Sopirim a mis ses chantiers en sommeil dès le premier jour, évitant toute ambiguïté sanitaire. Cyrille de Crépy est l’un des deux dirigeants de cette société de promotion immobilière bien implantée à Dijon. Il est aussi vice-président du Tribunal de commerce dijonnais. Sa vision de la situation est donc doublement intéressante.
Par Dominique Bruillot
Avoir une double casquette permet parfois de mieux se protéger et anticiper les conséquences d’un virus en liberté. Cyrille de Crépy n’est pas seulement promoteur immobilier, il est aussi vice-président et président de la chambre des sanctions au Tribunal de commerce de Dijon. D’ailleurs, la crise, d’un point de vue professionnel, il la prend de plein fouet. Avec Eudes-Guilhem Marino, il dirige Sopirim et assiste, résigné, à l’arrêt des quatre ou cinq chantiers lancés par son entreprise dans l’agglomération dijonnaise.
« Nous avons été parmi les premiers à sentir le vent du confinement et avons aussitôt envoyé à nos co-contractants un ordre d’arrêt de chantier au nom de la sécurité des travailleurs, pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté sur la décision à prendre… et avant de fermer, nous avons passé tous nos ordres de paiement pour qu’ils n’aient pas à payer le prix fort de cette situation. » Comme dans d’autres secteurs, le BTP est soumis à des tentations contradictoires entre l’idéal sanitaire et le minimum vital d’un point de vue économique. Sopirim a tranché, permettant à ses fournisseurs de se dire sans sourciller : « Mon client m’a interdit de travailler ! »
« Si on regarde la presse nationale, Dijon est toujours dans les bons plans, cela étant dû à son positionnement exclusif de grande agglomération dans l’est de la France, avec une belle zone d’influence autour d’elle. »
La vraie crainte, dans un contexte aussi inédit, est la petite ligne jaune, à peine visible, qu’on s’autorise à franchir sans en avoir l’air, au risque de déclencher, ou pas, le pire. D’autant plus fortement dans un environnement où la sueur et la nécessité de faire corps pour certaines opérations de manutention, ne sont pas des plus compatibles avec les règles d’hygiène placées au plus haut niveau de l’exigence. On n’est pas au bureau ici ! Même si le dialogue avec l’administration compétente, qui a tendance à se refiler la patate chaude d’un service à l’autre, exige une patience doublée de diplomatie. Ce phénomène, compréhensible dans le climat de tension qui règne actuellement n’est pas cependant pas l’apanage de la construction. Il touche l’ensemble des domaines affectés par la crise sanitaire.
Frilosité prévisible des acquéreurs
Se pose alors la question d’un marché de l’immobilier mis entre parenthèses, comme il ne l’a jamais été depuis la Seconde Guerre mondiale. « Si on regarde la presse nationale, Dijon est toujours dans les bons plans, cela étant dû à son positionnement exclusif de grande agglomération dans l’est de la France, avec une belle zone d’influence autour d’elle », rassure Cyrille de Crépy. La vitalité estudiantine de la métropole bourguignonne, connue aussi pour son pôle de recherche, ajoute à la bonne perception d’un « immobilier qui présente l’avantage de n’avoir jamais été surévalué jusqu’ici ». Voilà pour le côté pile de la situation.
Mais côté face, aux premières loges, on va se heurter à la question des moyens et de la frilosité prévisible des acquéreurs. Ce que le promoteur définit comme « une rupture de marché entre un coût qui monte et un pouvoir d’achat qui baisse ». Construire ne sera pas moins cher, en effet. « Nous parlons désormais beaucoup de gestes barrières, nettoyer les toilettes plusieurs fois par jour au lieu d’une seule fois par semaine, comme cela se pratiquait avant, aura des conséquences : ces « mesures », je les ai évaluées à 40 000 euros sur la durée totale (deux ans et demi) d’un chantier ! »
Rien ne sera donc à négliger, à l’issue d’une longue période où rien ne sera produit et rien ne sera vendu non plus. Alors que le coup de fouet politique, tant espéré dans toute crise qui se respecte, est lié aux incertitudes de l’échéance des municipales. Car rien ne se décidera avant.
Comme dans la chanson
Pendant ce temps, Sopirim et les autres grignotent leurs fonds propres. Le sommeil économique a le don d’affaiblir les organismes. « On a une certaine angoisse par rapport aux commandes qui vont arriver à la reprise, s’inquiète le professionnel, même si on a constitué un dossier de Prêt Garanti par l’Etat, en bon père de famille, à défaut de savoir quand et comment on sera déconfiné. » Un climat d’incertitudes que le promoteur immobilier va affronter de face avec la montée en puissance du tribunal de commerce. « De gros dossiers risquent de tomber fin avril. »
L’évolution du consommateur lambda, qu’il soit salarié, libéral, fonctionnaire ou chef d’entreprise est elle aussi difficile à anticiper. « Certains avaient un projet et s’y tiendront, mais beaucoup en changeront. » L’un des modèles de vie promis au succès, selon le promoteur immobilier, c’est la petite maison avec accès en rez-de-chaussée, et petit jardin pas trop éloignée du centre-ville. Tout comme dans la chanson de Dutronc. Histoire de ne pas se déconnecter de ses réflexes urbains tout en ayant son petit bout de jardin.
Ça tombe bien, Sopirim est déjà bien présent sur ce marché. « Mais la morale de cette histoire, résume Cyrille de Crépy, c’est que nous sommes tous confrontés à un sentiment d’impuissance. Cela nous est tombé dessus sans prévenir et doit nous enseigner la patience et l’humilité. Cela doit rapprocher les gens. » Puisse-t-il être entendu.