Cette pierre n’est pas n’importe laquelle, note Mode2. C’est celle qui a servi à faire le socle de la statue de la Liberté et le parvis de Notre-Dame de Paris. On a donc des fragments de ce patrimoine un peu partout dans le monde. » Avec son front de taille d’une quinzaine de mètres de haut, qui court sur 200 m, ce spot est devenu depuis une petite dizaine d’années un formidable terrain de jeu pour de nombreux street artistes renommés.

Au mois d’août, c’est l’artiste Jace, déjà présent à l’Hôtel-Dieu, qui interviendra à plusieurs endroits sur le site, en s’inspirant du terrain pour créer des petits scenarii. Le Franco-Portugais André Saraiva et son personnage naïf Monsieur A sont aussi annoncés à La Karrière. Cette figure des nuits parisiennes devrait s’amuser et créer du lien, le directeur artistique du projet espérant « trouver des vignerons pour que les deux mondes se rapprochent ». L’histoire démarre plutôt bien.