Alain Tomczak dirige le CFA La Noue depuis 2013. Il est aussi celui qui le fera disparaître pour donner naissance à l’École des Métiers, qui introduit l’excellence. Ce changement d’identité coïncide avec un ambitieux programme d’investissements et une spectaculaire réforme de l’apprentissage. « Directeur-trader » dans l’âme, l’homme semble bien s’accommoder de tous ces chamboulements…
Propos recueillis par Dominique Bruillot
Pour Dijon-Beaune Mag #69
Vous êtes arrivés en août 2013 à La Noue dans un contexte difficile à bien des égards…
La Noue a véhiculé un certain nombre de références pas toujours valorisantes en raison des difficultés rencontrées, il était connu comme une référence par sa taille mais aussi par sa grande fragilité. De mon côté j’avais envie de changer d’horizon : le directeur du CFA du bâtiment à Auxerre que j’étais depuis 11 ans avait perdu beaucoup de ses prérogatives au profit de la création d’une association régionale d’établissements du même type… En découvrant ce CFA en souffrance, dans une situation proche du dépôt de bilan, j’ai aussi rencontré un président volontaire pour redresser les comptes, Gérard Morice.
Justement, d’où vient l’argent d’un CFA ?
Principalement de la taxe d’apprentissage fléchée par les entreprises ou collectée par la Région. Aujourd’hui, celle-ci intervient à hauteur de 55 % d’un taux qu’elle a estimé mais qui n’est pas non plus le coût réel de fonctionnement.
On peut donc naviguer à perte…
À titre d’exemple, lorsqu’on est sur un coût de 11 euros de l’heure, la Région ne retient que 9 euros pour ne financer que 55% de ce montant. Il faut alors chercher le reste et ça devient compliqué. D’abord parce que nous sommes dans un CFA interprofessionnel qui accueille beaucoup de formations dans des milieux artisanaux dont les professions ne sont pas forcément assujetties à la taxe d’apprentissage. Donc, il faut aller chercher ailleurs des fonds au titre de cette taxe…
Autrement dit, draguer les entreprises directement intéressées.
Pas forcément, parce que selon un principe d’exonération, seul un certain nombre d’entreprises paie. Pour les 1200 jeunes que nous accueillons, nous avons en fichier régulier 1150 entreprises dont à peine une centaine s’avèrent être assujetties à la taxe d’apprentissage. Cela créé un déséquilibre fort. Leurs versements ne suffisent pas à couvrir le coût de fonctionnement d’un établissement comme le nôtre. Il est alors nécessaire de se tourner vers des organismes collecteurs, branches, interbranches ou consulaires, et de leur demander de nous attribuer de la taxe soit au titre des fonds libres disponibles, soit par un fléchage lié à la collecte des entreprises qu’ils ont pu démarcher.
C’est le job du directeur ?
Le directeur doit faire connaître ses besoins auprès des établissements collecteurs. Mais là encore, le combat est assez difficile. Il faut démarcher chaque organisme qui est lui-même paritaire et doit rendre des comptes à un conseil d’administration qui décide du fléchage, de savoir à qui on donne et combien. Tout cela est un parcours complexe avec une vue limitée dans son champ d’activité professionnelle. Le défi pour nous est de pouvoir juxtaposer l’ensemble des regards de tous ces organismes pour leur dire s’ils couvrent ou pas nos coûts de formation.
Qu’est-ce qui a marqué l’ère Gérard Morice ?
C’est déjà le soutien indéfectible de la CGPME devenue CPME, qui nous a marqués de son attachement et défendus auprès de ses adhérents. Cet appel à la taxe d’apprentissage est non seulement une forme de promo et de l’argent, c’est aussi réinscrire le CFA dans une relation de confiance avec les chefs d’entreprise. Si demain ces derniers ne recrutent pas de jeunes, on aura beau avoir les financements que l’on veut, on ne pourra pas former. Il faut qu’il y ait une adéquation entre l’offre proposée par les entreprises en quête d’une main d’ œuvre qualifiée et ces jeunes qui recherchent des contrats d’apprentissage.
La machine La Noue, c’est quoi aujourd’hui ?
C’est plus de 600 000 heures de formation à l’année, 1240 jeunes en formation classique d’apprentissage, une centaine de stagiaires en formation adulte pour se reconvertir ou se réorienter vers un métier qu’ils envisageaient mais n’avaient pas encore osé faire. C’est une ouverture à des BTS, plus de 70 au total, comme dans les métiers de la restauration ou dans l’optique. C’est aussi des jeunes auxquels on va pouvoir proposer un parcours adapté et travailler sur leurs difficultés, les remettre à niveau et s’engager dans la préparation d’un CAP.
