Directeur des ventes Europe de Sotheby’s Wine, Amayès Aouli revendique une recette simple pour réussir son intégration à Beaune. Après un baptême idéal l’an dernier, la maison d’enchères espère frapper fort pour la Vente des vins des Hospices de Beaune 2022. En la matière, « sky is the limit » !
Sotheby’s Wine est arrivé en France il y a un an. Comment se passe l’installation ?
Les résultats sont au-delà de nos attentes. Nous avons monté une équipe de six personnes, avons effectué neuf ventes pour un total de 22 millions d’euros d’adjudications et battus de nombreux records. Au-delà des chiffres, nous avons eu à cœur d’orchestrer des projets fantastiques comme l’opération Vougeot pour Cîteaux, la vente de clôture du festival Musique & Vin et bien évidemment celle des Hospices de Beaune.
Un tel métier demande un peu de mobilité…
Nous sommes basés en France avec une couverture européenne. L’équipe se déplace beaucoup à la rencontre des domaines et des amateurs de vin : Sotheby’s Wine a des critères de sélection drastiques et chaque bouteille est soigneusement expertisée afin de de ne proposer que des lots triés sur le volet, en insistant sur la provenance et la conservation. C’est un enjeu de confiance. Notre modèle opérationnel avec nos entrepôts à Beaune et à Bordeaux fonctionne parfaitement et rend l’expérience après la vente très fluide pour nos clients.
Les bourgognes représentent plus de 50% de votre marché, mais pèsent 5% de la production française et 0,6% dans le monde. Nos vins sont-ils devenus des objets d’art ?
Si un objet d’art est un vecteur d’émotion, alors oui, certains vins ont obtenu ce statut. Les amateurs du monde entier ont bien compris l’unicité de la Bourgogne, l’importance des climats, des millésimes, et surtout le travail précis et respectueux des producteurs. Certains grands noms du vignoble sont considérés comme des artistes. Par ailleurs, des bouteilles ont atteint un statut d’icône dans l’histoire du vin. Cela dit, le vin conserve un côté « fini ». Quand il est débouché, il se transforme en souvenir. Enfin, nos ventes ne sauraient refléter l’intégralité de la région. Nous ne proposons qu’une infime partie de la Bourgogne ; il y a une telle diversité et une grande partie n’est pas destinée à être vendue aux enchères.
Beaune a un fonctionnement bien à elle, parfois à la limite du secret, qui demande un peu d’initiation. Comment avoir les clés ?
Une histoire aussi profonde que celle de Beaune et de la Bourgogne s’accompagne d’un fonctionnement unique. C’est bien naturel et c’est à nous de le comprendre et, surtout, de le respecter. Dès notre arrivée, nous avons adopté une approche simple : écoute, humilité et disponibilité. Avant toute chose, il nous a semblé essentiel d’aller à la rencontre de l’ensemble des acteurs de la filière. L’accueil fut à chaque fois excellent. Notre approche est internationale, cela fait partie de nos valeurs au même titre que l’expertise et l’éthique, mais notre équipe vins est en permanence à Beaune pour diverses raisons. Nous avons d’ailleurs loué un appartement dans le centre-ville, dans la bien nommée rue des Tonneliers…
La dernière édition de la Vente des vins revendique un bilan de 12,6 M€. Avec un millésime comme 2022, sky is the limit ?
Toutes ces sommes vont à l’institution et permettent de soigner, donc oui, nous espérons tous tutoyer le ciel. N’est-ce pas le message donné par cette flèche qui trône sur l’Hôtel-Dieu ? (sourire) La qualité des vins produits par Ludivine Griveau-Gemma et ses équipes est exceptionnelle et reconnue par les amateurs du monde entier. Nous participons activement à cet effort de promotion et de pédagogie auprès de nos clients à travers des dégustations entre l’Amérique, l’Asie et l’Europe. Ils sont conquis. Avec un tel millésime 2022 et maintenant que le domaine a entamé sa conversion en bio, en effet, sky is the limit.
La Vente beaunoise ne ressemble à aucune autre par son caractère caritatif. Cela change-t-il quelque chose pour Sotheby’s ?
Sur les neuf ventes que nous avons organisées en France à ce jour, quatre avaient un but purement caritatif. La singularité de Beaune tient en effet à cet élément mais, également, à son histoire, la qualité et l’unicité des vins proposés et à sa place au sein de la vie de la région. Tous les Beaunois sont attachés à cette vente et à cette institution qui, pour certains, est même leur lieu de naissance. C’est un patrimoine collectif et il faut réussir la synthèse de demandes parfois contradictoires. Il faut sans cesse trouver le bon équilibre entre le respect des traditions fortes et une nécessaire modernisation.
Le jour J, comment se compose votre dispositif ?
Sur place, 50 personnes sont mobilisées et représentent tous les départements de Sotheby’s. C’est un tiers de nos effectifs français. Les équipes des départements vins de Londres et de Paris viennent à la vente, tout comme certains collègues de New York et Hong Kong. C’est gigantesque. Par ailleurs, nous faisons appel à toute l’expertise technologique du groupe Altice (ndlr, le groupe de Patrick Drahi est propriétaire de Sotheby’s depuis 2019). Nous avons réalisé des travaux de câblage en haut débit de la halle de Beaune, et nous mobilisons des équipes de Next Prod (BFM TV) pour couvrir l’événement en direct. L’an dernier, près de 2 millions de personnes étaient devant leur écran. Tout cela n’étant que la partie visible : des centaines de personnes travaillent sur cet événement en coulisses.
Et vous ? De quelle façon un directeur des ventes occupe-t-il son dimanche sous la halle de Beaune ?
Ce dimanche marathon est l’aboutissement d’une année entière. Le dimanche matin, qui se confond avec le samedi soir, il y a une conférence de presse. Entre midi et le début de la vente, c’est le téléphone qui est submergé de demandes de clients. À partir du début de la vente, c’est la concentration. Je suis principalement au téléphone avec tous les clients que nous avons rencontrés et qui ne peuvent pas être présents.
Le vin, ce n’est pas que le business. Comment le ressentez-vous ?
C’est vrai. À titre personnel, j’ai fait ce métier par passion. Ce voyage en terre de vins en mêle beaucoup d’autres. J’aime le vin pour le partage, la rencontre, l’échange et la culture. J’ai la chance d’avoir gardé beaucoup de madeleines de Proust. J’ai demandé ma femme en mariage sur les collines de Fiesole qui surplombent Florence, avec une bouteille de Biondi-Santi 2004, le millésime de notre rencontre. L’année suivante, nous nous sommes mariés en Toscane. Ce vin est intimement lié à l’histoire de notre famille à présent.