Les Américains le revendiquent : quand il s’agit de vin, la Bourgogne d’abord ! Mais le lien qui unit nos vignes à l’Oncle Sam ne se mesure pas seulement en valeur et en volume. Il est bien plus profond et subtil, à lire notre spécialiste Jacky Rigaux.
Par Jacky Rigaux
Pour Dijon-Beaune Mag #66
C’est un fait : les grands amateurs américains n’achètent pas de bourgognes pour spéculer, mais pour les ouvrir. Nombre d’entre eux, comme par exemple Tim Cone, avocat à Washington, n’hésitent pas à demander quels sont les jeunes vignerons bourguignons émergents en Bourgogne, et dans des vignobles qui n’ont pas encore la notoriété de certains. De nombreux autres ont dévoré deux livres écrits sur Henri Jayer : Ode aux Grands Vins de Bourgogne et Les Temps de la Vigne, traduits en anglais par un des leurs, Jim Finkel. Et c’est Au Petit Bonheur, charmant restaurant sis dans les Hautes-Côtes de Nuits, à Curtil-Vergy, que Tim est venu fêter ses 60 ans en mars dernier en présence de vignerons et vigneronnes du coin.
Deux femmes précurseuses
Les Américains ont contribué à la gloire de la Bourgogne d’aujourd’hui bien plus qu’on ne le croit. Quand les amateurs français se fournissaient chez leur vigneron favori, leurs homologues d’outre-Atlantique se passionnèrent pour ces petits vignerons produisant à la bouteille dans les années 1970-80. Deux femmes ont grandement œuvré à l’émergence d’un marché américain : une New-Yorkaise installée à Beaune, Becky Wasserman, et une Française de San Francisco, Martine Saulnier. La première mit sur orbite là-bas Dominique Lafon, Christophe Roumier et une centaine de bons vignerons bourguignons.
L’autre a fait connaître Jean-François Coche-Dury, Denis Mortet, Christophe Perrot-Minot, Frédéric Mugnier et tant d’autres stars du vin d’aujourd’hui aux States. C’est d’ailleurs avec le Cros Parantoux 1978, qu’elle a présenté en 1980 à Los Angeles, qu’Henri Jayer est entré dans la lumière avant de devenir une légende. Robert Mondavi, génie des vins de Californie présent à cette dégustation, voulut absolument goûter du Cros Parantoux ! Du coup, il est souvent difficile de se procurer en France les vins de ces vignerons. On les trouve plus facilement sur les grandes tables américaines que françaises !
Des « terroiristes » en Amérique
L’Amérique s’est passionnée pour ces vignerons, nouveaux venus sur la scène des grands, qui ont participé activement au « réveil des terroirs » que j’ai eu la chance d’accompagner aux côtés d’Henri Jayer, Michel Gaunoux, Michel Lafarge et quelques autres. Fréquentant la Californie et quelques autres États depuis les années 1970, j’ai vu combien le vin de Bourgogne est devenu « tendance » là-bas. La Paulée de New-York, comme celle de San Francisco, malgré le ticket d’entrée onéreux, refusent toujours du monde.
Tous les grands « winemakers » californiens sont venus en Bourgogne. Certains y ont fait leur formation, comme Chris Howell, David Ramey ou Ted Lemon. Chris Howell a fréquenté Henri Jayer, a tissé un lien d’amitié avec lui, et est devenu un disciple inspiré du maître ! Avec Ted Lemon, il est un des plus grands « terroiristes » américains. Jim Clendenen, ami du célèbre tonnelier bourguignon, Jean-François, a ouvert la viticulture du côté de Santa Barbara avec la philosophie bourguignonne. Son domaine s’appelle « Au Bon Climat » ! Pas loin se trouve un magnifique domaine, Jonata, appartenant à Stan Kroenke, proprio du club de football d’Arsenal ayant repris le célèbre domaine bourguignon Bonneau du Martray…
Fiers chevaliers !
Par ailleurs, c’est un Américain, l’époux de la grande vigneronne californienne Hélène Turley, qui a initié tous les « winemakers » qui comptent aujourd’hui, aux plaisirs de la dégustation des grands vins de terroirs français, ceux de Bourgogne en particulier. Cela a permis à ces pionniers du vin d’avoir en tête comme référence les plus grands crus de notre région. Pour avoir participé à une verticale mémorable au pied d’une vigne d’Hélène, au début des années 1990, j’ai été impressionné par les connaissances de cet homme ! Et quelle ne fut pas ma surprise quand Jim Finkel organisa une grande dégustation de vins d’Henri Jayer au début des années 2000 : pas moins d’une trentaine de bouteilles. Je n’avais jamais bu autant de ses vins en une seule soirée ! Heureusement, je n’avais pas à conduire pour rentrer me coucher… Quelques temps après, il voulut absolument être chevalier du Tastevin. J’ai découvert à quel point les amateurs américains aiment cette confrérie.
C’est justement au Clos de Vougeot qu’est né, à l’initiative de Bernard Hervet et Aubert de Villaine, Musique et Vin, festival exceptionnel qui se produit la dernière semaine de juin. Son directeur artistique est… américain : David Chan, violoniste de l’orchestre du Metropolitan Opera de New-York.
Bref, les liens burgondo-américains ne sont pas prêts de se défaire. Les grands amateurs aiment les bourgognes et les « winemakers » s’inspirent du modèle bourguignon. La Bourgogne leur a appris que le grand vin ne saurait être issu de la construction d’un goût, mais qu’il est là pour exprimer le message de son lieu de naissance. Il doit avoir « la gueule du lieu » selon la belle parole de Jacques Puisais !
Veuve Point, Le rêve américain
Bourguignons et Américains n’ont pas que des liens contemporains. Au début du XXe, Jeanne-Marie Point a construit l’histoire de la maison beaunoise sur les bases d’une aventure outre-Atlantique : l’Exposition universelle de Saint-Louis (Missouri), en 1904. Alors veuve de vigneron à 26 ans, avec un son fils de 5 ans à assumer, la Saône-et-Loirienne est repartie avec le prix d’excellence et l’assurance d’un fidèle clientèle américaine. C’est elle qui donnera notamment une petite notoriété outre-Atlantique au pouilly-fuissé.
En 2015, sa descendante Géraldine Point reprendra le flambeau. Madame Veuve Point élève aujourd’hui 25 grands vins de Bourgogne sous l’expertise et la bienveillance de Fabien Geantet, vigneron de renom de Gevrey-Chambertin. Cette histoire verticale et pionnière plait beaucoup à l’export, et la maison ne se prive pas de capitaliser dessus. Une étiquette représentant la mère-fondatrice est en bonne place sur chaque bouteille. En la mémoire de cet american dream !