Qu’est-ce qui a changé ces dernières années, sur le terrain de l’apprentissage ?
L’attente des chefs d’entreprise, qu’ils expriment d’une manière beaucoup plus précise en matière de compétences. On n’est plus sur la recherche d’un diplôme en tant que tel mais beaucoup plus sur le développement d’un niveau de compétences.
Le brassage avec l’enseignement supérieur est plus fort aussi…
On a de plus en plus de jeunes issus de l’Université qui se raccrochent au BTS opticien ou au diplôme européen optométrique par exemple, idem pour les métiers de l’hôtellerie, la restauration, la boucherie et les métiers de bouche. D’autant plus que les professionnels de la place dijonnaise, pour ne citer qu’eux, préparent leur développement par rapport aux enjeux touristiques, à ce que la Cité de la gastronomie et des vins va apporter…
De quoi surfer sur la vague œnotouristique ?
C’est bien là que la main d’œuvre de demain va se focaliser, sur le fait de savoir accueillir une population touristique étrangère, pouvoir converser avec elle et parler a minima anglais, connaître ses attentes et ses habitudes, savoir lui proposer sur le plan touristique des projets dans leur globalité, en matière de patrimoine, de connaissances culturelles, et de gastronomie locale. On est reconnus à l’étranger pour ça.
Christophe Le Mesnil est arrivé à la présidence du CFA il y a deux ans…
On s’inscrit dans une continuité, c’est l’avantage d’avoir des présidents issus d’un milieu professionnel. Le profil de Christophe Le Mesnil est atypique, mais il connaît bien les métiers de l’hôtellerie et de la restauration dont il est issu, il a cette sensibilité qu’ont tous les dirigeants pour le devenir de leur entreprise.
Au bord du gouffre en 2013, La Noue investit 12 millions en 2017. Elle est où, la poudre de perlimpinpin ?
Il n’y en a pas ! (sourires) Ces 12 millions serviront à la première tranche des travaux ; plus tard, la même somme sera allouée à la seconde. Tout cela s’inscrit dans le cadre des projets d’investissements d’avenir portés par l’État. Ils nous offraient la possibilité de financer les structures d’hébergement, un vrai besoin pour nos jeunes afin qu’ils puissent poursuivre leurs études dans de bonnes conditions. Nous étions sur la fin de ce programme. Notre dossier, en toute modestie, a été reconnu par les autorités préfectorales comme un dossier d’excellence puisqu’il a été monté en partenariat avec le Crous, pour les besoins de l’Université.
On a prévu ainsi de rénover pour le Crous un bâtiment d’hébergement et deux bâtiments chez nous. Une convention de partenariat ouvre des passerelles à des jeunes qui auraient envie de changer d’orientation en étant issus de l’Université, et permet à des jeunes de chez nous de pouvoir poursuivre leurs études et de s’inscrire dans des parcours universitaires.
La Noue ne s’appellera plus La Noue désormais. C’est une psychanalyse qui vous a conduit à cette décision ?
Aujourd’hui, il y a toujours, en arrière-plan, les passages difficiles du CFA La Noue, ces bouts de sparadrap qu’on semble avoir mis régulièrement sur les comptes. On a donc besoin de faire en sorte que lorsque les parents et les jeunes se projettent chez nous, ils trouvent une image beaucoup plus valorisée, plus en phase avec leurs attentes. L’École des Métiers révèle cette image. On va même changer d’adresse !
Avec beaucoup de changements dans les locaux donc, une superbe cafétéria notamment. Mais que sera au juste « l’apprentissage 4.0 » sous Macron ?
La réforme engagée (ndlr, cet entretien a été réalisé une semaine avant l’annonce de cette réforme par Emmanuel Macron) s’inscrit dans les attentes de chefs d’entreprise. Il y a un virage à prendre au travers duquel on va continuer à former massivement des jeunes sur un premier niveau de formation de type CAP, tout en renforçant les dispositifs de formation adaptés à l’acquisition de compétences ciblées de titres professionnels ou de CQP (Certificats de Qualification Professionnelle). Jamais les professions ne s’étaient autant mobilisées pour développer ce type de diplômes.…
Vous allez aussi changer d’interlocuteur…
La Région va perdre une part de ses prérogatives sur la formation. Les Régions sont avant tout mobilisées par des problématiques sociales qu’elle veulent traiter en fonction des besoins de leurs territoires, les branches professionnelles s’inscrivent dans un vrai besoin de main d’œuvre qualifiée qui remet en cause l’avenir de leur entreprise…